Marjan Noorzia v Bundesministerin für Inneres.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:288
Date30 April 2014
Celex Number62013CC0338
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-338/13
62013CC0338

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 30 avril 2014 ( 1 )

Affaire C‑338/13

Marjan Noorzia

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche)]

«Droit au regroupement familial — Directive 2003/86/CE — Article 4, paragraphe 5 — Réglementation d’un État membre prévoyant que le regroupant et le conjoint aient atteint l’âge de 21 ans avant l’introduction d’une demande de regroupement familial»

1.

«Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux.» Ainsi est libellé l’article 16, paragraphe 2, de la Déclaration universelle des droits de l’homme ( 2 ).

2.

Par la présente demande de décision préjudicielle, déférée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche), la Cour est appelée à prendre position pour la première fois sur une disposition contenue dans la directive 2003/86/CE ( 3 ), relative au droit au regroupement familial, qui a pour objectif spécifique de prévenir les mariages forcés, c’est-à-dire les mariages dans lesquels au moins l’un des époux s’engage sans donner son consentement de manière libre et entière, car sa volonté est soumise à une forme de coercition physique ou psychologique, telle que des menaces, d’autres formes de sévices moraux ou, dans les cas les plus graves, d’abus physiques ( 4 ).

3.

Le phénomène des mariages forcés est une pratique souterraine en Europe, mais sa portée n’en est pas pour autant négligeable ( 5 ). C’est justement dans l’optique de limiter ce phénomène, qui donne lieu à des violations odieuses des droits fondamentaux des personnes, surtout des femmes, qu’a été introduite, dans la directive 2003/86, la disposition dont la juridiction nationale demande l’interprétation à la Cour.

4.

Comme nous le verrons par la suite, dans la présente affaire, toutefois, la poursuite légitime de cet objectif devra être mise en balance avec les exigences découlant du droit au respect de la vie familiale des couples mariés de manière authentique.

I – Le cadre juridique

A – La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH)

5.

D’après l’article 8 de la CEDH ( 6 ), intitulé «Droit au respect de la vie privée et familiale»:

«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.»

B – Le droit de l’Union

6.

Aux termes de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), intitulé «Respect de la vie privée et familiale»:

«Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications».

7.

La directive 2003/86 fixe les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont bénéficient les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres. Conformément à son considérant 2, cette directive respecte les droits fondamentaux, notamment le droit au respect de la vie familiale, consacré dans de nombreux instruments du droit international, dont, en particulier, l’article 8 de la CEDH et l’article 7 de la Charte, susmentionnés.

8.

L’article 4 de la directive 2003/86 définit le cercle de personnes, membres de la famille du regroupant, qui peuvent bénéficier d’un titre de séjour au titre du regroupement familial. Selon le paragraphe 1, sous a), de cet article, l’époux du regroupant figure parmi ces personnes.

9.

Ce même article 4, paragraphe 5, dispose ce qui suit:

«Afin d’assurer une meilleure intégration et de prévenir des mariages forcés, les États membres peuvent demander que le regroupant et son conjoint aient atteint un âge minimal, qui ne peut être supérieur à 21 ans, avant que le conjoint ne puisse rejoindre le regroupant.»

C – Le droit autrichien

10.

La loi relative à l’établissement et au séjour des étrangers (Niederlassungs- und Aufenthaltsgesetz) ( 7 ) prévoit que, sous certaines conditions, les autorités autrichiennes compétentes accordent un titre de séjour aux membres de la famille de ressortissants d’États tiers. D’après l’article 2 de cette loi, sont membres de la famille «le conjoint […] et également les partenaires enregistrés; les conjoints et les partenaires enregistrés doivent avoir atteint l’âge de 21 ans à la date du dépôt de la demande; […]».

II – Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

11.

Mme Noorzia, requérante dans la procédure au principal, est une ressortissante afghane née le 1er janvier 1989.

12.

Le 3 septembre 2010, Mme Noorzia a déposé, près l’ambassade d’Autriche à Islamabad (Pakistan), une demande tendant à l’obtention d’un titre de séjour au titre du regroupement familial avec son époux, né le 1er janvier 1990, lui aussi ressortissant afghan, résidant en Autriche.

13.

Par décision du 9 mars 2011, la Bundesministerin für Inneres (ministre de l’Intérieur autrichien), partie défenderesse dans l’affaire au principal, a rejeté la demande de regroupement familial. Dans sa décision, l’administration autrichienne a motivé le rejet de la demande considérant que, même si l’époux de Mme Noorzia avait bien eu 21 ans avant l’adoption de la décision de rejet de la demande de regroupement familial, selon la loi autrichienne, la date pertinente pour déterminer l’âge minimal est la date de dépôt de la demande et non la date de l’adoption de la décision. Partant, puisque l’époux n’avait pas encore 21 ans à la date du dépôt de la demande de regroupement familial, il n’était pas satisfait à l’un des prérequis spécifiques de l’introduction d’une demande valable en ce sens.

14.

Mme Noorzia a attaqué la décision de rejet et la juridiction de renvoi a été saisie de l’affaire.

15.

Ladite juridiction relève, en premier lieu, que l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2003/86 ne précise pas si, pour déterminer l’âge minimal qui y est visé et que les États membres ont la faculté de fixer afin que le regroupement familial puisse avoir lieu, la date pertinente est celle de la décision de l’autorité, ou de l’entrée concrète sur le territoire de l’État membre concerné, ou encore une autre date. La juridiction de renvoi relève, en second lieu, que le législateur autrichien a explicitement affirmé que l’âge minimal de 21 ans constitue une condition formelle à la délivrance d’un titre de séjour pour le regroupement familial, que cette condition doit exister à la date du dépôt de la demande de regroupement et que l’absence d’une telle condition entraîne le rejet de la demande, sans qu’il soit possible d’y remédier d’aucune façon en conséquence de l’atteinte de l’âge en question au cours de la procédure.

16.

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se pose la question de la compatibilité de la réglementation autrichienne en question avec la disposition figurant à l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2003/86. La juridiction de renvoi estime que deux interprétations alternatives de la disposition en question sont possibles. D’une part, le libellé de la disposition plaiderait pour une interprétation aux termes de laquelle la date pertinente d’atteinte de l’âge minimal prévu est la date d’octroi du titre de la part de l’autorité, et non la date de dépôt de la demande. Si la disposition de la directive devait être interprétée en ce sens, alors, selon la juridiction de renvoi, la réglementation autrichienne pourrait être incompatible avec la directive 2003/86. D’autre part, cependant, d’après la juridiction de renvoi, l’analyse de la finalité de la disposition en question pourrait porter à une interprétation différente, qui pourrait avoir pour conséquence la compatibilité de la réglementation nationale avec la directive 2003/86.

17.

Eu égard aux considérations qui précèdent, la juridiction de renvoi, par décision du 29 mai 2013, a estimé qu’il y avait lieu de surseoir à statuer dans l’affaire dont elle était saisie, afin de déférer à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 4, paragraphe 5, de la directive 2003/86 […] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition prévoyant que des conjoints et partenaires enregistrés doivent déjà avoir atteint l’âge de 21 ans au moment du dépôt de la demande pour pouvoir être considérés comme des membres de la famille éligibles au regroupement?»

III – La procédure devant la Cour

18.

La décision de renvoi est parvenue au greffe le 20 juin 2013. Mme Noorzia, les gouvernements autrichien et hellénique ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

IV – Analyse juridique

A – Observations liminaires

19.

La demande de décision préjudicielle soumise par la juridiction de renvoi à la Cour concerne l’interprétation de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2003/86.

20.

À cet égard, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que le droit au regroupement familial, reconnu et régi par la directive 2003/86, constitue un aspect spécifique du droit au respect à la vie familiale, qui, à son tour, constitue un droit fondamental consacré par l’article 8 de la CEDH et par l’article 7 de la Charte et, en tant que tel, est...

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