Raffaele Talotta v Belgian State.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:719
Date16 November 2006
Celex Number62005CC0383
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-383/05

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 16 novembre 2006 (1)

Affaire C-383/05

Raffaele Talotta

contre

Royaume de Belgique

[demande de décision préjudicielle introduite par la Cour de cassation (Belgique)]

«Liberté d’établissement – Impôt sur le revenu – Base imposable – Discrimination entre contribuables résidents et non-résidents»





I – Introduction

1. La Cour de cassation (Belgique) a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 43 CE, en application de l’article 234 CE.

2. La juridiction de renvoi demande en substance à la Cour de préciser si la législation belge qui prévoit des bases minimales d’imposition pour les seuls contribuables non-résidents est contraire aux principes relatifs à la liberté d’établissement.

II – Cadre juridique

A – Le droit communautaire applicable

3. Le litige au principal implique l’examen des dispositions du traité CE relatives à la liberté d’établissement. La disposition principale de ce régime est l’article 43 CE, qui reconnaît le droit d’établissement des ressortissants communautaires à titre principal (deuxième alinéa) et à titre secondaire (premier alinéa).

4. Cet article énonce que:

«Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»

5. En ce qui concerne les raisons justifiant l’application de mesures restrictives de la liberté d’établissement, l’article 46, paragraphe 1, CE prévoit que:

«Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l’applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique.»

B – Le droit national

6. L’article 342 du code belge des impôts sur les revenus 1992 (ci-après le «CIR 1992») prévoit que:

«1. À défaut d’éléments probants fournis soit par les intéressés, soit par l’administration, les bénéfices ou profits visés à l’article 23, § 1er, 1° et 2°, sont déterminés, pour chaque contribuable, eu égard aux bénéfices ou profits normaux d’au moins trois contribuables similaires et en tenant compte, suivant le cas, du capital investi, du chiffre d’affaires, du nombre d’ouvriers, de la force motrice utilisée, de la valeur locative des terres exploitées, ainsi que de tous autres renseignements utiles.

L’administration peut, à cet effet, arrêter, d’accord avec les groupements professionnels intéressés, des bases forfaitaires de taxation.

Les bases forfaitaires de taxation visées à l’alinéa qui précède peuvent être arrêtées pour trois exercices d’imposition successifs.

[…]

2. Le Roi détermine, eu égard aux éléments indiqués au § 1er, alinéa 1er, le minimum des bénéfices imposables dans le chef des firmes étrangères opérant en Belgique» (2).

7. L’article 182 de l’arrêté royal, du 27 août 1993, d’exécution du CIR 1992 prévoit en particulier que:

«1. Le minimum des bénéfices imposables dans le chef des firmes étrangères opérant en Belgique qui sont taxables selon la procédure de comparaison prévue à l’article 342, paragraphe 1, du Code des impôts sur les revenus 1992 est fixé comme suit:

[…]

3° entreprises des secteurs du commerce et de la fourniture de services:

a) […] horeca (3) […] 100 FB (4) par 1 000 FB de chiffre d’affaires avec un minimum de 300 000 FB par membre du personnel (nombre moyen pour l’année envisagée);

[…]

2. En aucun cas, le montant des bénéfices imposables déterminé conformément au paragraphe 1 ne peut être inférieur à 400 000 FB» (5).

III – Les faits, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

8. M. Raffaele Talotta, résident à Luxembourg, exploite un restaurant à Arlon, en Belgique. Selon les articles 227 et 228 du CIR 1992, il est assujetti en Belgique à l’impôt sur les personnes physiques non-résidentes uniquement pour les revenus réalisés dans cet État, n’ayant pas établi sur le territoire belge son domicile fiscal ou le siège de sa fortune.

9. Pour l’exercice fiscal 1992, M. Talotta a présenté tardivement sa déclaration de revenus à l’administration fiscale belge. Celle-ci a en outre estimé la comptabilité présentée par M. Talotta comme non probante en raison d’un certain nombre d’irrégularités et lui a, par conséquent, notifié son intention de le taxer d’office sur une base forfaitaire, en application de l’article 342, paragraphe 2, du CIR 1992, par référence à un minimum de bénéfices imposables déterminé par l’article 182 de l’arrêté royal d’exécution de cette disposition.

10. L’administration fiscale a constaté que M. Talotta employait six personnes. L’impôt enrôlé à sa charge a été déterminé par référence à la base minimale pour le secteur de la restauration, visée à l’article 182 de l’arrêté royal d’exécution, appliquant en particulier le critère de 300 000 FB par employé, pour un total de 1 800 000 FB.

11. M. Talotta a introduit une réclamation contre cette inscription au rôle, sans toutefois joindre de documents à l’appui de sa réclamation, ni produire ultérieurement de documents confirmant sa position, malgré deux rappels en ce sens que lui a adressés l’administration fiscale.

12. M. Talotta a alors introduit un recours devant la cour d’appel de Liège contre la décision de la direction générale des impôts ayant rejeté sa réclamation.

13. À la suite du rejet de son appel, M. Talotta s’est pourvu en cassation devant la Cour de cassation, laquelle, ayant des doutes quant à l’interprétation à donner à l’article 43 CE, a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 43 – ancien article 52 – du traité CE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national qui, tel l’article 182 de l’arrêté royal du 27 août 1993, pris en application de l’article 342, paragraphe 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, applique aux seuls non-résidents des bases minimales d’imposition?»

14. En application de l’article 23 du statut de la Cour de justice, M. Talotta, le gouvernement belge et la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations écrites.

IV – Analyse juridique

A – Considérations préliminaires

15. La question préjudicielle dont la Cour est saisie concerne les impôts directs. Il faut relever, à cet égard, que le pouvoir normatif en matière de fiscalité directe relève de la compétence des États membres, mais que son exercice est limité par le respect des principes communautaires de base, parmi lesquels figurent les libertés fondamentales sur lesquelles reposent l’instauration et le fonctionnement du marché intérieur (6).

16. Il est constant qu’en l’espèce le principe fondamental de la liberté d’établissement visé à l’article 43 CE s’applique, puisqu’il ressort de la décision de la juridiction de renvoi que M. Talotta a fait usage de cette liberté en exerçant de manière stable une activité non salariée dans un État membre autre que celui de sa résidence. Et c’est en relation avec cette disposition que doit être appréciée la compatibilité de la réglementation belge ici en cause.

17. En application de l’article 43 CE sont garantis l’accès aux activités non salariées et leur exercice, dans les mêmes conditions que celles établies pour les ressortissants du pays d’établissement (c’est-à-dire traitement national), à tout ressortissant communautaire qui s’établit, même seulement à titre secondaire, dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée, et est interdite toute discrimination, manifeste ou dissimulée, fondée sur la nationalité (7).

18. Il faut constater que la réglementation en cause au principal s’applique indépendamment de la nationalité du contribuable concerné. Toutefois, une différence de traitement fondée sur le critère de la résidence ou du lieu d’origine peut, dans des circonstances déterminées, aboutir à un résultat équivalant à une discrimination fondée sur la nationalité.

19. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, sont interdites non seulement les discriminations manifestes fondées sur la nationalité, mais aussi toute discrimination qui, même si elle se fonde sur d’autres critères de distinction, aboutit au même résultat, étant précisé que par discrimination on entend l’application de règles différentes à des situations analogues, ou l’application de la même règle à des situations diverses, devant être comparées sur la base de données objectives (8).

20. En ce qui concerne la notion d’inégalité de traitement susceptible d’entraîner un traitement discriminatoire, je relève qu’une situation caractérisée par un traitement différent ne donne pas lieu à une discrimination prohibée si le ressortissant communautaire concerné ne se trouve pas désavantagé par rapport aux ressortissants de l’État d’accueil (9).

21. De même, dans le cas d’un traitement différencié en raison de la résidence, la condition liée au désavantage doit être satisfaite pour que ce traitement puisse donner lieu à une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.

22. En matière d’impôts directs, la Cour a affirmé qu’une inégalité de traitement fondée sur la résidence n’est pas en soi discriminatoire, parce que en principe...

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