Konkurrensverket v TeliaSonera Sverige AB.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:483
Docket NumberC-52/09
Celex Number62009CC0052
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date02 September 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁn Mazák

présentées le 2 septembre 2010 (1)

Affaire C‑52/09

Konkurrensverket

contre

TeliaSonera AB

[demande de décision préjudicielle formée par le Stockholms tingsrätt (Suède)]

«Demande de décision préjudicielle – Concurrence – Article 102 TFUE (ex-article 82 CE) – Compression des marges – Obligation réglementaire de fournir des prestations intermédiaires – Caractère indispensable des prestations intermédiaires»





1. Dans la présente demande de décision à titre préjudiciel, le Stockholms tingsrätt (tribunal d’instance de Stockholm, Suède) a déféré à la Cour une série de dix questions relatives à l’interprétation de l’article 102 TFUE (ex-article 82 CE) concernant un prétendu abus de position dominante sous la forme d’une compression des marges (également appelée «effet de ciseaux tarifaire» ou, parfois, «amenuisement des marges», voire «margin squeeze» en anglais) (2). Le renvoi intervient dans le cadre d’une procédure entre l’opérateur suédois de télécommunications TeliaSonera Sverige AB (ci-après «TeliaSonera») et la Konkurrensverket (autorité suédoise de la concurrence). Le 21 décembre 2004, la Konkurrensverket a demandé à la juridiction de renvoi de condamner TeliaSonera à payer une amende administrative de 144 millions de SEK (à l’heure actuelle, environ 15,1 millions d’euros) pour la violation de la législation nationale en matière de concurrence et de l’article 102 TFUE.

I – Faits et questions préjudicielles

2. Le litige concerne le changement technologique intervenu à la fin des années 1990 et au début des années 2000, lorsqu’un nombre croissant d’utilisateurs finaux suédois de services Internet est passé d’un système de connexion par ligne téléphonique commutée à différentes formes de connexions à haut débit (avec des vitesses de transfert considérablement plus élevées). À cette époque, les connexions à haut débit les plus répandues étaient celles établies par un «raccordement numérique asymétrique» [ci-après «RNA» ou «asymmetric digital subscriber line (ADSL)»] par le biais d’une liaison téléphonique, d’un réseau de câblo-opérateur ou par le biais d’une liaison dédiée («local area network», ci-après «LAN»).

3. La société TeliaSonera, anciennement Telia AB, possédait depuis longtemps un réseau d’accès local constitué de câbles métalliques reliant la quasi-totalité des foyers suédois. Elle est l’opérateur historique du réseau de téléphonie fixe et jouissait autrefois d’un monopole de décision quant aux équipements pouvant être utilisés sur son réseau. Outre l’offre de services à haut débit sur le marché des abonnés (marché en aval ou de détail), TeliaSonera offrait à d’autres opérateurs (marché en amont ou marché des prestations intermédiaires) présents sur ce marché l’accès à la boucle locale (c’est-à-dire la partie de la ligne téléphonique – paires de cuivre – allant du répartiteur de l’opérateur téléphonique jusqu’à la prise téléphonique de l’abonné). Cet accès pouvait se faire suivant deux modalités. TeliaSonera proposait un accès dit «LLUB» («local loop unbundling», ci-après le «dégroupage») permettant à un autre opérateur, moyennant rémunération, d’avoir un accès soit partagé à la boucle locale, soit totalement dégroupé, conformément au règlement (CE) n° 2887/2000 (3). L’abus de position dominante allégué ne porte toutefois pas sur le dégroupage de l’accès à la boucle locale au sens du règlement; il porte sur l’accès au réseau fixe proposé par TeliaSonera aux autres opérateurs par le biais d’un produit RNA destiné aux prestataires intermédiaires (comme le «Skanova Bredband ADSL»).

4. Selon la Konkurrensverket, TeliaSonera aurait abusé de sa position dominante sur le marché en amont en appliquant une certaine marge entre le prix du produit RNA destiné aux prestataires intermédiaires («input ADSL products») et le prix de vente au détail de services RNA qu’elle proposait aux consommateurs, marge insuffisante pour couvrir les coûts marginaux de la distribution au client final. Compte tenu de la structure de la requête introduite par la Konkurrensverket, la période comprise entre le mois d’avril 2000 et le 1er janvier 2001 est uniquement examinée par rapport à l’article 19 de la loi relative à la concurrence [Konkurrenslagen (1993:20)]. Cependant, pour la période postérieure allant jusqu’à janvier 2003 inclus, tant la loi relative à la concurrence que l’article 102 TFUE sont pertinents. La société Tele2 Sverige Aktiebolag (ci-après «Tele2») est intervenue au soutien des conclusions de la Konkurrensverket (4). Il résulte clairement de l’ordonnance de renvoi que les parties à la procédure au principal ne sont pas d’accord sur une série d’éléments de fait importants et, à mon avis, cruciaux (comme la définition du marché pertinent sur lequel TeliaSonera occupe une position dominante ou l’existence même d’une telle position). Cependant, compte tenu des règles de procédure nationales, la juridiction de renvoi fait valoir que, à ce stade de la procédure, il est déjà nécessaire de déférer des questions à la Cour. En l’espèce, l’appréciation des preuves et l’appréciation en droit dans la procédure au principal, notamment, doivent intervenir de manière simultanée lors du délibéré après la tenue de l’audience au principal.

5. La juridiction de renvoi estime que, même s’il devait être jugé que les échanges entre États membres n’ont pas été affectés ou qu’il y a eu un abus uniquement au cours de la période comprise entre avril 2000 et le 1er janvier 2001, une décision préjudicielle est néanmoins nécessaire. Compte tenu de ces circonstances, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions suivantes à la Cour:

«1) Dans quelles conditions peut-il y avoir une violation de l’article [102 TFUE] fondée sur la différence entre le prix auquel une entreprise dominante intégrée verticalement vend des prestations intermédiaires RNA à des concurrents et celui auquel elle les vend à des clients finaux?

2) Pour répondre à la première question, les prix pratiqués par l’entreprise dominante à l’égard de ses clients finaux sont-ils les seuls à prendre en considération ou faut-il également tenir compte des prix pratiqués par ses concurrents sur le marché des clients finaux?

3) Le fait que l’entreprise dominante n’a pas d’obligation réglementaire de fournir des prestations intermédiaires, mais a volontairement décidé de le faire, a-t-il une incidence sur la réponse à la première question?

4) Pour que la pratique décrite à la première question soit considérée comme abusive, faut-il qu’elle emporte des effets restrictifs sur la concurrence et, dans l’affirmative, comment peuvent-ils être déterminés?

5) L’importance du pouvoir de marché dont jouit l’entreprise dominante a-t-elle une incidence sur la réponse à la première question?

6) Pour que la pratique décrite à la première question soit considérée comme abusive, faut-il que l’entreprise qui l’a adoptée occupe une position dominante à la fois sur le marché des intermédiaires et sur le marché des clients finaux?

7) Pour que la pratique décrite à la première question soit considérée comme abusive, faut-il que le produit [...] fourni par l’entreprise dominante soit indispensable?

8) Le fait qu’il s’agit d’une livraison à un client nouveau a-t-il une incidence sur la réponse à la première question?

9) Pour que la pratique décrite à la première question soit considérée comme abusive, faut-il que l’entreprise dominante ait une probabilité de récupérer ses pertes?

10) Le fait que l’on soit en présence d’une nouvelle technologie sur un marché, nécessitant de très gros investissements, a-t-il une incidence sur la réponse à la première question, par exemple en raison des frais raisonnables d’établissement et de l’éventuelle nécessité de vendre à perte au cours de la phase d’établissement?»

6. La Konkurrensverket, TeliaSonera, Tele2, les gouvernements finlandais et polonais, ainsi que la Commission européenne, ont soumis des observations écrites. À l’audience du 18 mars 2010, les mêmes parties, sauf les gouvernements finlandais et polonais, ont présenté leurs arguments de manière orale.

II – Analyse

7. Comme indiqué au point 4 ci-dessus, la juridiction de renvoi a expliqué que, compte tenu des règles de procédure nationales, les questions posées doivent se concentrer uniquement sur les principes du droit de la concurrence. Compte tenu de la nature des questions, les considérations suivantes seront, elles aussi, nécessairement limitées à des questions de principe. Il appartiendra à la juridiction nationale d’établir les faits et d’appliquer la législation applicable. À ce stade, il suffit de noter que, à mon avis, la réponse complète à la première question de la juridiction de renvoi découlera des réponses aux neuf autres questions. Comme je l’expliquerai ci-dessous, j’estime notamment qu’il résulte de l’ordonnance de renvoi que – pour les besoins de la solution du litige au principal – une importance particulière est accordée à la première question combinée aux troisième et septième questions, raison pour laquelle je me concentre sur ces questions-là. Cela est justifié notamment par le fait que la jurisprudence existante de la Communauté (actuellement Union) européenne répond, dans une large mesure, déjà directement ou indirectement aux autres questions.

Première question – conditions de l’existence d’une compression des marges abusive –, troisième question – absence d’obligation réglementaire de fourniture – et septième question – caractère indispensable du produit

8. Selon la jurisprudence constante, «la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens...

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