Finanzamt Dortmund-Unna v Josef Grünewald.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2379
Date18 November 2014
Celex Number62013CC0559
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-559/13
62013CC0559

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 18 novembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑559/13

Finanzamt Dortmund-Unna

contre

Josef Grünewald

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]

«Libre circulation des capitaux — Fiscalité directe — Impôt sur le revenu — Déductibilité de rentes versées à un parent en avancement de part successorale — Exclusion pour les contribuables non-résidents»

1.

Par la présente demande de décision préjudicielle présentée par le Bundesfinanzhof (Allemagne), la Cour est appelée une nouvelle fois à prendre position sur la compatibilité avec les dispositions de droit de l’Union sur la libre circulation des capitaux d’une réglementation nationale en vertu de laquelle seuls les contribuables résidents sont fondés à déduire de leurs revenus imposables les rentes alimentaires versées à la suite d’un transfert de patrimoine en avancement de part successorale.

2.

La demande de décision préjudicielle a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant M. Grünewald, personne physique non-résidente en Allemagne, à l’administration fiscale allemande, au sujet du refus de cette dernière de déduire des revenus générés en Allemagne par M. Grünewald les rentes alimentaires que celui-ci a versées à ses parents, dans le cadre d’une cession, en avancement de part successorale, d’une participation dans une société de personnes exerçant une activité horticole.

3.

En réalité, la Cour a déjà eu à connaître de la question de la compatibilité de la réglementation fiscale nationale en cause avec les dispositions de droit de l’Union en matière de libre circulation des capitaux. En effet, dans l’arrêt Schröder ( 2 ), la Cour a déjà retenu l’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale distinguant les contribuables résidents des non-résidents concernant la déductibilité des rentes versées à un parent dans le cadre d’un transfert de patrimoine en avancement de part successorale, pour autant que l’engagement de payer ces rentes découle de l’opération en cause.

4.

Toutefois, pour les raisons exposées dans la décision de renvoi et qui seront analysées ci-dessous, le Bundesfinanzhof doute du fait que la solution retenue par la Cour dans l’arrêt Schröder puisse préciser définitivement la situation juridique en droit de l’Union et donc fournir une réponse exhaustive à la question de droit litigieuse pendante devant lui. En outre, le juge de renvoi se demande si des motifs impérieux d’intérêt général pourraient justifier la réglementation nationale en cause. Dans ce contexte, par la présente demande de décision préjudicielle, ce juge a décidé de soulever de nouveau la question devant la Cour.

I – Cadre juridique

5.

Bien que le cadre juridique national ait déjà été exposé dans l’arrêt Schröder ( 3 ), il convient de le rappeler en détail ci-dessous, dans la mesure où tant le Bundesfinanzhof que le gouvernement allemand soutiennent que la décision de renvoi ayant donné lieu à la décision préjudicielle dans l’affaire Schröder aurait insuffisamment exposé la réglementation nationale, ce qui pourrait avoir une incidence sur la solution retenue par la Cour dans cette affaire. Je présenterai donc, avant tout, le cadre normatif pertinent en matière d’impôt sur le revenu, puis, le système de l’avancement de part successorale en droit allemand et, enfin, le traitement fiscal des transferts à titre d’avancement de part successorale.

6.

Premièrement, concernant le cadre normatif pertinent en matière d’impôt sur le revenu, il y a lieu de rappeler que la loi allemande relative à cet impôt (Einkommensteuergesetz, ci-après l’«EStG») ( 4 ) distingue les contribuables ayant leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne de ceux qui n’ont pas leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne. Les premiers sont assujettis à l’impôt sur le revenu à titre illimité. En revanche, les autres sont assujettis seulement partiellement à un tel impôt, uniquement pour les revenus perçus en Allemagne. Au titre des revenus imposables des personnes partiellement assujetties figurent ceux provenant de l’exercice d’une activité industrielle ou commerciale dans ce pays ( 5 ).

7.

En vertu de l’article 10, paragraphe 1, de l’EStG, à certaines conditions, les rentes et les charges permanentes reposant sur des obligations particulières peuvent faire l’objet d’une déduction à titre de «dépenses exceptionnelles», lorsqu’elles ne constituent ni des charges d’exploitation ni des frais professionnels ( 6 ).

8.

L’article 50 de l’EStG prévoit des dispositions particulières pour les contribuables partiellement assujettis à l’impôt. Aux termes du paragraphe 1, ceux-ci ne peuvent déduire les charges d’exploitation ou les frais professionnels que dans la mesure où ils sont économiquement liés aux revenus perçus sur le territoire national. En revanche, pour ces contribuables, l’article 10 de l’EStG ne s’applique pas, ce qui empêche de déduire des dépenses exceptionnelles.

9.

Deuxièmement, concernant l’avancement de part successorale en droit allemand, celui-ci implique un transfert de patrimoine par lequel, en vue d’une succession future, un ou plusieurs testateurs cèdent leur patrimoine à un ou plusieurs héritiers, notamment leur entreprise ou des biens immeubles. Il est d’usage que, dans le cadre d’un tel transfert, le cédant se réserve des moyens suffisants de subsistance, qui peuvent être des rentes périodiques (dites «rentes alimentaires privées»). La jurisprudence allemande a identifié la raison d’être de la succession anticipée en retenant que celle-ci permet aux membres de la génération suivante de bénéficier, avant l’ouverture de la succession, d’une unité économique produisant des revenus leur permettant de pourvoir tout au moins en partie à leurs besoins matériels propres tout en garantissant la subsistance du cédant. Selon la jurisprudence du Bundesfinanzhof, à travers la cession de patrimoine par avancement de part successorale, le cédant se réserve donc, sous forme de rentes récurrentes, des revenus qui en réalité découlent de son propre patrimoine, mais qui doivent désormais être produits par le cessionnaire ( 7 ).

10.

Dans le contrat de cession de patrimoine à titre d’avancement de part successorale, que la jurisprudence qualifie de donation, le montant des rentes est fixé non pas par rapport à la valeur du patrimoine cédé, mais en fonction des besoins alimentaires du cédant et de la capacité contributive du débiteur ( 8 ). Cet élément différencie ce contrat des cessions de patrimoine à titre onéreux et synallagmatique dans lesquelles les éventuelles prestations récurrentes convenues constituent en revanche la contrepartie financière des biens patrimoniaux transférés.

11.

Troisièmement, concernant le traitement fiscal des opérations de cession de patrimoine en avancement de part successorale, lorsque le cessionnaire s’engage à verser des rentes alimentaires privées au cédant, il ressort d’une jurisprudence constante du Bundesfinanzhof que ces prestations ne sont considérées ni comme la contrepartie de la cession ni comme des dépenses d’acquisition du cessionnaire, mais sont qualifiées, à des fins fiscales, comme des dépenses exceptionnelles et des rémunérations périodiques ( 9 ). Cette qualification se fonde sur la raison d’être du régime juridique de la succession anticipée identifiée au point 9 ci-dessus. En vertu de l’article 10 de l’EStG, pour les contribuables résidents, les rentes alimentaires sont donc entièrement déductibles, aux fins de la détermination du revenu imposable, comme dépenses exceptionnelles sous forme de charges permanentes, même si celles-ci sont variables. Les contribuables non-résidents ne peuvent pas en revanche déduire de telles rentes, l’article 50 de l’EStG prévoyant expressément que l’article 10 de l’EStG est inapplicable aux contribuables partiellement assujettis à l’impôt.

12.

En considération de la raison d’être du régime juridique de la succession anticipée telle qu’identifiée au point 9 ci-dessus, qui implique que la réserve des revenus sous forme de rentes récurrentes en faveur du cédant donne lieu à un «transfert de capacité contributive» ( 10 ), à la déduction de la rente alimentaire privée par le cessionnaire/débiteur correspond une imposition des prestations comme «autres revenus» à la charge du cédant/créancier assujetti à l’impôt de manière illimitée (principe dit de «correspondance» ou «Korrespondenzprinzip»).

II – Faits, procédure au principal et question préjudicielle

13.

Par acte du 17 janvier 1989, M. Grünewald, défendeur devant le juge de renvoi, et son frère ont, dans le cadre d’une cession de patrimoine en avancement de part successorale, acquis de leur père 50 % chacun des parts d’une société de droit civil ayant une activité horticole. Dans le cadre de cette opération, les frères se sont engagés à verser au père ou aux parents une rente alimentaire privée conformément aux termes dudit acte de cession.

14.

Entre 1999 et 2002, M. Grünewald, qui n’a ni son domicile ni sa résidence habituelle en Allemagne et qui vit dans un autre État membre de l’Union européenne, a perçu de cette participation des revenus d’origine commerciale. Au cours de la même période, il a perçu également d’autres revenus en Allemagne.

15.

Considérant M. Grünewald comme partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu, le Finanzamt Dortmund-Unna, requérant devant le juge de renvoi, lui a refusé, sur le fondement de l’article 50 de l’EStG, la possibilité de déduire les rentes alimentaires privées qu’il avait versées à son père.

16.

M. Grünewald a introduit un recours...

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