Auto- ja Kuljetusalan Työntekijäliitto AKT ry v Öljytuote ry and Shell Aviation Finland Oy.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2392
Date20 November 2014
Celex Number62013CC0533
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-533/13
62013CC0533

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 20 novembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑533/13

Auto- ja Kuljetusalan Työntekijäliitto AKT ry

contre

Öljytuote ry,

Shell Aviation Finland Oy

[demande de décision préjudicielle formée par le työtuomioistuin (Finlande)]

«Travail intérimaire — Directive 2008/104/CE — Article 4, paragraphe 1 — Interdictions ou restrictions concernant le recours aux travailleurs intérimaires — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 28 — Droit de négociation et d’actions collectives — Contrôle de la compatibilité d’une clause de convention collective avec le droit de l’Union — Rôle du juge national — Litige horizontal»

I – Introduction

1.

La présente affaire offre à la Cour l’occasion d’interpréter, pour la première fois, la directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire ( 2 ).

2.

Le työtuomioistuin (tribunal du travail, Finlande) est saisi d’un recours intenté par le syndicat finlandais des travailleurs des transports visant à faire condamner une entreprise de ce secteur ainsi qu’une association patronale pour violation d’une clause de la convention collective applicable, et notamment de sa clause relative au recours au travail intérimaire. La juridiction finlandaise s’interroge sur le point de savoir si cette dernière constitue une restriction injustifiée concernant le recours aux travailleurs intérimaires qui serait incompatible avec l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/104 et si cette clause devrait donc être laissée inappliquée.

3.

Ce litige au principal touche à certains aspects systémiques du droit de l’Union. D’une part, il implique la recherche d’un équilibre entre le droit social de l’Union et le principe de la libre prestation de services. D’autre part, la Cour peut être amenée à se prononcer sur l’effet direct de la directive 2008/104 dans le cadre d’un litige horizontal qui oppose une entreprise à un syndicat de salariés.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

4.

L’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte»), intitulé «Droit de négociation et d’actions collectives», dispose:

«Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève.»

2. La directive 2008/104

5.

L’article 4 de la directive 2008/104, intitulé «Réexamen des interdictions ou restrictions», dispose:

«1. Les interdictions ou restrictions concernant le recours aux travailleurs intérimaires sont uniquement justifiées par des raisons d’intérêt général tenant, notamment, à la protection des travailleurs intérimaires, aux exigences de santé et de sécurité au travail ou à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement du marché du travail, et d’empêcher les abus.

2. Au plus tard le 5 décembre 2011, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, réexaminent, conformément à la législation, aux conventions collectives et aux pratiques nationales, les restrictions ou interdictions applicables au travail intérimaire afin de vérifier si elles restent justifiées par les raisons visées au paragraphe 1.

3. Lorsque les restrictions et interdictions précitées sont prévues par des conventions collectives, le réexamen visé au paragraphe 2 peut être réalisé par les partenaires sociaux qui ont négocié la convention considérée.

[…]

5. Les États membres informent la Commission du résultat du réexamen visé aux paragraphes 2 et 3 au plus tard le 5 décembre 2011.»

B – Le droit finlandais

1. Les actes législatifs

6.

La directive 2008/104 a été transposée en droit finlandais par la modification des lois 55/2001 sur le contrat de travail [työsopimuslaki (55/2001)] et 1146/1999 sur les travailleurs détachés [lähetetyistä työntekijöistä annettu laki (1146/1999)].

7.

Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, il ressort de l’exposé des motifs du projet de loi modificative que le gouvernement finlandais a considéré l’obligation de réexamen visée à l’article 4 de la directive 2008/104 comme une exigence administrative ponctuelle de réexaminer les restrictions et les interdictions concernant le recours au travail intérimaire et d’informer la Commission du résultat de ce réexamen. Ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, selon ce projet, ledit article 4 n’impose pas aux États membres de modifier leur législation, même dans le cas où une restriction du recours au travail intérimaire ne pourrait être justifiée par des raisons d’intérêt général.

8.

Le 29 novembre 2011, le gouvernement finlandais a communiqué à la Commission les résultats du réexamen prévu à l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la directive 2008/104.

2. Les conventions collectives

9.

La convention collective générale conclue en 1997 entre les organisations centrales représentant respectivement les employeurs et les syndicats ( 3 ) (ci-après la «convention générale de 1997») stipule, à son article 8, paragraphe 3:

«Les entreprises doivent limiter le recours au travail intérimaire à l’amortissement des pointes de travail ou à d’autres tâches, limitées dans le temps ou leur nature, que, pour des raisons d’urgence, de durée limitée, de compétences professionnelles, d’emploi d’instruments spécialisés ou d’autres raisons similaires, elles ne peuvent pas faire effectuer par leur propre personnel.

Le louage de main-d’œuvre est une pratique déloyale si les travailleurs intérimaires employés par les entreprises qui ont recours à une main-d’œuvre extérieure effectuent pendant une longue durée le travail normal de l’entreprise, aux côtés des travailleurs permanents de celle-ci, et sont placés sous la même direction.

[…]»

10.

La convention collective du secteur des camions-citernes et des produits pétroliers (ci-après la «convention sectorielle») contient une disposition analogue à sa clause 29, paragraphe 1.

III – Le litige au principal

11.

Auto- ja Kuljetusalan Työntekijäliitto AKT ry (ci-après «AKT») est le syndicat qui représente notamment les salariés du secteur des camions-citernes et des produits pétroliers.

12.

Shell Aviation Finland Oy (ci-après «Shell») livre du carburant dans 18 aéroports établis en Finlande. Elle est membre de l’association des employeurs du secteur des carburants, Öljytuote ry (ci-après «Öljytuote»).

13.

AKT a saisi la juridiction de renvoi d’une demande visant à faire condamner Öljytuote et Shell au paiement de la pénalité financière prévue à l’article 7 de la loi 36/1946 sur les conventions collectives [työoehtosopimuslaki (36/1946)], au motif pris de la violation de la clause 29, paragraphe 1, de la convention sectorielle. Dans son recours, AKT fait valoir que Shell emploie régulièrement depuis l’année 2008 du personnel intérimaire, à une échelle considérable, pour effectuer des tâches identiques à celles effectuées par ses propres travailleurs. Cet usage de main-d’œuvre intérimaire constituerait une pratique déloyale au sens de la disposition conventionnelle litigieuse.

14.

Les parties défenderesses rétorquent que le recours à des travailleurs intérimaires était justifié par des motifs légitimes, dès lors qu’il visait pour l’essentiel à assurer le remplacement des travailleurs pendant les périodes de congé annuel et de congé de maladie. En outre, elles font valoir que la clause 29, paragraphe 1, de la convention sectorielle contient une restriction qui ne peut être justifiée par les raisons visées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2008/104. Selon elles, la juridiction nationale est tenue d’écarter l’application des dispositions conventionnelles contraires à la directive 2008/104.

15.

La juridiction de renvoi indique que, bien que la portée de l’obligation imposée aux États membres à l’article 4 de la directive 2008/104 suscite des doutes, cette disposition peut être interprétée comme imposant auxdits États membres une obligation de veiller à ce que leur ordre juridique ne comporte pas de restrictions ou d’interdictions injustifiées en matière de travail intérimaire. Or, selon la juridiction de renvoi, la clause 29, paragraphe 1, de la convention sectorielle suit une approche différente de celle prévue par la directive 2008/104 en ce qu’il interdit l’emploi de travailleurs intérimaires, sauf dans certains cas précis, dans le but de protéger les travailleurs permanents des entreprises.

16.

En outre, la juridiction de renvoi s’interroge sur les conséquences qu’il conviendrait de tirer de l’éventuelle incompatibilité d’une disposition nationale avec la directive 2008/104 dans une affaire telle que celle au principal, qui concerne un litige entre particuliers.

IV – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

17.

C’est dans ce contexte que le työtuomioistuin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Convient-il d’interpréter l’article 4, paragraphe 1, de la directive [2008/104] en ce sens qu’il impose aux autorités nationales, y compris les juridictions, une obligation continue de s’assurer, par les moyens à leur disposition, de ce qu’il n’existe pas de dispositions légales ou de clauses de conventions collectives nationales qui soient contraires aux règles fixées par la[dite] directive ou, s’il en existe, qu’elles ne sont pas appliquées?

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