Opinion of Advocate General Pikamäe delivered on 15 April 2021.
Jurisdiction | European Union |
Date | 15 April 2021 |
Court | Court of Justice (European Union) |
Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PRIIT PIKAMÄE
présentées le 15 avril 2021 (1)
Affaire C‑564/19
Procédure pénale
contre
IS
[demande de décision préjudicielle formée par le Pesti Központi Kerületi Bíróság (tribunal central d’arrondissement de Pest, Hongrie)]
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2012/13/UE – Droit à l’interprétation et à la traduction – Directive 2010/64/UE – Droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales – Directive 2016/343/UE – Droit à un recours effectif et à un tribunal impartial – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 267 TFUE – Recevabilité – Pourvoi dans l’intérêt de la loi contre une décision ordonnant un renvoi préjudiciel – Pouvoir de la juridiction supérieure de déclarer illégale cette décision »
1. Comment déterminer si la décision préjudicielle sollicitée est nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » au sens de l’article 267, paragraphe 2, TFUE ? Comment interpréter cette notion de « rendre son jugement » qui constitue la clé du prétoire préjudiciel ? La question n’est assurément pas nouvelle, mais elle a pris une dimension toute particulière dans le cadre des très, trop, nombreuses affaires d’atteintes alléguées à l’État de droit et à l’indépendance de la justice traitées par la Cour ou en cours d’examen. Force est de constater que sont régulièrement soumises à la Cour des questions préjudicielles qui, parfois, sont autant d’appels au secours de juges nationaux inquiets ou même inquiétés par l’exercice de procédures disciplinaires et auxquelles il doit être répondu en respectant l’orthodoxie de cette voie de droit singulière qu’est le renvoi préjudiciel.
2. Dans l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, ci-après l’« arrêt Miasto Łowicz », EU:C:2020:234), la Cour a cherché à consolider sa jurisprudence en matière de recevabilité des demandes de décision préjudicielle dans ce domaine si sensible, dans lequel la notion d’« autorité de chose jugée » peut revêtir une dimension autre que strictement juridique. La présente affaire donne l’occasion à la Cour de préciser la portée de cet arrêt en répondant, notamment, à une interrogation inédite relative à une décision d’illégalité d’une ordonnance de renvoi préjudiciel adoptée par une juridiction supérieure statuant en dernier ressort, sans que soient affectés les effets juridiques de ladite ordonnance.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
3. Outre certaines dispositions de droit primaire, à savoir les articles 19 TUE, 267 TFUE et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), sont également pertinents dans le cadre de la présente affaire les articles 2 et 5 de la directive 2010/64/UE (2), les articles 1er, 6 et 8 de la directive 2012/13/UE (3) ainsi que les articles 1er et 8 de la directive (UE) 2016/343 (4).
B. Le droit hongrois
1. Règles relatives au droit de la personne mise en cause d’utiliser sa langue maternelle
4. L’article 78, paragraphe 1, de l’a büntetőeljárásról szóló 2017. évi XC. törvény (loi XC de 2017 instituant le code de procédure pénale) (Magyar Közlöny 2017/99., p. 9484, ci‑après le « code de procédure pénale ») prévoit, en substance, que, si une partie à une procédure pénale souhaite utiliser à titre de langue maternelle une langue autre que le hongrois, elle a le droit d’utiliser sa langue maternelle et d’être assistée d’un interprète.
5. En vertu de l’article 201, paragraphe 1, du code de procédure pénale, seul un interprète ayant une qualification officielle peut être désigné dans une procédure pénale, mais, si cela n’est pas possible, un interprète ayant une connaissance suffisante de la langue peut aussi être désigné.
6. Aux termes de l’article 755, paragraphe 1, sous a) et aa), du code de procédure pénale, dans le cas où la personne mise en cause, demeurant à une résidence connue à l’étranger, est dûment convoquée et ne se présente pas à l’audience, la procédure pénale doit être poursuivie par défaut s’il n’y a pas lieu d’émettre un mandat d’arrêt européen ou international, ou si un tel mandat n’est pas émis, étant donné que le procureur ne propose pas l’infliction d’une peine privative de liberté ou d’un placement dans un centre d’éducation surveillée.
7. En vertu de l’article 2 de l’a szakfordításról és tolmácsolásról szóló 24/1986. (VI.26.) minisztertanácsi rendelet (décret 24/1986 du Conseil des ministres sur la traduction et l’interprétation officielles) (Magyar Közlöny 1986/24.), une traduction ou une interprétation spécialisée ne peut être fournie contre rémunération dans le cadre d’un contrat de travail ou une autre relation visant à l’exécution d’un travail que par un traducteur ou un interprète disposant des qualifications requises. L’administration et la gestion centrale des services de traduction ou d’interprétation relèvent de la compétence du ministre de la Justice. Depuis le 1er octobre 2009, la certification des qualifications professionnelles des interprètes exerçant leur activité comme activité non salariée n’est plus réglementée.
8. L’a szakfordító és tolmácsképesítés megszerzésének feltételeiről szóló 7/1986. (VI.26) MM rendelet (décret 7/1986 du ministre de l’Éducation sur les exigences de l’obtention de la qualification de traducteur et d’interprète) (Magyar Közlöny 1986/24.) prévoit qu’ont la qualification de traducteur et interprète spécialisés les personnes ayant une qualification de traducteur spécialisé, de traducteur-réviseur spécialisé, d’interprète, d’interprète spécialisé et d’interprète de conférence. Ces qualifications peuvent être obtenues dans les établissements d’enseignement supérieur en formation de base ou en formation continue, ainsi que dans les établissements désignés par le ministre de la Culture. Le règlement définit également les conditions dans lesquelles les qualifications peuvent être obtenues, mais ne prévoit aucune certification de la satisfaction de ces conditions.
2. Règles relatives à la procédure préjudicielle et au recours dans l’intérêt de la loi
9. L’article 490, paragraphes 1 et 2, du code de procédure pénale prévoit, en substance, qu’une juridiction nationale peut, d’office ou à la demande des parties, surseoir à statuer et se tourner vers la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre du renvoi préjudiciel en formulant des questions préjudicielles.
10. L’article 513, paragraphe 1, sous a), du code de procédure pénale dispose que l’ordonnance de renvoi n’est pas susceptible de recours ordinaire.
11. L’article 491, paragraphe 1, sous a), du code de procédure pénale prévoit, en substance, que la procédure pénale suspendue doit être reprise si les motifs entraînant la suspension ont cessé d’exister.
12. L’article 667, paragraphe 1, du code de procédure pénale dispose que le procureur général peut lancer une procédure de recours extraordinaire, intitulée « recours dans l’intérêt de la loi », pour faire constater l’illégalité, par la Kúria (Cour suprême, Hongrie, ci-après la « Kúria »), des arrêts et ordonnances rendus par les juridictions inférieures.
13. L’article 669 du code de procédure pénale prévoit ce qui suit :
« 1. Si la Kúria juge fondé le recours formé dans l’intérêt de la loi, elle constate, dans un arrêt, que la décision dont il est fait grief est illégale et, dans le cas contraire, elle rejette le recours par voie d’ordonnance.
2. La Kúria peut, lorsqu’elle constate l’illégalité de la décision en cause, acquitter le prévenu, écarter un traitement médical forcé, mettre fin à la procédure, infliger une peine plus légère ou appliquer une mesure plus légère, annuler la décision attaquée et, le cas échéant, renvoyer l’affaire devant la juridiction en charge en vue d’une nouvelle procédure.
3. En dehors des cas visés au paragraphe 2, la décision de la Kúria se limite à la seule constatation de l’illégalité.
[...] »
II. Le litige au principal et les questions préjudicielles
14. La juridiction de renvoi, qui siège en tant que juge unique du Pesti Központi Kerületi Bíróság (tribunal central d’arrondissement de Pest, Hongrie) (ci‑après le « juge de renvoi »), est saisie des poursuites engagées contre le prévenu, IS, sur le fondement d’un acte de poursuite établi le 26 février 2018 par le procureur des Ve et XIIIe arrondissements de Budapest (Hongrie) pour une infraction présumée à la législation sur les armes et les munitions. Ce prévenu, un ressortissant suédois d’origine turque, a été arrêté en Hongrie le 25 août 2015 et a été entendu en tant que suspect le même jour. Préalablement à l’audition, ce dernier a demandé l’assistance d’un avocat et d’un interprète. Lors de l’audition, à laquelle l’avocat n’a pas pu assister, le prévenu a été informé par l’intermédiaire de l’interprète des soupçons qui pesaient sur lui mais a refusé de déposer parce qu’il ne pouvait pas consulter son avocat. Le prévenu a été remis en liberté après l’audition.
15. Le prévenu séjourne en dehors de la Hongrie et la convocation en justice est revenue avec la mention « non réclamée ». En présence de réquisitions du ministère public portant sur une simple peine d’amende, la juridiction de renvoi est tenue, selon le droit national, de poursuivre la procédure par défaut. Lors de l’audience, la défense du prévenu a présenté une demande tendant à l’introduction d’une demande de décision préjudicielle, à laquelle il a été fait droit.
16. Dans la demande de décision préjudicielle, le juge de renvoi observe que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2010/64 dispose que les États membres doivent prendre des mesures concrètes pour assurer que l’interprétation et la traduction fournies correspondent à la qualité exigée à l’article 2, paragraphe 8, et à l’article 3, paragraphe 9, de cette directive, ce qui signifierait que...
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