Blaise Baheten Metock and Others v Minister for Justice, Equality and Law Reform.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:335
Docket NumberC-127/08
Celex Number62008CP0127
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 June 2008

PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MIGUEL POIARES MADURO

présentée le 11 juin 2008 (1)

Affaire C‑127/08

Blaise Baheten Metock,

Hanette Eugenie Ngo Ikeng,

Christian Joel Baheten,

Samuel Zion Ikeng Baheten,

Hencheal Ikogho,

Donna Ikogho,

Roland Chinedu,

Marlene Babucke Chinedu,

Henry Igboanusi,

Roksana Batkowska

contre

Minister for Justice, Equality and Law Reform

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court (Irlande)]

«Droit des citoyens de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire d’un État membre – Conjoint ressortissant d’un État tiers»





1. Le présent renvoi, qui fait l’objet de la procédure accélérée prévue à l’article 104 bis du règlement de procédure de la Cour, a trait à l’étendue du droit de séjour des ressortissants de pays tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union. La question est sensible car elle conduit à faire le partage entre ce qui relève des dispositions relatives à la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union et ce qui se rattache au contrôle de l’immigration, matière pour laquelle les États membres restent compétents tant que et dans la mesure où la Communauté européenne n’a pas procédé à une harmonisation complète. L’envergure constitutionnelle du sujet explique la vivacité du débat, pas moins de dix États membres étant intervenus au soutien du gouvernement défendeur au principal pour contester l’interprétation défendue par les requérantes au principal et la Commission des Communautés européennes. Il est vrai également que les prises de position précédentes de la Cour ont contribué à l’alimenter, la cohérence de la ligne jurisprudentielle dessinée n’apparaissant pas avec évidence. Aussi les questions préjudicielles relatives à l’interprétation de la directive 2004/38/CE (2) qui ont été renvoyées dans les présentes affaires offrent à la Cour une bonne occasion de clarification.

I – Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

2. Le présent renvoi préjudiciel est le fait de la High Court (Ireland) dans le cadre d’un litige concernant quatre procédures jointes visant à contester le refus d’octroi d’une autorisation de séjour à un ressortissant d’un pays tiers marié à une citoyenne de l’Union établie en Irlande. Dans chacune des quatre affaires, un ressortissant d’un pays tiers est entré directement en Irlande et a déposé une demande d’asile politique, laquelle a été rejetée. Postérieurement à son arrivée en Irlande, l’intéressé a épousé une ressortissante d’un autre État membre établie et travaillant en Irlande. À la suite de ce mariage, il a demandé une carte de séjour («residence card») en tant que conjoint d’un ressortissant d’un État membre séjournant légalement en Irlande. Celle-ci lui a été refusée par le Ministre de la justice, au motif que le demandeur n’a pas été en mesure de prouver qu’il avait légalement séjourné dans un autre État membre avant son arrivée en Irlande, ainsi que l’exige la réglementation irlandaise adoptée pour transposer la directive 2004/38. Les demandeurs se sont alors pourvus contre ces décisions ministérielles de refus de titre de séjour, en faisant valoir que la condition de séjour légal préalable dans un autre État membre exigé par la législation irlandaise et dont le non-respect a justifié les refus contestés est contraire aux dispositions de la directive 2004/38.

3. C’est pourquoi, afin de pouvoir examiner le bien-fondé des recours dirigés contre les décisions de refus de titre de séjour litigieuses, la juridiction de renvoi estime nécessaire d’interroger en substance la Cour sur le point de savoir si le bénéfice des dispositions de la directive 2004/38, plus précisément du droit de séjour au profit du conjoint non communautaire d’un citoyen de l’Union peut-être subordonné à la condition d’un séjour légal dans un autre État membre avant l’arrivée de ce dernier dans l’État membre d’accueil. C’est l’objet de la première question préjudicielle. À supposer que tel ne soit pas le cas, il resterait encore à déterminer si les ressortissants de pays tiers ne pourraient pas en l’espèce se voir néanmoins refuser le bénéfice des dispositions de la directive 2004/38, l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive réservant le droit de se prévaloir de ses dispositions aux membres de la famille qui «accompagnent» ou «rejoignent» un citoyen de l’Union, tandis qu’ils ne se sont mariés qu’après leur arrivée sur le sol irlandais. D’où les deuxième et troisième questions préjudicielles qui ont trait, en substance, à l’incidence de la date du mariage sur l’applicabilité de la directive 2004/38. Ce sont ces deux points que j’examinerai successivement.

II – Appréciation

A – La compatibilité de l’exigence de séjour légal préalable dans un autre État membre avec la directive 2004/38

4. Se demander si la directive 2004/38 permet de subordonner le bénéfice du droit de séjour qu’elle octroie aux ressortissants d’un pays tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union, dans l’État membre d’accueil à la condition d’un séjour légal préalable dans un autre État membre, c’est s’interroger sur le champ d’application dudit texte: celui-ci ne s’applique-t-il qu’aux familles qui étaient établies dans un État membre avant de se rendre dans l’État membre d’accueil? Autrement dit, la directive 2004/38 ne garantit-elle que la libre circulation des membres non communautaires de la famille d’un citoyen de l’Union sur le territoire de l’Union ou également, dans certains cas, l’accès de ces derniers au territoire de l’Union?

5. La directive 2004/38 ne donne pas de réponse explicite. Elle se borne à reconnaître, dans ses articles 6, 7 et 16, un droit de séjour aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre «et qui accompagnent ou rejoignent le citoyen de l’Union». L’exégèse dudit texte n’offrant pas de secours, il convient de se référer à ses objectifs. La directive 2004/38 tend à garantir le «droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres» conféré aux citoyens de l’Union directement par l’article 18 CE (3). C’est donc à la lumière du droit fondamental de circulation et de séjour des citoyens de l’Union que doivent être interprétées les dispositions de ladite directive. Les droits qu’elle prévoit doivent être compris dans une optique fonctionnelle, de manière à ce que leur soit reconnue seulement la portée mais toute la portée nécessaire pour assurer l’effectivité du droit de circulation et de séjour des citoyens de l’Union. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si la jouissance pleine et entière par le citoyen de l’Union de son droit de séjour implique que le droit de séjour des membres non communautaires de la famille d’un citoyen de l’Union, qui est un droit dérivé et dépendant de celui du citoyen de l’Union (4), comporte un droit d’entrée sur le territoire de l’Union.

6. À cette approche et à la réponse qui peut en découler, les États membres intervenants ne sauraient valablement opposer le partage vertical constitutionnel des compétences. S’il est vrai que les États membres demeurent en principe compétents en matière de contrôle de l’immigration, donc d’admission de ressortissants de pays tiers en provenance de l’extérieur du territoire communautaire, il ne saurait en être déduit que la directive 2004/38 ne porte que sur la circulation entre États membres des citoyens de l’Union et des membres de leur famille et non sur l’accès de ces derniers au territoire de l’Union. Il est, en effet, de jurisprudence établie que les États membres doivent exercer leurs compétences nationales dans le respect du droit communautaire et, en particulier, des libertés fondamentales de circulation (5). Il a ainsi déjà été expressément dit pour droit que les exigences du respect de la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union pouvaient contraindre l’exercice par les États membres de leurs compétences (6), notamment de celles dont ils disposent en matière de contrôle de l’immigration (7).

7. Pour contester l’applicabilité de la directive 2004/38 à la question de l’entrée des membres non communautaires de la famille d’un citoyen de l’Union sur le territoire de la Communauté, il ne saurait davantage être à bon droit mis en avant l’agencement des compétences communautaires tel qu’il ressort des différentes bases juridiques prévues par le traité CE. Certes, seul le titre IV du traité CE permet l’adoption d’actes législatifs communautaires en matière d’immigration et de contrôle aux frontières extérieures (8), alors que la directive 2004/38 est basée sur le titre III du traité CE. Mais cette dernière ne réglemente directement que les droits des citoyens de l’Union, ceux des membres de leur famille ne sont appréhendés que dans la mesure où ils constituent l’accessoire des précédents. Le fait que, ce faisant, elle puisse avoir une incidence sur la matière du contrôle de l’immigration n’emporte pas empiètement sur la compétence fondée sur le titre IV, dès lors que son objet essentiel se borne à garantir l’exercice du droit de circulation et de séjour des citoyens de l’Union.

8. Il reste donc à déterminer si le plein effet des droits attachés à la citoyenneté de l’Union suppose que le droit de séjour conféré aux membres de la famille du citoyen de l’Union par la directive 2004/38 puisse comprendre, dans certains cas, un droit d’accès au territoire communautaire. À cet effet, il importe en premier lieu de rappeler l’accent itératif mis tant par le législateur (9) que par la Cour (10) sur l’importance de la protection de la vie familiale des ressortissants des États membres en vue de l’élimination des obstacles à l’exercice des libertés fondamentales...

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