Marc Rich & Co. AG contra Società Italiana Impianti PA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1991:58
Docket NumberC-190/89
Celex Number61989CC0190
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date19 February 1991
61989C0190

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 19 février 1991 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

L'interprétation de la convention de Bruxelles (ci-après « convention ») suscite maintes difficultés, car la complexité propre à cette matière se conjugue avec l'utilisation de notions définies avec précision dans les droits nationaux, mais de manière souvent divergente entre elles, ce qui vous conduit fréquemment à en dégager une signification autonome. Pour s'acquitter de cette mission, les objectifs de la convention, assurer la « libre circulation des jugements », constituent de solides repères permettant d'écarter des solutions qui provoqueraient la multiplication des procès devant des juridictions différentes et le risque corrélatif d'inconci-liabilité des décisions ( 1 ).

2.

Ces préoccupations constantes et justifiées de votre jurisprudence rencontrent cependant une évidente limite: celle que trace le champ d'application de la convention lui-même. La présente affaire préjudicielle, relative à la portée de l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention, excluant l'arbitrage de son champ d'application, doit être l'occasion de rappeler à cet égard que, pour constructive et déterminée qu'elle soit, votre interprétation de ce traité ne peut conduire à s'affranchir de son libellé, de son économie et de la cohérence de ses dispositions.

3.

Ces remarques préliminaires nous sont inspirées par certaines des analyses qui sont développées en l'espèce, invoquant de manière quelque peu rituelle les objectifs de la convention et délaissant toute autre considération, serait-elle dictée par la logique de ce texte et les spécificités du problème en cause: l'arbitrage international. A ce propos, la présente difficulté ne peut être abordée sans avoir tout d'abord évoqué l'importance fondamentale que l'arbitrage revêt aujourd'hui au sein de la « communauté internationale des commerçants », pour reprendre ici l'expression consacrée par la doctrine ( 2 ). A la faveur de l'expansion du commerce mondial, l'arbitrage international est devenu à l'échelle universelle le « mode le plus fréquent de résolution des litiges du commerce international » ( 3 ). Cette tendance lourde ( 4 ) peut être illustrée par cette disposition de l'acte final de la conférence de Helsinki (CSCE) en date du 1er août 1975:

« Les États participants, considérant que le règlement rapide et équitable des litiges pouvant résulter des transactions commerciales en matière d'échanges de biens et de services et de contrats de coopération industrieile contribuerait à l'expansion et à la promotion du commerce et de la coopération; considérant que l'arbitrage est un moyen approprié de régler de tels litiges, recommandent aux organismes, entreprises et firmes de leurs pays d'inclure, le cas échéant, des clauses d'arbitrage dans les contrats commerciaux et les contrats de coopération industrielle ou dans les conventions spéciales; recommandent que les dispositions d'arbitrage prévoient l'arbitrage dans le cadre d'un ensemble de règles mutuellement acceptables, et permettent l'arbitrage dans un pays tiers, tout en tenant compte des accords intergouvernementaux et autres existant dans ce domaine. »

4.

L'auteur d'un ouvrage majeur consacré à la convention de New York de 1958 ( 5 ) — principal instrument multilatéral en matière d'arbitrage — décrit parfaitement les besoins profonds auxquels répond le recours à l'arbitrage international et qui marquent sa spécificité très nette par rapport à l'arbitrage interne :

« The foreign court can be an alien environment for a businessman because of his unfamiliarity with the procedure which may be followed, the laws to be applied, and even the mentality of the foreign judges. In contrast, with international commercial arbitration parties coming from different legal systems can provide for a procedure which is mutually acceptable. They can anticipate which law shall be applied: a particular law or even a lex mercatoria of a trade. They can also appoint a person of their choice having expert knowledge in the field. »

Et l'auteur de poursuivre:

« These and other advantages are only potential until the necessary legal framework can be internationally secured. This legal framework should at least provide that the commitment to arbitrate is enforceable and that the arbitral decision can be executed in many countries, precluding the possibility that a national court review the merits of the decision. »

5.

Or, la décision que vous êtes appelés à prendre en l'espèce n'est pas sans incidence sur la stabilité juridique offerte à l'arbitrage international sur le territoire de la Communauté. En effet, quelques-unes des thèses qui vous sont suggérées pourraient être de nature à provoquer, si vous étiez amenés à les consacrer, la remise en cause de principes bien acquis en perturbant pour une période indéterminée les expectatives en la matière. Au demeurant, votre Cour ne peut l'ignorer, il existe sur le territoire de la Communauté européenne des places majeures de l'arbitrage international dont le développement a été favorisé, au cours de la période récente, par une intense activité doctrinale, législative et jurisprudentielle. C'est dire qu'une attention minutieuse doit être portée à l'examen de la difficulté que soulève la question préjudicielle que vous adresse la Court of Appeal.

6.

Le traité de Rome, et alors que le droit communautaire est par ailleurs loin de ne comporter aucune relation avec l'arbitrage ( 6 ), avait prévu dans son article 220:

« Les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants:

...

la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires ainsi que des sentences arbitrales. »

7.

En dépit du libellé de cette disposition, la convention de Bruxelles a prévu, dans son article 1er, dont le texte a été maintenu inchangé sur ce point par les conventions d'adhésion:

« La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction...

Sont exclus de son application:

1)

l'état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions;

2)

les faillites, concordats et autres procédures analogues;

3)

la sécurité sociale;

4)

l'arbitrage» ( 7 ).

8.

Sans aborder à ce stade la question de savoir quelle portée accorder à cette disposition, rappelons-en ici les motifs tels qu'exposés par le rapport du comité d'experts ayant élaboré le projet de convention:

« De nombreux accords internationaux règlent déjà la matière de l'arbitrage, qui est également mentionnée à l'article 220 du traité de Rome. En outre, le Conseil de l'Europe a élaboré une convention européenne portant loi uniforme en matière d'arbitrage qui sera vraisemblablement assortie d'un protocole destiné à faciliter, davantage que ne le fait la convention de New York, la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales » ( 8 ).

9.

Un bref rappel historique de l'élaboration des conventions internationales dans le domaine de l'arbitrage international est ici nécessaire ( 9 ). Jusqu'après la Première Guerre mondiale, le droit en la matière se trouvait soumis presque exclusivement ( 10 ) aux droits nationaux, qui, à l'instar des tribunaux, marquaient une fréquente défaveur à l'endroit de l'arbitrage. Le développement de l'arbitrage international consécutif à la fin du premier conflit mondial allait conduire à une importante activité normative internationale sous l'égide de la Société des nations ( 11 ). L'adoption du protocole de Genève de 1923 ( 12 ), affirmant la validité des clauses compromissoires alors prohibées par de nombreux droits nationaux et instituant pour les juridictions étatiques une obligation de renvoyer à l'arbitrage en présence d'un litige pour lequel une convention d'arbitrage avait été conclue, puis, en 1927 ( 13 ), de la convention de Genève sur l'exécution des sentences étrangères, entraînait une amélioration de la situation juridique de l'arbitrage international.

10.

Cependant, certains aspects restrictifs de ces conventions limitaient encore l'impact de leur contribution à un fonctionnement pleinement satisfaisant de l'arbitrage international ( 14 ). Notamment, l'interprétation retenue pour l'article 1er de la convention de Genève de 1927, exigeant que la sentence à reconnaître ou à exécuter soit devenue définitive dans le pays où elle a été rendue, conduisit fréquemment à imposer un « double exequatur », le premier des juridictions de la place de l'arbitrage, le second des juridictions de l'État requis. Aussi, la fin du second conflit mondial vit se poursuivre la recherche de solutions internationales. C'est dans le cadre des travaux du Comité économique et social des Nations unies que devait ainsi être élaboré le projet de la convention de New York du 10 juin 1958. Ce texte, qui comporte de nombreuses et significatives modifications par rapport aux conventions de Genève ( 15 ), a trait à deux facettes essentielles de l'arbitrage commercial international: l'efficacité des conventions d'arbitrage ( 16 ) et l'exécution des sentences arbitrales. Il faut notamment souligner que l'exigence du « double exequatur » a été supprimée. Plus de 80 États, dont onze de la CEE ( 17 ), ont adhéré à cette convention, moteur de l'arbitrage international contemporain.

« The modern tendency is for a coming together of the different systems of law which govern the procedural aspects of international commercial arbitration...

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