Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 25 May 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:437
Date25 May 2023
Celex Number62022CC0010
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 25 mai 2023 (1)

Affaire C10/22

Liberi editori e autori (LEA)

contre

Jamendo SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale ordinario di Roma (tribunal de Rome, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2014/26/UE – Gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins – Organismes de gestion collective – Entités de gestion indépendantes – Accès à l’activité de gestion des droits d’auteur – Directive 2000/31/CE – Services de la société de l’information – Article 3 – Libre circulation des services de la société de l’information – Directive 2006/123/CE – Article 16 – Libre prestation des services – Article 17 – Dérogations – Article 56 TFUE »






Introduction

1. La genèse de la gestion collective des droits d’auteur remonte au XVIIIe siècle, avec la création, à l’initiative de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, auteur de pièces de théâtre indigné des pratiques jugées abusives de la Comédie française, d’un groupement d’écrivains de théâtre, devenu par la suite la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. En Italie, c’est en 1882 qu’a été créée, par des personnages tels que Giuseppe Verdi, Giosuè Carducci et Edmondo De Amicis, la Società Italiana degli Autori, devenue la Società Italiana degli Autori ed Editori (ci-après la « SIAE »), en activité encore à ce jour.

2. La raison d’être de la gestion collective des droits d’auteur ne se résume pas à la défense, plus efficace car collective, des intérêts des titulaires des droits vis-à-vis des utilisateurs des œuvres (2). En effet, la multitude de voies de diffusion des œuvres et d’acteurs qui y prennent part, renforcée par l’internationalisation de la culture et, donc, de l’exploitation des œuvres, rendent souvent inefficace, sinon impossible, la gestion individuelle par les auteurs de leurs droits. Seul un organisme représentant plusieurs auteurs, doté d’une structure administrative appropriée, est en mesure de délivrer, de manière efficace et économiquement viable, les autorisations d’exploitation des œuvres aux différents utilisateurs, de percevoir et de répartir entre les titulaires les rémunérations dues ainsi que de contrôler le respect, par les utilisateurs, des conditions d’exploitation des œuvres, y compris de poursuivre les contrefaçons.

3. La gestion collective ne bénéficie cependant pas uniquement aux titulaires des droits. Les utilisateurs en profitent aussi, car ils ont la possibilité de s’adresser, aux fins de l’obtention des autorisations d’exploitation de plusieurs œuvres, à un seul organisme, sans besoin de rechercher les différents titulaires des droits d’auteur et de contracter individuellement avec eux.

4. Ce besoin d’efficacité, tant du côté des titulaires des droits que des utilisateurs, a conduit à une situation de monopole des organismes de gestion collective dans leurs pays respectifs. Ce monopole peut avoir un caractère légal, comme c’était encore récemment le cas de la SIAE en Italie, ou de facto, lorsque plusieurs organismes de gestion collective coexistent, en étant toutefois spécialisés en fonction des catégories d’œuvres ou de droits qu’ils gèrent, de sorte que chaque organisme détient le monopole dans son domaine d’activité. Sur le plan international, si chaque organisme de gestion collective délivre des autorisations d’exploitation pour son propre territoire, conformément au principe de territorialité du droit d’auteur, grâce à un réseau d’accords de représentation réciproque, il est en mesure de proposer des autorisations pour les œuvres appartenant aux répertoires des organismes d’autres pays, c’est-à-dire, dans la pratique, du monde entier.

5. Un tel système a bien entendu d’importants avantages. Premièrement, du point de vue des utilisateurs, il permet, moyennant le paiement d’une seule redevance, souvent forfaitaire, d’accéder à pratiquement toutes les œuvres d’une catégorie donnée présentes sur le marché et de les utiliser sans souci de commettre éventuellement une infraction aux droits d’auteur. Deuxièmement, ce système permet aux artistes moins connus et aux œuvres ayant un public plus réduit, notamment pour des raisons culturelles et linguistiques, de coexister sur le marché à pied d’égalité avec les artistes plus populaires auprès du public, sans que les utilisateurs « piochent » dans les répertoires uniquement les œuvres les plus populaires et, donc, les plus rentables. Troisièmement, le système d’autorisations territoriales et d’accords de représentation permet aux organismes qui gèrent des répertoires plus « petits » de percevoir une partie des recettes provenant de l’utilisation, sur leurs territoires, des œuvres de renommée internationale, sans quoi la gestion de leur propre répertoire pourrait ne pas être rentable du fait des coûts fixes élevés qu’une telle gestion engendre. Enfin, quatrièmement, le contrôle de l’exploitation des œuvres et la poursuite des contrefaçons sont également organisés selon le principe de territorialité, ce qui facilite fortement ce contrôle et permet d’en limiter les frais.

6. Cependant, ce système de gestion collective basé sur le monopole et la territorialité doit faire face à deux enjeux majeurs, le premier d’ordre légal, le second d’ordre factuel.

7. D’une part, en droit de l’Union, un tel système soulève des questions tant du point de vue du droit de la concurrence que des libertés du marché intérieur. Si les décisions des juridictions de l’Union dans ces deux domaines ont permis d’établir un certain équilibre (3), elles n’ont toutefois pas permis de dissiper tous les doutes concernant la compatibilité de la position de monopole des organismes de gestion collective avec le droit de l’Union.

8. D’autre part, l’apparition du numérique et d’Internet a fortement bouleversé le paysage de la création artistique et de la diffusion des œuvres. Désormais, il n’est plus besoin d’avoir le soutien d’une maison d’édition ou d’un studio pour créer et diffuser des œuvres littéraires, musicales ou audiovisuelles. La diffusion par le biais d’Internet s’avère largement suffisante pour de nombreux auteurs, ce qui simplifie aussi la gestion de leurs droits et rend son exercice individuel bien plus réaliste. En parallèle, un nombre croissant d’utilisateurs individuels d’œuvres n’ont ni les moyens, ni le besoin d’obtenir l’accès à l’ensemble des répertoires des organismes de gestion collective. Au croisement de cette offre et de cette demande sont nées des entités de gestion indépendantes, à caractère purement commercial et opérant souvent par Internet, dont le statut légal et les relations avec les organismes de gestion collective sont encore source de conflits, malgré leur reconnaissance expresse par le législateur de l’Union.

9. C’est dans ces circonstances que la Cour sera appelée à répondre à la question préjudicielle dans la présente affaire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2000/31/CE

10. L’article 2, sous a), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (4) définit les services de la société de l’information comme « les services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE [(5)], telle que modifiée par la directive 98/48/CE ».

11. La directive 98/34 a été abrogée par la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (6). L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34 a été remplacé par l’article 1er, sous b), de la directive 2015/1535, qui est ainsi libellé :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

i) “à distance”, un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes ;

ii) “par voie électronique”, un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques ;

iii) “à la demande individuelle d’un destinataire de services”, un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

[...] »

12. L’article 3 de la directive 2000/31, intitulé « Marché intérieur », dispose :

« 1. Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné.

2. Les État membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

3. Les paragraphes 1 et 2 ne sont pas applicables aux domaines visés à l’annexe.

4. Les États membres peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent au paragraphe 2 si les conditions suivantes sont remplies :

a) les mesures doivent être :

i) nécessaires pour une des raisons suivantes :

– l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine,

– la protection de la santé publique,

– la...

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