Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 16 November 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:885
Date16 November 2023
Celex Number62022CC0316
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 16 novembre 2023 (1)

Affaire C316/22

Gabel Industria Tessile SpA,

Canavesi SpA

contre

A2A Energia SpA,

Energit SpA,

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli,

en présence de :

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Como (tribunal de Côme, Italie)]

(Renvoi préjudiciel – Article 288 TFUE – Effet direct des directives – Effet direct horizontal – Effet direct vertical – « Test » Foster – Entités considérées comme une émanation de l’État – Directive 2008/118/CE – Fournisseur d’électricité – Remboursement de taxes perçues en violation du droit de l’Union – Autonomie procédurale – Principe d’effectivité)






I. Introduction

1. Peu de questions ont autant fasciné des générations entières de juristes européens que celle de l’effet direct des directives. Cette question a donné lieu à d’amples discussions et, dans une certaine mesure, à de grandes controverses, tant au sein des institutions de l’Union que dans les milieux académiques, depuis les années 1960 (2) jusqu’à aujourd’hui (3).

2. Par le passé, un certain nombre d’éminents avocats généraux ont conseillé à la Cour de reconnaître non seulement l’effet direct vertical, mais aussi l’effet direct horizontal des directives non transposées (4), en vue de « guérir », du moins en partie, l’ordre juridique de l’Union de ce qui a été qualifié, dans un célèbre article, de « maladie infantile » du droit de l’Union (5). Néanmoins, la jurisprudence de la Cour est restée assez stable sur ce point. Depuis les arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84), et du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292), la Cour a constamment jugé qu’une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à son encontre (6).

3. Parallèlement, toutefois, la Cour a tenté de tempérer, de plusieurs manières, les effets négatifs que l’absence d’effet direct horizontal des directives est susceptible de produire à l’égard des particuliers. En particulier, la Cour a (i) institué pour les juridictions et autorités nationales l’obligation d’interpréter le droit national, dans toute la mesure du possible, conformément aux dispositions des directives non transposées (7) ; (ii) fait une interprétation large de la notion d’« État membre » et de ses émanations dans ce domaine, afin de couvrir une variété d’organismes et d’entités devant recevoir une telle qualification (8) ; (iii) accepté l’effet direct dans certaines situations triangulaires particulières impliquant deux parties privées et une partie publique (9) ; (iv) accepté l’effet direct de certaines dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de certains principes généraux du droit, dont les dispositions d’une directive peuvent être une manifestation (10) ; et (v) assoupli les conditions pour obtenir gain de cause dans les recours en responsabilité contre les États membres qui n’ont pas transposé les directives (11).

4. La présente affaire offre à la Cour l’occasion de procéder à une réflexion générale sur l’état du droit en la matière et de clarifier davantage certains aspects de sa jurisprudence.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (12), applicable à l’époque des faits au principal (13), disposait :

« Les États membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes [autres que l’accise] sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation [de l’Union] applicables à l’accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, ces règles n’incluant pas les dispositions relatives aux exonérations. »

B. Le droit italien

6. L’article 5 du Decreto Legislativo 2 febbraio 2007, n. 26, Attuazione della direttiva 2003/96/CE che ristruttura il quadro comunitario per la tassazione dei prodotti energetici e dell’elettricità (décret législatif nº 26, du 2 février 2007, mettant en œuvre la directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité) (14) a modifié l’article 6 du Decreto Legge 28 novembre 1988, n. 511, Disposizioni urgenti in materia di finanza regionale e locale (décret-loi nº 511, du 28 novembre 1988, portant dispositions urgentes en matière de finances régionales et locales) (15), en instaurant une taxe provinciale supplémentaire s’ajoutant à l’accise sur l’énergie électrique (ci-après la « taxe supplémentaire »).

7. L’article 2 du Decreto Legislativo 14 marzo 2011, n. 23, Disposizioni in materia di federalismo fiscale municipale (décret législatif nº 23, du 14 mars 2011, portant dispositions relatives au fédéralisme fiscal municipal) (16) disposait que, à partir de 2012, la taxe supplémentaire cessait d’être appliquée dans les régions à statut ordinaire. Par la suite, l’article 4 du Decreto Legge 2 marzo 2012, n. 16, Disposizioni urgenti in materia di semplificazioni tributarie, di efficientamento e potenziamento delle procedure di accertamento (décret-loi nº 16, du 2 mars 2012, portant dispositions urgentes en matière de simplification fiscale, d’amélioration de l’efficacité et de renforcement des procédures de contrôle) (17) a entièrement abrogé la taxe supplémentaire à compter du 1er avril 2012.

8. L’article 14 du Decreto Legislativo 26 ottobre 1995, n. 504, Testo Unico Accise (décret législatif nº 504, du 26 octobre 1995, portant texte unique en matière d’accises, ci-après le « décret législatif nº 504/1995 ») (18) dispose, en son paragraphe I, que « [l]’accise est remboursée lorsqu’il s’avère qu’elle a été indûment payée », en son paragraphe II, que « [l]e remboursement doit être demandé, sous peine de déchéance, dans un délai de deux ans à compter de la date du paiement ou de la date à laquelle le droit s’y rapportant peut être exercé » et, en son paragraphe IV, que « [s]i, à l’issue d’une procédure judiciaire, l’assujetti à l’accise est condamné à restituer à des tiers les sommes indûment perçues au titre de la répercussion de l’accise, le remboursement est demandé par ledit assujetti, sous peine de déchéance, dans un délai de 90 jours à compter de la date à laquelle le jugement imposant le remboursement des sommes devient définitif ».

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

9. Les requérantes au principal, à savoir Gabel Industria Tessile S.p.A et Canavesi S.p.A, sont deux sociétés qui ont chacune conclu avec l’une des défenderesses, à savoir A2A Energia S.p.A. et Energit S.p.A., un contrat pour la fourniture d’électricité à leurs sites de production, et leur ont payé la contrepartie due, incluant les sommes réclamées au cours de la période 2010‑2011 au titre de la taxe supplémentaire.

10. En 2020, les requérantes ont assigné les défenderesses devant le Tribunale di Como (tribunal de Côme, Italie), en vue d’obtenir le remboursement des sommes payées au titre de la taxe supplémentaire au motif que les dispositions nationales instaurant cette taxe étaient incompatibles avec le droit de l’Union.

11. Le Tribunale di Como (tribunal de Côme) indique que, à la suite des arrêts du 8 décembre 2016, Undis Servizi (C‑553/15, EU:C:2016:935), et du 25 juillet 2018, Messer France (C‑103/17, EU:C:2018:587) (19), la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) a jugé que la taxe supplémentaire était contraire à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118.

12. Le Tribunale di Como (tribunal de Côme) ajoute que le litige au principal s’inscrit dans un ensemble de litiges pendants relatifs au sort des sommes indûment payées pendant la période comprise entre l’expiration du délai accordé aux États membres pour se conformer à la directive 2008/118 et la fin de l’application de la taxe supplémentaire ordonnée par le législateur italien. À cet égard, les juridictions inférieures italiennes ont adopté deux approches différentes.

13. Selon la première approche, il convient de rejeter les recours dans la mesure où, étant donné que les défenderesses sont des entreprises privées, le fait de laisser inappliquées les dispositions nationales pertinentes reviendrait à reconnaître un effet direct horizontal aux dispositions de la directive 2008/118. La juridiction de renvoi souligne que le fait de laisser inappliquées les dispositions nationales aurait pour effet de créer une obligation nouvelle à la charge de particuliers, consistant à rembourser à l’utilisateur final les sommes perçues au titre des taxes illégales. En revanche, selon la seconde approche, il convient de faire droit aux recours, puisque, si j’ai bien compris, le principe d’effectivité pourrait obliger les juridictions nationales à appliquer les dispositions d’une directive non transposée même dans le cadre d’un litige entre particuliers.

14. Ainsi, éprouvant des doutes quant à l’interprétation des dispositions et principes pertinents du droit de l’Union, le Tribunale di Como (tribunal de Côme) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) D’une manière générale, le système des sources de droit de l’Union européenne et, plus particulièrement, l’article 288, troisième alinéa, TFUE s’opposent-ils à ce que la juridiction nationale écarte, dans un litige entre des particuliers, l’application d’une disposition de droit interne contraire à une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive non transposée ou mal transposée, avec pour conséquence d’imposer une obligation supplémentaire à un particulier, lorsque cela correspond, dans le régime de droit national […], à la condition préalable pour...

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