Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 7 April 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:284
Date07 April 2022
Celex Number62020CC0616
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 7 avril 2022 (1)

Affaire C616/20

M2Beauté Cosmetics GmbH

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/83/CE – Définition d’un médicament par fonction – Analogue structurel – Preuves scientifiques – Règlement (CE) no 1223/2009 – Produit cosmétique – Effets bénéfiques significatifs sur la santé humaine – Effets nocifs d’un produit »






I. Introduction et questions préjudicielles

1. La beauté est dans les yeux de celui qui regarde. En l’occurrence, c’est littéralement le cas.

2. La requérante au principal a développé et commercialisé le produit « M2 Eyelash Activating Serum » en tant que produit cosmétique. Selon la publicité du fabricant : « Le [sérum] révolutionnaire rend vos cils plus longs et plus épais, il permet une croissance des cils de presque 50 % ! ». Le sérum est un liquide semblable à du gel contenu dans un flacon allongé avec une brosse intégrée ressemblant à un tube d’eye-liner. Il doit être appliqué une fois par jour à la base des cils supérieurs.

3. Cependant, le fabricant du sérum, en plus de fournir à ses clients des cils denses et longs, se trouve actuellement pris dans un imbroglio scientifique et juridique, lui-même dense et complexe. C’est la raison pour laquelle, avant d’entamer l’analyse des questions déférées par la juridiction nationale, une présentation plus détaillée des faits pertinents s’impose.

4. L’histoire commence avec le traitement du glaucome (une pression intraoculaire anormalement élevée). Les médicaments développés pour le traiter, lorsqu’ils sont appliqués directement sur l’œil sous la forme de gouttes oculaires, ont un effet secondaire bien établi d’amélioration de la croissance des cils (2). Le médicament pour le traitement du glaucome a résulté de recherches pharmaceutiques qui ont conduit au développement de prostaglandines synthétiques, qui sont structurellement apparentées aux prostaglandines humaines. L’analogue de prostaglandine « bimatoprost » (BMP) est utilisé comme substance active dans les gouttes oculaires pour le traitement du glaucome.

5. L’effet secondaire de croissance des cils a ultérieurement été constaté et exploité en dehors du traitement du glaucome. Par exemple, aux États-Unis, le BMP et d’autres analogues sont utilisés pour la fabrication de médicaments pour le traitement de l’hypotrichose des cils (3) et en tant que cosmétiques (4). La substance active, lorsqu’elle est utilisée exclusivement pour la croissance des cils, n’est pas appliquée sous la forme de gouttes oculaires, mais elle est plutôt appliquée sur la peau du bord de la paupière supérieure à la base des cils. Une telle méthode utilise approximativement 5 % de la dose de substance active utilisée dans les gouttes oculaires pour le traitement du glaucome et n’exerce aucune influence sur la pression intraoculaire (5).

6. Le « M2 Eyelash Activating Serum » est composé, entre autres, d’une substance active « méthylamide-dihydro-noralfaprostal » (MDN). Cette substance est un analogue structurel du BMP (6). Selon les informations fournies par la requérante au principal, il existe au moins 20 autres produits, vendus en tant que produits cosmétiques à travers l’Union européenne, qui utilisent du MDN ou d’autres analogues structurels comme substance active.

7. Par décision du 29 avril 2014, le Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux, Allemagne, ci-après le « BfArM »), agissant pour le compte de la partie défenderesse au principal, la République fédérale d’Allemagne, a décidé que ce produit était non pas un produit cosmétique, mais un médicament soumis à autorisation de mise sur le marché.

8. À la suite de l’échec de son recours administratif, la requérante au principal a introduit, le 9 novembre 2017, un recours devant la juridiction de renvoi tendant à l’annulation de cette décision.

9. C’est dans ce contexte que le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Aux fins de la classification d’un produit cosmétique en tant que médicament par fonction au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001, qui inclut un examen de toutes les caractéristiques du produit, une autorité nationale est-elle en droit de recourir à une analogie dite « structurelle », pour les besoins de la nécessaire constatation scientifique des propriétés pharmacologiques du produit et des risques qui lui sont liés, lorsque la substance active utilisée constitue une substance nouvelle, qu’elle est comparable, dans sa structure, à des substances actives pharmacologiques déjà connues et étudiées, mais que le demandeur ne produit pas d’études pharmacologiques, toxicologiques ou cliniques complètes sur la nouvelle substance, ses effets et son dosage, qui ne sont requises qu’en cas d’application de la directive 2001/83/CE ?

2) L’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 doit-il être interprété en ce sens qu’un produit qui est mis sur le marché en tant que produit cosmétique et qui modifie de manière significative les fonctions physiologiques par une action pharmacologique ne peut être considéré comme un médicament par fonction que s’il a un effet positif concret bénéfique pour la santé ? Est-il à cet égard également suffisant que le produit ait principalement un effet positif sur l’apparence, qui est bénéfique sur la santé de façon médiate en augmentant l’estime de soi ou le bien-être ?

3) Ou bien s’agit-il d’un médicament par fonction également lorsque son effet positif se limite à améliorer l’apparence sans présenter d’intérêt immédiat ou médiat pour la santé, mais qu’il n’a pas de propriétés uniquement nocives pour la santé, de sorte qu’il n’est pas comparable à une drogue ? »

10. Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, par les gouvernements estonien et grec ainsi que par la Commission européenne.

II. Le cadre juridique

A. La directive sur les médicaments

11. L’objectif de la directive sur les médicaments (7) sur les médicaments est exposé dans ses considérants :

« (2) Toute réglementation en matière de production, de distribution ou d’utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique.

(3) Toutefois ce but doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l’industrie pharmaceutique et les échanges de médicaments au sein de la Communauté ».

12. S’agissant des risques et des bénéfices pour la santé liés aux médicaments, les considérants indiquent en outre :

« (7) Les notions de nocivité et d’effet thérapeutique ne peuvent être examinées qu’en relation réciproque et n’ont qu’une signification relative appréciée en fonction de l’état d’avancement de la science et compte tenu de la destination du médicament. Les documents et renseignements qui doivent être joints à la demande d’autorisation de mise sur le marché doivent démontrer que le bénéfice lié à l’efficacité l’emporte sur les risques potentiels ».

13. L’article 1er, point 2, de la directive sur les médicaments donne deux définitions du médicament :

« médicament :

a) toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ; ou

b) toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical. »

14. L’article 2, paragraphe 2, de la directive sur les médicaments en détermine le champ d’application dans les situations de chevauchement éventuel avec une autre législation :

« En cas de doute, lorsqu’un produit, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, est susceptible de répondre à la fois à la définition d’un “médicament” et à la définition d’un produit régi par une autre législation communautaire, les dispositions de la présente directive s’appliquent. »

15. Les modalités de mise sur le marché des médicaments au titre de la directive sur les médicaments sont fixées à son article 6, paragraphe 1 comme suit :

« Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément aux dispositions du règlement (CE) nº 726/2004 (8), lues en combinaison avec le règlement (CE) nº 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique (9) et le règlement (CE) nº 1394/2007 » (10).

B. Le règlement sur les cosmétiques

16. L’article 1er du règlement sur les cosmétiques (11) en définit les objectifs et le champ d’application comme suit :

« Le présent règlement établit des règles auxquelles doit satisfaire tout produit cosmétique mis à disposition sur le marché, afin de garantir le fonctionnement du marché intérieur et d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine ».

17. Qu’est-ce qu’un produit cosmétique ? L’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement sur les cosmétiques, nous indique qu’il s’agit de « toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT