Cogeco Communications Inc contra Sport TV Portugal SA y otros.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:32
Docket NumberC-637/17
Date17 January 2019
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
Celex Number62017CC0637
62017CC0637

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 17 janvier 2019 ( 1 )

Affaire C‑637/17

Cogeco Communications Inc.

contre

Sport TV Portugal SA,

Controlinveste-SGPS SA,

NOS-SGPS SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Judicial da Comarca de Lisboa (tribunal d’arrondissement de Lisbonne, Portugal)]

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Mise en œuvre privée – Directive 2014/104/UE – Actions en dommages et intérêts au titre du droit national pour infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (“Réparation du préjudice causé par une entente”) – Délais de prescription pour les actions en dommages et intérêts au titre du droit national – Valeur probante d’une décision d’une autorité nationale de concurrence dans l’action en dommages et intérêts – Applicabilité ratione temporis d’une directive à des faits qui se sont déroulés avant son entrée en vigueur – Délai de transposition de la directive »

I. Introduction

1.

La mise en œuvre privée des règles de la concurrence inscrites dans les traités européens (« private enforcement ») a gagné ces dernières années, en parallèle à la mise en œuvre publique (« public enforcement »), de plus en plus d’importance en tant que second instrument. Les actions privées en dommages et intérêts engagées par les parties lésées par des pratiques commerciales anticoncurrentielles rencontrent une faveur grandissante et font désormais partie intégrante du système décentralisé de l’application du droit de la concurrence ( 2 ) tel que mis en œuvre par le règlement (CE) no 1/2003 ( 3 ). Ces actions sont souvent engagées dans le sillage de décisions des autorités de concurrence compétentes (en tant que « follow-on actions »), mais en partie aussi indépendamment de telles décisions (en tant que « stand‑alone actions »).

2.

Dans le détail, de nombreuses questions attendent encore qu’une réponse leur soit apportée, notamment lorsqu’elles sont liées à la nouvelle directive relative aux actions en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence (directive 2014/104/UE ( 4 )) ; c’est le cas des questions soulevées dans la présente affaire et dont la Cour est saisie pour la première fois.

3.

La Cour est appelée à déterminer si des règles de prescription comme celles du droit civil portugais qui prévoyait auparavant un délai de prescription de trois ans pour les actions privées en dommages et intérêts pour abus de position dominante sont compatibles avec les exigences de droit primaire et de droit dérivé du droit de l’Union. Il en va en outre de la valeur probante des décisions des autorités nationales de concurrence devant les juridictions civiles appelées à statuer sur de telles actions privées en dommages et intérêts.

4.

Les faits à l’origine de la présente affaire se sont déroulés avant la publication et l’entrée en vigueur de la directive 2014/104 et l’action en dommages et intérêts devant la juridiction nationale a été engagée après l’entrée en vigueur de cette directive, mais avant l’expiration de son délai de transposition. Ce délai de transposition a certes expiré depuis et le législateur portugais a récemment transposé la directive – avec un certain retard – en droit national, mais les nouvelles dispositions légales ne s’appliquent pas pour le passé et pas davantage aux actions introduites avant son entrée en vigueur.

5.

C’est dans ce contexte que se pose la question de savoir quelles solutions la directive 2014/104 peut offrir pour trancher le litige au principal et si, le cas échéant, l’article 102 TFUE ainsi que des principes généraux du droit de l’Union, notamment le principe d’effectivité, imposent certaines exigences. À cet égard, il conviendra de tenir particulièrement compte du fait que le litige au principal concerne un rapport purement horizontal entre particuliers.

6.

L’arrêt que la Cour est appelée à rendre dans la présente procédure préjudicielle est, pour la pratique des juridictions nationales ainsi que pour la mise en œuvre privée du droit de la concurrence de l’Union, d’une importance qui ne saurait être sous-estimée.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

7.

Le cadre juridique dans lequel s’inscrit la présente affaire est déterminé, d’une part, par les principes généraux de droit – en particulier le principe d’effectivité ainsi que le droit à un recours effectif – et, d’autre part, par les dispositions de droit dérivé du règlement no 1/2003 et de la directive 2014/104.

Le règlement no 1/2003

8.

L’article 3, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement no 1/2003 dispose ce qui suit au sujet du rapport entre l’article 102 TFUE et le droit national de la concurrence :

« Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l’article [102 TFUE], elles appliquent également l’article [102 TFUE] ».

9.

Sous l’intitulé « Compétence des autorités de concurrence des États membres », l’article 5 du règlement no 1/2003 contient en outre la réglementation suivante :

« Les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles [101 et 102 TFUE] dans des cas individuels. À cette fin, elles peuvent, agissant d’office ou saisies d’une plainte, adopter les décisions suivantes :

ordonner la cessation d’une infraction,

ordonner des mesures provisoires,

accepter des engagements,

infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.

Lorsqu’elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies, elles peuvent également décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir. »

La directive 2014/104

10.

« Objet et champ d’application » de la directive 2014/104 sont décrits comme suit en son article 1er :

« 1. La présente directive énonce certaines règles nécessaires pour faire en sorte que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence commise par une entreprise ou une association d’entreprises puisse exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite association. Elle établit des règles qui favorisent une concurrence non faussée sur le marché intérieur et qui suppriment les obstacles au bon fonctionnement de ce dernier, en garantissant une protection équivalente, dans toute l’Union, à toute personne ayant subi un tel préjudice.

2. La présente directive fixe les règles coordonnant la mise en œuvre des règles de concurrence par les autorités de concurrence et la mise en œuvre de ces règles dans le cadre d’actions en dommages et intérêts intentées devant les juridictions nationales. »

11.

Conformément aux définitions contenues à l’article 2 de la directive 2014/104, on entend par « infraction au droit de la concurrence », une « infraction à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou au droit national de la concurrence » (article 2, point 1, de la directive) et par « droit national de la concurrence », les « dispositions du droit national qui poursuivent principalement les mêmes objectifs que les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et qui sont appliquées dans la même affaire et parallèlement au droit de la concurrence de l’Union en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003, à l’exclusion des dispositions de droit national qui imposent des sanctions pénales aux personnes physiques, sauf si lesdites sanctions pénales constituent le moyen d’assurer la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises » (article 2, point 3, de la directive).

12.

L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 dispose au sujet de l’« effet des décisions nationales » ce qui suit :

« Les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou du droit national de la concurrence. »

13.

L’article 10 de la directive 2014/104 est consacré à la « prescription » et est libellé comme suit :

« 1. Les États membres arrêtent, conformément au présent article, les règles relatives aux délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts. Ces règles déterminent le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, la durée de ce délai et les circonstances dans lesquelles il est interrompu ou suspendu.

2. Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l’infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance :

a)

du comportement et du fait qu’il constitue une infraction au droit de la concurrence ;

b)

du fait que l’infraction au droit de la concurrence lui a causé un préjudice ; et

c)

de l’identité de l’auteur de l’infraction.

3. Les États membres veillent à ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts soient de cinq ans au minimum.

4. Les États membres veillent à ce qu’un délai de prescription soit...

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