Stefan Grunkin and Dorothee Regina Paul.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:246
Docket NumberC-353/06
Celex Number62006CC0353
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date24 April 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 24 avril 2008 (1)

Affaire C‑353/06

Stefan Grunkin et

Dorothee Regina Paul contre Leonhard Matthias Grunkin-Paul et Standesamt Stadt Niebüll

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Flensburg, (Allemagne)]

«Citoyenneté de l’Union – Interdiction de la discrimination en raison de la nationalité – Liberté de circulation et de résidence – Noms des personnes – Conflit de lois – Nom de famille déterminé puis modifié conformément au droit de l’État membre de naissance et de résidence habituelle – Non-reconnaissance par l’État membre de la nationalité»





1. La présente demande préjudicielle, qui émane de l’Amtsgericht Flensburg (Allemagne), soulève la question de la compatibilité d’une règle de conflit allemande avec l’interdiction de discrimination et les droits attachés à la citoyenneté par le traité CE. En vertu de cette règle, le nom de famille d’une personne qui n’a que la nationalité allemande est déterminé exclusivement par le droit allemand. En conséquence, même si cette personne est née et réside habituellement dans un autre État membre (en l’occurrence, le Danemark), dont le droit s’applique à elle en vertu de ses propres règles de conflit, son nom de famille, légalement constitué et enregistré dans cet État, ne sera enregistré en Allemagne que s’il est également conforme au droit allemand du fond.

Le cadre juridique

Les dispositions du traité

2. D’après l’article 12, premier alinéa, CE:

«Dans le domaine d'application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

3. D’après l’article 17 CE:

«1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité.»

4. D’après l’article 18, paragraphe 1, CE:

«Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.»

5. D’après l’article 65 CE [lu aussi en combinaison avec les articles 61, sous c), CE et 67 CE], le législateur communautaire peut arrêter «des mesures dans le domaine de la «coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière», y compris celles qui visent à «b) favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflits de lois et de compétence». De telles mesures n’ont pas encore été arrêtées en matière de détermination des noms (2).

Les règles de fond qui régissent la détermination des noms de famille

6. Aux points 5 à 22 de ses conclusions dans l’affaire Garcia Avello (3), l’avocat général Jacobs a donné un aperçu des règles qui régissent la détermination des noms de famille dans les États membres, telles qu’elles étaient à l’époque (2003). La situation a évolué depuis et, dans plusieurs États membres, les règles de fond permettent désormais un choix plus large. Il suffit cependant de noter à ce stade qu’il existe une variété considérable non seulement dans la manière de déterminer les noms, mais aussi dans l’étendue du choix ouvert par la loi. En particulier, les noms composés (combinant les noms des deux parents) sont interdits dans certains États membres mais admis dans d’autres, alors qu’ils sont la norme dans d’autres États membres encore.

Règles de conflit régissant la détermination des noms de famille

7. Pour déterminer le droit applicable à la détermination du nom de famille d’une personne lorsque plus d’un ordre juridique est concerné, certains États membres renvoient au droit du lieu où cette personne a sa résidence habituelle (4), bien qu’il semble plus courant de renvoyer au droit de l’État dont elle a la nationalité (5). Dans le cas de certains États membres, cette méthode a été consacrée dans des accords internationaux conclus dans le cadre de la CIEC (Commission internationale de l’état civil), organisation intergouvernementale dont les adhérents comprennent treize États membres, trois autres ayant le statut d’observateur. La République fédérale d’Allemagne a adhéré à la CIEC. Le Royaume de Danemark ne figure au nombre ni des adhérents, ni des observateurs.

8. Un certain nombre de conventions de la CIEC (6) portent sur les noms, mais aucune n’a été ratifiée par plus de sept États membres. En résumé, elles prévoient que, en principe, les noms des personnes sont déterminés par le droit de l’État dont ces personnes ont la nationalité et qu’un État contractant n’autorise pas les changements de noms de famille de ressortissants d’un autre État contractant, à moins qu’ils n’aient aussi la nationalité du premier État, mais délivre des certificats de diversité de noms si nécessaire. Dans une convention plus récente (7), qui n’est pas encore en vigueur, lorsqu’un enfant a la nationalité de plus d’un État contractant, le nom qui lui est attribué dans l’État de naissance est reconnu dans les autres États contractants, de même qu’est reconnu un nom attribué à la demande des parents dans un autre État contractant dont l’enfant a la nationalité.

Les instruments relatifs aux droits des enfants

9. Selon l’article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies (8), «[d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale». On trouve en substance la même disposition à l’article 24, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (9).

10. L’article 7, paragraphe 1, de la convention relative aux droits de l'enfant dispose, entre autres, que l’enfant «est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom». On trouve en substance la même disposition à l’article 24, paragraphe 2, du pacte international relatif aux droits civils et politiques (10).

Le droit national pertinent

11. En application des règles du droit international privé danois, les questions qui concernent la détermination du nom de famille d’une personne sont régies par le droit du lieu où cette personne a son domicile (c’est-à-dire sa résidence habituelle), tel que défini par le droit danois. Donc, celui-ci s’applique lorsqu’il s’agit de déterminer le nom de famille d’une personne qui réside habituellement au Danemark.

12. À l’époque pertinente, les articles 1er à 9 de la loi n° 193 du 29 avril 1981 (loi sur le nom des personnes, lov om personnavne) régissaient la détermination des noms de famille au Danemark (11).

13. D’après l’article 1er de cette loi, si les parents portaient un nom de famille unique, ce nom était attribué à l’enfant. S’ils ne portaient pas le même nom de famille, on pouvait choisir celui de l’un des parents. Toutefois, l’article 9 autorisait également un changement de nom par la voie administrative afin d’adopter un nom constitué des noms de famille des deux parents reliés par un trait d’union.

14. Selon une autre option (exercée de manière courante), lorsque l’enfant porte le nom d’un des parents, le nom de l’autre parent peut servir de «nom intermédiaire» («mellemnavn»). Les deux noms sont ainsi, en fait, combinés (sans trait d’union). Cependant, en vertu de la loi de 1981, seul le second élément (le nom de famille) du nom composé pouvait passer à la génération suivante.

15. En Allemagne, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, de la loi introductive au code civil (Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch, ci-après l’«EGBGB»), le nom d’une personne est déterminé par le droit de l’État dont cette personne a la nationalité. D’après le paragraphe 3 du même article 10, le nom de famille d’un enfant ne peut être déterminé par le droit d’un autre pays que si l’un des parents (ou une autre personne conférant le nom) est un ressortissant de ce pays. Toutefois, le droit allemand peut trouver à s’appliquer lorsque aucun des parents n’a la nationalité allemande, mais que l’un d’eux au moins réside en Allemagne.

16. En application de l’article 1616 du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch, ci-après le «BGB»), si les parents ont un nom de famille unique (12), ce nom est attribué à l’enfant, ainsi que c’est le cas au Danemark. Selon l’article 1617:

«1. Si les parents ne portent pas de nom d'époux et que la garde de l'enfant est exercée conjointement, ils déterminent, par une déclaration devant l'officier d'état civil, le nom que le père ou la mère porte au moment de la déclaration comme nom de naissance de l'enfant […] Le choix des parents vaudra aussi pour leurs enfants à venir.

2. Si les parents n'ont pas fait leur déclaration dans le mois qui suit la naissance de l'enfant, le Familiengericht (tribunal de la famille) (13) transfère le droit de déterminer le nom à un des parents. Le paragraphe 1 s'applique mutatis mutandis. Le tribunal peut fixer au parent un délai pour exercer son droit. Si, à l'expiration du délai, le droit de déterminer le nom n'a pas été exercé, l'enfant reçoit le nom du parent auquel ce droit a été transféré.

3. Lorsqu'un enfant n'est pas né sur le territoire national, le tribunal ne transfère à un parent le droit de déterminer son nom conformément au paragraphe 2 que si un parent ou l'enfant le demande ou s'il est nécessaire d'inscrire le nom de l'enfant sur un acte de l'état civil allemand ou sur un papier d'identité allemand.»

17. L’article 1617, paragraphe 1, exclut donc la possibilité de combiner les noms de famille des deux parents afin de former un nom composé nouveau. Il ne s’oppose cependant pas à la...

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