Commune de Mesquer v Total France SA and Total International Ltd.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:174
Docket NumberC-188/07
Celex Number62007CC0188
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date13 March 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 13 mars 2008 (1)

Affaire C‑188/07

Commune de Mesquer

contre

Total France SA

et

Total International Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Directive 75/442 relative aux déchets – Notion de déchet – Hydrocarbures et fioul lourd – détenteur du déchet – Principe du pollueur-payeur – Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures»





I – Introduction

1. La demande de décision préjudicielle de la Cour de cassation (France) fait suite au naufrage du pétrolier Erika en 1999 devant les côtes bretonnes. Le fioul lourd qui s’en est échappé a pollué notamment le littoral de la commune de Mesquer (ci‑après «Mesquer») qui sollicite à présent une indemnisation à des entreprises du groupe Total.

2. La Cour est saisie de questions en interprétation de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (2) (ci‑après la «directive‑cadre relative aux déchets»). Il convient tout d’abord de préciser si le fioul lourd doit être qualifié en tant que tel de déchet ou s’il est devenu un déchet du fait du naufrage. La Cour de cassation demande ensuite si les entreprises du groupe Total doivent supporter les frais d’élimination de la pollution due au fioul en ce qu’elles ont produit le fioul lourd qui s’est déversé et l’ont fait transporter par le pétrolier.

3. Il convient de prendre en compte dans ce contexte le fait que la République française est partie à la convention internationale du 29 novembre 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (3), dans la version du protocole de 1992 (4) (ci‑après la «convention sur la responsabilité») et à la convention internationale portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans la version du protocole du 27 novembre 1992 (5) (ci‑après la «convention FIPOL»).

II – Cadre juridique

A – Les conventions internationales applicables

4. Sur le plan du droit international, c’est tout d’abord la convention sur la responsabilité qui intéresse la présente affaire. Cette convention a été ratifiée par 24 États membres mais pas par la Communauté (6).

5. L’article III de la convention sur la responsabilité comporte les dispositions sur la responsabilité pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures en mer:

«1. Le propriétaire du navire au moment d’un événement ou, si l’événement consiste en une succession de faits, au moment du premier de ces faits, est responsable de tout dommage par pollution causé par le navire et résultant de l’événement, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 2 et 3 du présent article;

2. Le propriétaire n’est pas responsable s’il prouve que le dommage par pollution

a) résulte d’un acte de guerre, d’hostilités, d’une guerre civile, d’une insurrection, ou d’un phénomène naturel de caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible, ou

b) résulte en totalité du fait qu’un tiers a délibérément agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage, ou

c) résulte en totalité de la négligence ou d’une autre action préjudiciable d’un gouvernement ou autre autorité responsable de l’entretien des feux ou autres aides à la navigation dans l’exercice de cette fonction.

3. Si le propriétaire prouve que le dommage par pollution résulte en totalité ou en partie, soit du fait que la personne qui l’a subi a agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage, soit de la négligence de cette personne, le propriétaire peut être exonéré de tout ou partie de sa responsabilité envers ladite personne.

4. Aucune demande de réparation de dommage par pollution ne peut être formée contre le propriétaire autrement que sur la base de la présente convention. Sous réserve du paragraphe 5 du présent article, aucune demande de réparation de dommage par pollution, qu’elle soit ou non fondée sur la présente convention, ne peut être introduite contre:

a) les préposés ou mandataires du propriétaire ou les membres de l’équipage;

b) le pilote ou toute autre personne qui, sans être membre de l’équipage, s’acquitte de services pour le navire;

c) tout affréteur (sous quelque appellation que ce soit, y compris un affréteur coque nue) armateur ou armateur gérant du navire;

d) toute personne accomplissant des opérations de sauvetage avec l’accord du propriétaire ou sur les instructions d’une autorité publique compétente;

e) toute personne prenant des mesures de sauvegarde;

f) tous préposés ou mandataires des personnes mentionnées aux alinéas c), d) et e), à moins que le dommage ne résulte de leur fait ou de leur omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

5. Aucune disposition de la présente convention ne porte atteinte aux droits de recours du propriétaire contre les tiers.»

6. Aux termes de l’article V de ladite convention, la responsabilité du propriétaire est limitée à tout le moins lorsqu’il n’est pas prouvé que le dommage par pollution résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

7. À l’époque en cause ce plafond de responsabilité s’élevait aux termes de l’article V, paragraphe 1, entre 3 millions et 59,7 millions d’unités de compte en fonction de la taille du navire. Aux termes de l’article V, paragraphe 9, l’unité de compte correspond au droit de tirage spécial tel qu’il est défini par le Fonds monétaire international, représentant au 13 décembre 1999, juste après l’accident, 1,357120 euro (7). Dans l’affaire de l’Erika la responsabilité du propriétaire était limitée à environ 13 millions d’euros (8).

8. La convention sur la responsabilité a été complétée par la convention FIPOL. Cette convention a été ratifiée par 23 États membres mais pas par la Communauté (9).

9. Aux termes de l’article 2 de la convention FIPOL, le Fonds d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (ci‑après également le «Fonds») créé par la convention intervient dans la mesure où la protection qui découle de la convention sur la responsabilité est insuffisante. À l’époque, l’indemnisation du Fonds était plafonnée à 135 millions d’unités de compte. Dans l’affaire de l’Erika elle représentait environ 185 millions d’euros (10).

10. Aux termes de l’article 28, paragraphe 4, la convention FIPOL n’est ouverte qu’aux États qui ont ratifié, accepté ou approuvé la convention sur la responsabilité ou qui y ont adhéré.

11. Au reste, l’article 235, paragraphe 3, de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 (11) (ci‑après la «convention sur le droit de la mer») exhorte les États à coopérer à la mise en place d’un régime de responsabilité du fait de la pollution du milieu marin:

«En vue d’assurer une indemnisation rapide et adéquate de tous dommages résultant de la pollution du milieu marin, les États coopèrent pour assurer l’application et le développement du droit international de la responsabilité en ce qui concerne l’évaluation et l’indemnisation des dommages et le règlement des différends en la matière, ainsi que, le cas échéant, l’élaboration de critères et de procédures pour le paiement d’indemnités adéquates, prévoyant, par exemple, une assurance obligatoire ou des fonds d’indemnisation.»

B – Réglementation communautaire

1. La directive‑cadre relative aux déchets

12. La directive‑cadre relative aux déchets définit en son article premier notamment les notions de déchet, de producteur de déchet et de détenteur de déchet:

«1. Aux fins de la présente directive, on entend par:

a) déchet: toute substance ou tout objet qui relève des catégories figurant à l’annexe I, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire;

b) producteur: toute personne dont l’activité a produit des déchets et/ou toute personne qui a effectué des opérations de prétraitement, de mélange ou autres conduisant à un changement de nature ou de composition de ces déchets;

c) détenteur: le producteur des déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession;

[…]»

13. L’annexe I définit différentes catégories de déchet dont les deux suivantes:

«Q 4 Matières accidentellement déversées, perdues ou ayant subi tout autre incident, y compris toute matière, équipement, etc., contaminés par suite de l’incident en question»,

et

«Q 15 Matières, substances ou produits contaminés provenant d’activités de remise en état de terrains»

14. L’article 15 de la directive-cadre relative aux déchets régit l’imputation des coûts de l’élimination de déchets:

«Conformément au principe du pollueur-payeur, le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par:

– le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une entreprise visée à l’article 9, et/ou

– les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de déchets.»

2. La directive 68/414/CEE sur les réserves obligatoires en ressources stratégiques

15. La directive 68/414/CEE du Conseil, du 20 décembre 1968, faisant obligation aux États membres de la C.E.E. de maintenir un niveau minimum de stocks de pétrole brut et/ou de produits pétroliers (12), oblige en son article 1er les États membres à maintenir des stocks de produits pétroliers équivalant à 90 jours de la consommation intérieure journalière. Aux termes de l’article 2, troisième tiret, cette obligation couvre les fuel-oils (huiles combustibles).

3. La décision 2004/246/CE relative à la convention FIPOL

16. Le quatrième considérant et l’article 4 de la décision 2004/246/CE du Conseil, du 2 mars 2004, autorisant les États membres à signer ou à...

To continue reading

Request your trial
21 practice notes
21 cases

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT