Said Shamilovich Kadzoev (Huchbarov).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:691
Docket NumberC-357/09
Celex Number62009CP0357
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeDonnées provisoires
Date10 November 2009

PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MAZÁK

du 10 novembre 2009 (1)

Affaire C‑357/09 PPU

Kadzoev

[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (Bulgarie)]

«Procédure préjudicielle d’urgence – Visa, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes – Titre IV du traité CE – Directive 2008/115/CE – Délai de transposition – Effets – Interprétation de l’article 15, paragraphes 4 à 6, de la directive 2008/115/CE – Durée de la rétention – Prise en compte de la durée pendant laquelle l’exécution d’une décision d’éloignement a été suspendue – Absence de perspective raisonnable d’éloignement et épuisement des possibilités de prolongation de la durée de rétention»





I – Introduction

1. Par la présente demande préjudicielle, que la Cour a décidé de soumettre, à la demande de la juridiction de renvoi, à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice, l’Administrativen sad Sofia-grad (Cour administrative de Sofia, Bulgarie) nous a posé, au titre des dispositions combinées de l’article 68, paragraphe 1, CE et de l’article 234 CE, quatre questions portant sur l’interprétation de l’article 15, paragraphes 4 à 6, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (ci-après la «directive ‘retour’») (2).

2. Par ces questions et les sous-questions qu’elles comprennent, la juridiction de renvoi interroge la Cour essentiellement sur l’applicabilité au cas d’espèce des dispositions de l’article 15 de la directive «retour» relatives à la durée maximale de la rétention à des fins d’éloignement, ainsi que sur le mode de calcul des délais prévus à cet effet, eu égard aux circonstances de l’affaire au principal. Elle interroge, en outre, la Cour sur le point de savoir dans quelles conditions l’éloignement peut être considéré comme n’étant pas raisonnablement possible, et si, ou dans quelles circonstances, la rétention peut être maintenue en l’absence de perspective raisonnable d’éloignement et après l’épuisement des possibilités de prolongation de la durée de rétention.

3. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’une procédure dans laquelle la juridiction de renvoi est appelée à statuer d’office, en dernier ressort, sur la légalité et, ainsi, sur le maintien de la rétention de M. Saïd Shamilovich Kadzoev dans le centre spécial de placement temporaire des étrangers près de la ville de Sofia.

4. Il convient de noter que l’introduction des règles sur la durée maximale de rétention comptait parmi les points les plus discutés lors de l’adoption de la directive «retour» à cause de différences considérables qui existaient – et existent toujours, dans une certaine mesure – à cet égard entre les législations et les pratiques des États membres.

5. La présente procédure préjudicielle revêt donc, dans la mesure où la Cour est appelée, pour la première fois, à clarifier certains aspects relatifs à la mise en œuvre de l’article 15 de cette directive, une importance dépassant celle du cas d’espèce. Elle s’inscrit dans le processus délicat et continu tendant à concilier, d’une part, le droit indéniable de l’État, reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme, de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur son territoire (3) et son intérêt légitime à prévenir effectivement des abus de droit en matière d’immigration et d’asile avec, d’autre part, les exigences d’un État de droit et le degré de protection offert aux individus en migration en vertu du droit international, du droit communautaire et, en particulier, des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

II – Cadre juridique

A – La directive «retour»

6. L’article 15 de la directive «retour», figurant sous le chapitre relatif à la rétention à des fins d’éloignement, est rédigé comme suit:

«1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

[…]

3. Dans chaque cas, la rétention fait l’objet d’un réexamen à intervalles raisonnables, soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit d’office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire.

4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.

6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison:

a) du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou

b) des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.»

7. Aux termes de l’article 20 de la directive «retour», les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à ladite directive au plus tard le 24 décembre 2010.

B – Le droit national pertinent

8. Le 15 mai 2009, la République de Bulgarie a réalisé la transposition en droit national de l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive «retour» par une modification (4) de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie (ci-après la «loi sur les étrangers»). La juridiction de renvoi indique toutefois que l’article 15, paragraphe 4, de la directive «retour» n’a pas été transposé en droit bulgare.

9. En vertu de l’article 44, paragraphe 6, de la loi sur les étrangers, lorsqu’une mesure administrative coercitive ne peut pas être appliquée à un étranger parce que son identité n’est pas établie, ou parce qu’il y a un risque évident de dissimulation, l’organe qui a pris la mesure peut ordonner le placement de l’étranger dans un centre de rétention temporaire des étrangers afin d’organiser sa reconduite à la frontière de la Bulgarie ou son expulsion.

10. Avant la transposition de la directive «retour» par les amendements à la loi sur les étrangers adoptés le 15 mai 2009, la durée du placement en centre de rétention n’était soumise à aucune limite.

11. Actuellement, aux termes de l’article 44, paragraphe 8, de ladite loi, «[l]e placement dure tant que les circonstances visées au paragraphe 6 existent, mais ne peut dépasser six mois. Exceptionnellement, lorsque la personne refuse de coopérer avec les autorités compétentes, qu’il y a un retard dans l’obtention des documents indispensables à la reconduite ou à l’expulsion ou que la personne constitue une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public, la période de placement peut être étendue à douze mois.»

12. L’article 46a, paragraphes 3 à 5, de la loi sur les étrangers dispose:

«3) Tous les six mois, le chef du centre de rétention des étrangers présente une liste des étrangers qui y ont séjourné pendant plus de six mois en raison des obstacles à leur éloignement du territoire. La liste est envoyée à la cour administrative du lieu du centre de rétention.

4) À l’issue de chaque période de six mois de placement dans un centre de rétention, la cour statue d’office à huis clos sur l’extension, la substitution ou la fin de la rétention. La décision de la cour n’est pas susceptible de recours.

5) Lorsque la cour annule l’ordre de placement attaqué ou ordonne la libération de l’étranger, ce dernier est libéré immédiatement du centre de rétention.»

III – Le contexte factuel de l’affaire et les questions préjudicielles

13. Les principaux faits du litige peuvent, dans la mesure où ils sont pertinents aux fins de la présente affaire, être résumés comme suit.

14. Le 21 octobre 2006, M. Kadzoev a été arrêté par les forces de l’ordre bulgares à proximité de la frontière avec la Turquie. Lors de son arrestation, il était dépourvu de documents d’identité et s’est présenté sous le nom de Saïd Shamilovich Huchbarov, né le 11 février 1979 à Groznyï (Tchétchénie). Il a déclaré, dès son arrestation, ne pas souhaiter que le consulat de Russie fût informé de son arrestation. Il a ultérieurement admis avoir utilisé une fausse identité, son vrai nom de famille étant Kadzoev, et a produit un acte de naissance dont il résultait qu’il serait né le 11 février 1979 à Moscou (ex-Union soviétique), d’un père de nationalité tchétchène, Shamil Kadzoev, et d’une mère de nationalité géorgienne, Loli Elihvari.

15. Le 22 octobre 2006, un arrêté de «placement forcé» n° 3469 a été adopté à son encontre. Sur la base de cet arrêté, M. Kadzoev a été placé dans le centre de rétention de Liubimets, dans la région d’Elhovo (Bulgarie), où il a été retenu jusqu’au 3 novembre 2006. Par arrêtés de la même date, il s’est aussi vu imposer les mesures administratives coercitives de...

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