Société Papillon v Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:472
Docket NumberC-418/07
Celex Number62007CC0418
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date04 September 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 4 septembre 2008 (1)

Affaire C‑418/07

Société Papillon

contre

Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Liberté d’établissement – Impôts sur les sociétés – Régime d’imposition de groupe – Société mère résidente contrôlant des sous-filiales résidentes au moyen d’une société intermédiaire non-résidente»






I – Introduction

1. Cette demande de décision préjudicielle du Conseil d’État (France) a pour objet des dispositions du code général des impôts français (ci-après le «CGI») relatives à la fiscalité des groupes de sociétés.

2. Ces dispositions permettent de bénéficier d’une «intégration fiscale», dont l’idée est d’assimiler un groupe constitué d’une société mère et de filiales à une entreprise ayant plusieurs établissements. Le régime fiscal d’un groupe permet à la société mère de globaliser les bénéfices et les pertes de toutes les sociétés du groupe en devenant alors l’unique redevable de l’impôt sur les sociétés pour le résultat global du groupe.

3. La requérante au principal, une société de droit français, entend mettre en œuvre une «intégration fiscale» avec ses sous-filiales de droit français. La particularité de l’affaire tient au fait que cette société contrôle ses sous-filiales au moyen d’une filiale néerlandaise. L’administration fiscale française a refusé l’«intégration fiscale» de cette société mère et de ces sous-filiales au motif qu’une filiale ne relevant pas, en France, de l’impôt sur les sociétés est interposée entre la société mère et les sous-filiales.

4. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si l’on doit y voir une restriction injustifiée à la liberté d’établissement.

5. Par souci de clarté, il convient de relever d’emblée que ce renvoi préjudiciel ne demande pas si la filiale néerlandaise doit elle aussi être incluse dans l’«intégration fiscale». La société mère s’est en effet contentée de demander une intégration avec ses sous-filiales françaises. Les faits de l’espèce se distinguent ainsi de ceux qui ont notamment donné lieu aux arrêts Marks & Spencer (2) et Oy AA (3). Ces derniers concernaient des questions liées à la prise en compte transfrontalière de bénéfices et de pertes réalisés par des sociétés d’un groupe établies dans différents États membres. Il s’agit en revanche ici de savoir si une société intermédiaire non-résidente peut établir le lien requis pour permettre une intégration fiscale entre une société mère résidente et des sous-filiales résidentes.

II – Le cadre juridique

6. Dans sa version applicable aux faits de la procédure au principal, l’article 223 A CGI dispose:

«Une société [...] peut se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l’exercice, directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés du groupe. [...] Les sociétés du groupe restent soumises à l’obligation de déclarer leurs résultats qui peuvent être vérifiés dans les conditions prévues par les articles L. 13, L. 47 et L. 57 du livre des procédures fiscales [...]. Seules peuvent être membres du groupe les sociétés qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l’impôt sur les sociétés [...]».

7. La société mère peut en principe définir librement le périmètre de la consolidation c’est-à-dire déterminer les sociétés appelées à prendre part à l’«intégration fiscale». D’après la décision de renvoi, il ressort toutefois des termes de l’article 223 A du CGI que, dans la définition du périmètre, la société mère du groupe ne peut inclure une société qu’elle détient indirectement que lorsque la société au moyen de laquelle elle la détient appartient elle-même au groupe et est soumise de ce fait, en France, à l’impôt sur les sociétés.

8. Aux termes de l’article 223 B du CGI:

«Le résultat d’ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l’article 217 bis [...]»

9. Il ressort de la décision de renvoi que les articles 223 B, 223 D et 223 F du CGI prévoient notamment la neutralisation d’opérations internes au groupe telles que les provisions pour créances douteuses ou pour risques entre sociétés du groupe, les abandons de créances ou les subventions internes au groupe, les provisions pour réduction de valeur de participations détenues dans d’autres sociétés du groupe, et les cessions d’immobilisations au sein du groupe.

III – Les faits et la procédure au principal

10. La requérante dans la procédure au principal, la société Papillon (ci-après «Papillon») est une société ayant son siège en France. Elle détenait 100 % du capital de la société néerlandaise Artist Performance and Communication (APC) BV. Cette dernière société détenait à son tour 99,99 % des parts de la société à responsabilité limitée Kiron (ci‑après «Kiron»), ayant son siège en France. Kiron détenait à son tour d’autres sociétés françaises.

11. À compter du 1er janvier 1989, Papillon a opté pour le régime de l’«intégration fiscale». Le groupe à la tête duquel était Papillon incluait Kiron et plusieurs filiales françaises de Kiron. L’administration fiscale française lui a toutefois refusé en définitive le bénéfice du régime de l’«intégration fiscale». Elle a justifié ce refus au motif que Papillon ne peut pas constituer un groupe avec des sociétés détenues indirectement au moyen d’une société ayant son siège aux Pays‑Bas, dès lors que cette dernière n’est pas soumise, en France, à l’impôt sur les sociétés et ne peut, de ce fait, pas faire partie elle-même de l’«intégration fiscale». Papillon a été imposée à hauteur des bénéfices propres qu’elle avait déclarés, sans avoir pu les compenser, par voie d’«intégration fiscale», avec les résultats des autres sociétés du groupe intégré.

12. Papillon a contesté les suppléments d’impôt sur les sociétés ainsi que les pénalités mises à sa charge au titre de trois exercices. Par jugement du 9 février 2004, le tribunal administratif de Paris (4) a rejeté le recours de Papillon pour le surplus en litige après dégrèvement partiel accordé par l’administration fiscale en cours d’instance. La cour administrative d’appel de Paris (5) a elle aussi rejeté en deuxième instance les demandes de Papillon pour le surplus après avoir de nouveau constaté un non-lieu à statuer à hauteur des sommes dégrevées en cours d’instance et prononcé une décharge partielle des impositions et pénalités en litige.

13. C’est contre cet arrêt de la cour administrative d’appel de Paris que Papillon s’est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi, à savoir le Conseil d’État.

IV – Le renvoi préjudiciel

14. Par arrêt du 10 juillet 2007, parvenu au greffe de la Cour le 12 septembre 2007, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Dans la mesure où l’avantage fiscal résultant du régime de l’‘intégration fiscale’ produit ses effets dans l’imposition de la société mère du groupe, qui peut compenser les profits et les pertes réalisés par l’ensemble des sociétés du groupe intégré et bénéficier de la neutralisation fiscale des opérations internes à ce groupe, l’impossibilité, résultant du régime défini par les articles 223 A et suivants du [CGI], d’inclure dans le périmètre d’un groupe fiscal intégré une sous-filiale de la société mère, dès lors qu’elle se trouve détenue par l’intermédiaire d’une filiale qui, étant établie dans un autre État membre […] et n’exerçant pas d’activité en France, n’est pas soumise à l’impôt français sur les sociétés et ne peut donc elle‑même appartenir au groupe, constitue-t-elle une restriction à la liberté d’établissement en raison de la conséquence fiscale du choix de la société mère de détenir une sous-filiale par l’intermédiaire d’une filiale française ou plutôt par l’intermédiaire d’une filiale établie dans un autre État membre?

2) Dans l’affirmative, une telle restriction peut-elle être justifiée soit par la nécessité de maintenir la cohérence du système de l’‘intégration fiscale’, notamment les mécanismes de neutralisation fiscale des opérations internes au groupe, eu égard aux conséquences d’un système qui consisterait à regarder la filiale établie dans un autre État membre comme appartenant au groupe pour les seuls besoins de la condition de détention indirecte de la sous-filiale, tout en restant nécessairement exclue de l’application du régime de groupe puisque ne relevant pas de l’impôt français, soit par toute autre raison impérieuse d’intérêt général?»

15. Dans la procédure devant la Cour, des observations écrites et orales ont été présentées par Papillon, les gouvernements allemand, français et néerlandais ainsi que la Commission des Communautés européennes. Le gouvernement espagnol a de surcroît présenté des observations orales.

V – Appréciation juridique

16. Par ses deux questions préjudicielles, la juridiction de renvoi souhaite savoir en substance si les dispositions (françaises) litigieuses comportent une restriction à la liberté d’établissement et, le cas échéant, si celle-ci est susceptible d’être justifiée.

A – Observations liminaires

17. Les dispositions litigieuses ont pour objet l’imposition de sociétés et, de ce fait, un impôt direct. Il convient donc de rappeler au préalable la jurisprudence constante de la Cour voulant que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (6).

18. Il convient au reste de constater que c’est à juste titre que la juridiction de renvoi considère que les faits de l’espèce relèvent du champ d’application de...

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