Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg and Openbaar Ministerie v JR and YC.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:1012
Docket NumberC-626/19,C-566/19
Date26 November 2019
Procedure TypeRinvio pregiudiziale - Procedimento d'urgenza
Celex Number62019CC0566
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 26 novembre 2019 (1)

Affaires jointes C566/19 PPU et C626/19 PPU

Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg

contre

JR

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour d’appel (Chambre du conseil), Luxembourg]

et

Openbaar Ministerie

contre

YC

[demande de décision préjudicielle formée par le Rechtbank Amsterdam (Tribunal d’Amsterdam, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Notion d’“autorité judiciaire d’émission” – Indépendance du parquet – Mandat d’arrêt européen émis par un procureur français – Procureur chargé, d’une part, des poursuites pénales et, d’autre part, du contrôle des conditions d’émission ainsi que de la proportionnalité d’un mandat d’arrêt européen – Condition de l’existence d’un recours juridictionnel effectif à l’encontre de la décision d’émission d’un mandat d’arrêt européen par un procureur »






1. La Cour est une fois de plus appelée à se prononcer sur des renvois préjudiciels concernant lesquels elle devra décider si le ministère public (en l’occurrence celui de la République française) peut constituer une « autorité judiciaire d’émission » d’un mandat d’arrêt européen (MAE), au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI (2).

2. Les doutes soulevés par une juridiction luxembourgeoise (dans l’affaire C‑566/19 PPU) et par une juridiction des Pays‑Bas (dans l’affaire C‑626/19 PPU) portent en particulier sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’arrêt OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (3).

3. Les mêmes doutes ont été soulevés à l’égard des ministères publics suédois (dans l’affaire C‑625/19 PPU) et belge (dans l’affaire C‑627/19 PPU) dans lesquelles je présente mes conclusions ce même jour.

4. Bien que ma position de principe reste celle que j’ai défendue dans les affaires OG (Parquet de Lübeck) et PI (Parquet de Zwickau) (4) et dans l’affaire PF (Procureur général de Lituanie) (5), j’aborderai à présent l’exégèse de ce jugement, ainsi que de celui rendu le 9 octobre 2019 (6) dans une affaire similaire.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5. Je renvoie aux cinquième, sixième, huitième, dixième et douzième considérants, ainsi qu’aux articles 1er et 9 de la décision-cadre, qui sont reproduits dans les conclusions OG et PI (Parquets de Lübeck et Zwickau).

B. Le droit national. Le code de procédure pénale (7)

6. Au livre 1er du Code de procédure pénale, titre 1er (« Des autorités chargées de la conduite de la politique pénale, de l’action publique et de l’instruction »), chapitre 1er bis (« Des attributions du garde des sceaux, ministre de la justice »), l’article 30 dispose :

« Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.

À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales.

Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles.

Chaque année, il publie un rapport sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat ».

7. À la section 2 (« Des attributions du procureur général près la cour d’appel ») du chapitre II dudit titre I du livre I, l’article 36 dispose ce qui suit :

« Le procureur général [près la cour d’appel] peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes ».

II. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A. Affaire C566/19 PPU

8. Le 24 avril 2019, la vice-procureure près le parquet du Tribunal de grande instance de Lyon (France) a émis un MAE aux fins de l’exercice de poursuites pénales contre JR.

9. Par décision du 19 juin 2019, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a décidé que JR devait être remis aux autorités françaises.

10. JR a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi et, pour ce qui nous intéresse ici, a conclu à la nullité du MAE au motif que l’autorité qui l’a émis ne constitue pas une « autorité judiciaire » au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre. Il a fait valoir que le Ministère public français peut être soumis à des instructions indirectes émanant du pouvoir exécutif, ce qui n’est pas conforme aux critères établis par la Cour en la matière.

11. Dans ces circonstances, la Cour d’appel (chambre du conseil, Luxembourg) a décidé de poser la question préjudicielle suivante :

« Le Ministère public français près la juridiction d’instruction ou de jugement, compétent en France en vertu du droit de cet État, pour délivrer un mandat d’arrêt européen, peut-il être considéré comme autorité judiciaire d’émission, dans le sens autonome visé à l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre nº 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 dans l’hypothèse où, censé contrôler le respect des conditions nécessaires à l’émission d’un mandat d’arrêt européen et examiner son caractère proportionné eu égard aux circonstances du dossier répressif, il est en même temps l’autorité chargée des poursuites pénales dans la même affaire ? »,

B. Affaire C626/19 PPU

12. Le 27 mars 2019, le procureur du Tribunal de grande instance de Tours (France) a émis un MAE aux fins de l’exercice de poursuites pénales contre YC, qui a été arrêté aux Pays‑Bas le 5 avril 2019.

13. Le Rechtbank Amsterdam (Tribunal d’Amsterdam, Pays‑Bas), qui doit décider de l’exécution du MAE, pose la question préjudicielle suivante :

« I. Un procureur qui participe à l’administration de la justice dans l’État membre d’émission, qui agit de manière indépendante dans l’exercice des tâches inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen et qui a émis un mandat d’arrêt européen peut-il être qualifié d’autorité judiciaire d’émission au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre [...] si, dans l’État membre d’émission, préalablement à la décision effective de ce procureur d’émettre le mandat d’arrêt européen un juge a apprécié les conditions d’émission d’un mandat d’arrêt européen et, notamment, sa proportionnalité ?

II. Si la première question appelle une réponse négative : la condition visée au point 75 de l’arrêt de la Cour du 27 mai 2019 ([Parquets de Lübeck et de Zwickau, C‑508/18 et C‑82/19 PPU], EU:C:2019:456), voulant que la décision du procureur d’émettre un mandat d’arrêt européen et, notamment, le caractère proportionné d’une telle décision, doivent pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel qui satisfait pleinement aux conditions inhérentes à une protection juridictionnelle effective, est-elle remplie si une voie de droit est ouverte à la personne recherchée, après sa remise effective, dans laquelle la nullité du mandat d’arrêt européen peut être invoquée devant le juge dans l’État membre d’émission et dans laquelle ce juge examine notamment le caractère proportionné de la décision d’émettre ce mandat d’arrêt européen ? »

III. La procédure devant la Cour et les conclusions de parties

14. L’affaire C‑566/19 a été enregistrée au greffe de la Cour le 25 juillet 2019, et la juridiction de renvoi n’a pas demandé l’application de la procédure préjudicielle d’urgence.

15. L’affaire C‑626/19 PPU a été enregistrée au greffe de la Cour le 22 août 2019. Compte tenu de la privation de liberté de YC décidée au principal, la juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure préjudicielle d’urgence.

16. La Cour a disposé d’appliquer la procédure préjudicielle d’urgence aux deux affaires et les a jointes afin d’administrer la procédure et de se prononcer par arrêt.

17. JR, les gouvernements français et néerlandais, le Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg, le ministère public néerlandais et la Commission ont présenté des observations écrites.

18. L’audience publique a eu lieu le 24 octobre 2019 et s’est tenue conjointement avec celles des affaires C‑625/19 PPU et C‑627/19 PPU ; y ont participé le Parquet général du Luxembourg, le ministère public néerlandais, JR, YC, XD, ZB, les gouvernements néerlandais, français, suédois, belge, irlandais, espagnol, italien et finlandais, ainsi que la Commission.

IV. Analyse

A. Considérations liminaires

19. Les deux renvois préjudiciels visent à déterminer si le procureur français constitue une « autorité judiciaire d’émission » au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre. Cette question est formulée dans une perspective différente dans chacune des deux demandes :

– La juridiction luxembourgeoise demande si le ministère public français remplit la condition de l’indépendance à laquelle doit satisfaire l’autorité d’émission d’un MAE.

– Le tribunal néerlandais part de la prémisse que le ministère public français est indépendant mais s’interroge sur le point de savoir si le MAE qu’il est susceptible d’émettre est soumis à un contrôle juridictionnel.

20. Comme je l’ai déjà expliqué, ces questions se posent dans le cadre des doutes que l’arrêt OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) suscite chez les juridictions de renvoi, en particulier en ce que la Cour y déclare que la notion d’« autorité judiciaire d’émission » prévue à l’article 6, paragraphe 1 « ne vise pas les parquets [...] qui sont exposés au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif » (8).

21. Il s’agit dès lors de déterminer :

– Si le ministère public français...

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