LM.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:517
Docket NumberC-216/18
Celex Number62018CC0216
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypePetición de decisión prejudicial - procedimiento de urgencia
Date28 June 2018
62018CC0216

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 28 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑216/18 PPU

Minister for Justice and Equality

contre

LM

(Défaillances du système judiciaire)

[demande de décision préjudicielle introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Motifs de refus d’exécution – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un procès équitable – État de droit – Article 7 TUE – Proposition motivée de la Commission invitant le Conseil à constater l’existence d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, d’une valeur visée à l’article 2 TUE »

Table des matières

I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La Charte

2. Le traité sur l’Union européenne

3. La décision-cadre

B. Le droit irlandais

III. Les faits et la procédure au principal

IV. Analyse

A. Sur la recevabilité

B. Sur le fond

1. Observations liminaires

2. Sur la première question préjudicielle

a) Un risque réel de violation, non de l’article 4 de la Charte, mais de son article 47, deuxième alinéa, doit-il conduire à reporter l’exécution du mandat d’arrêt européen ?

b) Toute violation, quelle qu’en soit la gravité, de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte doit-elle conduire à reporter l’exécution du mandat d’arrêt européen ?

1) Introduction

2) Exigence d’un déni de justice flagrant

3) Caractérisation d’un déni de justice flagrant au regard de l’indépendance des juridictions

c) L’autorité judiciaire d’exécution doit-elle constater que la personne concernée risque de subir un déni de justice flagrant ?

1) Introduction et observations des parties

2) Exigence d’un examen individuel

3) Comment démontrer que la personne concernée court un risque réel de déni de justice flagrant dans l’État membre d’émission ?

3. Sur la seconde question préjudicielle

V. Conclusion

I. Introduction

1.

Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans le contexte de l’évolution et des réformes du système judiciaire polonais ( 2 ) qui ont conduit la Commission européenne à adopter, le 20 décembre 2017, une proposition motivée invitant le Conseil de l’Union européenne à constater, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, TUE, l’existence d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’une des valeurs communes aux États membres visées à l’article 2 TUE, à savoir l’État de droit ( 3 ) (ci-après la « proposition motivée de la Commission »).

2.

La procédure prévue à l’article 7 TUE, si elle est menée à son terme, c’est-à-dire à la constatation par le Conseil européen d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2 TUE, permet la suspension de certains des droits que cet État membre tient des traités. Une telle procédure n’a jamais été enclenchée, encore moins menée à son terme. La proposition motivée de la Commission constitue la première tentative en ce sens et, à ce jour, le Conseil n’a pas adopté la décision à laquelle l’invitait cette proposition.

3.

Dans la présente affaire, L. M., défendeur au principal, fait l’objet de trois mandats d’arrêt émis par des juridictions polonaises sur le fondement de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ( 4 ), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 ( 5 ) (ci-après la « décision-cadre »). Il affirme que, du fait des réformes du système judiciaire polonais telles qu’analysées dans la proposition motivée de la Commission, il court un risque réel de ne pas bénéficier, dans cet État membre, d’un procès équitable et soutient que ce risque s’oppose à sa remise, par la juridiction de renvoi, aux autorités judiciaires polonaises.

4.

Or, en vertu du principe de reconnaissance mutuelle, les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen ( 6 ). L’autorité judiciaire d’exécution ne peut refuser d’exécuter un tel mandat que dans les cas, exhaustivement énumérés, de non-exécution obligatoire, prévus à l’article 3 de la décision-cadre, ou de non-exécution facultative, visés aux articles 4 et 4 bis de la décision-cadre ( 7 ).

5.

Cependant, dans l’arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 98), la Cour a jugé que, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution constate qu’il existe, à l’égard de la personne faisant l’objet du mandat d’arrêt européen, un risque réel de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’exécution de ce mandat doit être reportée. Afin de parvenir à cette conclusion, la Cour s’appuie, d’une part, sur l’avis 2/13 (adhésion de l'Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 191), où elle a admis que, « dans des circonstances exceptionnelles », des limitations peuvent être apportées aux principes de reconnaissance et de confiance mutuelles, d’autre part, sur l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre, selon lequel celle-ci « ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux » tels qu’ils sont consacrés, notamment, par la Charte ( 8 ).

6.

Toutefois, la Cour prend soin, dans ledit arrêt Aranyosi et Căldăraru, d’encadrer le report de l’exécution du mandat d’arrêt européen en exigeant de l’autorité judiciaire d’exécution que celle-ci effectue un examen en deux étapes.

7.

Dans un premier temps, l’autorité judiciaire d’exécution doit constater l’existence d’un risque réel de traitements inhumains ou dégradants dans l’État membre d’émission en raison « de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention» ( 9 ). Afin de constater l’existence de telles défaillances, elle doit se fonder sur « des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés sur les conditions de détention qui prévalent dans l’État membre d’émission », notamment sur « [des] décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour [européenne des droits de l’homme], [des] décisions judiciaires de l’État membre d’émission ainsi que [des] décisions, [des] rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations Unies» ( 10 ).

8.

Dans un second temps, l’autorité judiciaire d’exécution doit s’assurer qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée par le mandat d’arrêt européen sera exposée au risque établi sur la base des éléments décrits au point précédent. En effet, « la seule existence […] de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention […] n’implique pas […] nécessairement que, dans un cas concret, la personne concernée serait soumise à un traitement inhumain ou dégradant en cas de remise» ( 11 ). L’autorité judiciaire d’exécution doit donc, sur la base de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre, demander à l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires sur les conditions de détention de la personne concernée. Si, sur la base de ces informations, l’autorité judiciaire d’exécution considère que la personne concernée ne court pas un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, elle doit exécuter le mandat d’arrêt européen. Si, à l’inverse, elle constate, sur la base de ces informations, que la personne concernée court un tel risque, elle doit reporter l’exécution de ce mandat.

9.

Dans la présente affaire, le droit fondamental à la violation duquel la personne recherchée prétend être exposée dans l’État membre d’émission n’est pas l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants en cause dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru susmentionné mais, nous l’avons dit, le droit à un procès équitable. Il est, notamment, demandé à la Cour si la seconde étape de l’examen défini dans ledit arrêt Aranyosi et Căldăraru est applicable à une telle situation. En d’autres termes, il est demandé à la Cour si, pour que l’autorité judiciaire d’exécution soit tenue de reporter l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, elle doit constater, d’une part, qu’il existe des défaillances du système judiciaire polonais constituant un risque réel de violation du droit à un procès équitable, d’autre part, que la personne concernée est exposée à un tel risque, ou s’il suffit qu’elle constate l’existence de défaillances du système judiciaire polonais, sans qu’elle doive s’assurer que la personne concernée y est exposée.

10.

La question est d’importance, dès lors que la juridiction de renvoi indique considérer, sur la base de la proposition motivée de la Commission et de deux avis ( 12 ) de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (ci-après la « Commission de Venise »), que de telles défaillances sont constituées.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La Charte

11.

L’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », prévoit :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues...

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