Opinion of Advocate General Bobek delivered on 3 September 2020.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62019CC0620
ECLIECLI:EU:C:2020:649
Date03 September 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 3 septembre 2020(1)

Affaire C620/19

Land Nordrhein-Westfalen

contre

D.-H. T. en tant que liquidateur de J & S Service UG,

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Compétence de la Cour – Renvoi dans la législation nationale à des dispositions du droit de l’Union – Jurisprudence Dzodzi – Renvoi direct and inconditionnel – Intérêt à une uniformité conceptuelle – Règlement (UE) 2016/679 – Protection des données – Limitations – Article 23, paragraphe 1, sous e) et j) – Exécution des demandes de droit civil – Procédure d’insolvabilité – Autorités fiscales »






I. Introduction

1. Conformément à l’article 267 TFUE, une demande de décision préjudicielle doit porter sur l’interprétation des traités ou sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. L’une des conditions pour la compétence de la Cour, selon cette disposition, est que l’acte de l’Union dont l’interprétation est demandée soit applicable dans l’affaire au principal, applicabilité prévue normalement dans l’acte concerné du droit de l’Union lui‑même.

2. À partir de l’arrêt Dzodzi (2), toutefois, la Cour a déclaré que les traités n’excluent pas la compétence de la Cour dans le cadre des demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union qui s’appliquent non pas directement aux faits de l’espèce (c’est‑à‑dire en vertu de dispositions contenues dans ces actes du droit de l’Union eux‑mêmes) mais qui ont été rendues indirectement applicables (c’est‑à‑dire au moyen d’un renvoi opéré par le droit national, qui a pour effet d’étendre le champ d’application du droit de l’Union). La Cour a donc jugé que, lorsqu’une législation nationale se conforme, pour les solutions qu’elle apporte à des situations ne relevant pas du champ d’application de l’acte de l’Union concerné, à celles retenues par ledit acte, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises de cet acte reçoivent une interprétation uniforme.

3. Quoi que ce principe ait ensuite été confirmé et appliqué dans plusieurs affaires ultérieures (ci‑après la « jurisprudence Dzodzi » (3)), les limites de la compétence de la Cour dans ces situations restent, à ce jour, encore bien incertaines.

4. La présente affaire conduit cette jurisprudence jusqu’à ses limites extrêmes. Dans son renvoi préjudiciel, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) demande à la Cour d’interpréter l’article 23, paragraphe 1, sous e) et j), du règlement (UE) nº 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (4), bien que cette disposition ne soit pas directement applicable à la situation en cause au principal. En effet, et ce pour plusieurs raisons, cette situation ne relève pas du champ d’application du règlement 2016/679. C’est par le seul effet d’un renvoi contenu dans la législation nationale applicable que l’article 23, paragraphe 1, de ce règlement a été rendu d’application à la situation soumise à l’examen de la juridiction de renvoi.

5. La présente affaire invite ainsi la Cour à préciser jusqu’où peut raisonnablement être poussée la logique d’un renvoi dans le droit national, telle que cette logique s’est développée à partir de l’arrêt Dzodzi, dans un cadre où, à la suite non pas d’une seule mais bien de plusieurs extensions du champ d’application d’une règle de l’Union opérées par le législateur national, la juridiction de renvoi se voit dans l’obligation d’interpréter cette règle de l’Union qui, à mon sens, n’a tout simplement aucun élément utile à apporter à la question concrète dont cette juridiction est saisie.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

6. Les considérants 2, 4 et 73 du règlement nº 2016/679 énoncent ce qui suit :

« (2) Les principes et les règles régissant la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel les concernant devraient, quelle que soit la nationalité ou la résidence de ces personnes physiques, respecter leurs libertés et droits fondamentaux, en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel. [...]

[...]

(4) Le traitement des données à caractère personnel devrait être conçu pour servir l’humanité. Le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Le présent règlement respecte tous les droits fondamentaux et observe les libertés et les principes reconnus par la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la “Charte”)], consacrés par les traités, en particulier le respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications, la protection des données à caractère personnel, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’information, la liberté d’entreprise, le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, et la diversité culturelle, religieuse et linguistique.

[...]

(73) Des limitations à certains principes spécifiques ainsi qu’au droit à l’information, au droit d’accès aux données à caractère personnel, au droit de rectification ou d’effacement de ces données, au droit à la portabilité des données, au droit d’opposition, aux décisions fondées sur le profilage, ainsi qu’à la communication d’une violation de données à caractère personnel à une personne concernée et à certaines obligations connexes des responsables du traitement peuvent être imposées par le droit de l’Union ou le droit d’un État membre, dans la mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir la sécurité publique, y compris la protection de la vie humaine, particulièrement en réponse à des catastrophes d’origine naturelle ou humaine, la prévention des infractions pénales, les enquêtes et les poursuites en la matière ou l’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces ou de manquements à la déontologie des professions réglementées, et pour garantir d’autres objectifs d’intérêt public importants de l’Union ou d’un État membre, notamment un intérêt économique ou financier important de l’Union ou d’un État membre, la tenue de registres publics conservés pour des motifs d’intérêt public général, le traitement ultérieur de données à caractère personnel archivées pour fournir des informations spécifiques relatives au comportement politique dans le cadre des régimes des anciens États totalitaires ou la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui, y compris la protection sociale, la santé publique et les finalités humanitaires. Il y a lieu que ces limitations respectent les exigences énoncées par la Charte et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

7. L’article 1er du règlement nº 2016/679, intitulé « Objet et objectifs », prévoit :

« 1. Le présent règlement établit des règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et des règles relatives à la libre circulation de ces données.

2. Le présent règlement protège les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel.

[...] »

8. L’article 23 du règlement nº 2016/679, intitulé « Limitations », constitue les dispositions finales du chapitre III de ce règlement où sont abordés les droits de la personne concernée. Il précise :

« 1. Le droit de l’Union ou le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement ou le sous-traitant est soumis peuvent, par la voie de mesures législatives, limiter la portée des obligations et des droits prévus aux articles 12 à 22 et à l’article 34, ainsi qu’à l’article 5 dans la mesure où les dispositions du droit en question correspondent aux droits et obligations prévus aux articles 12 à 22, lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir :

[...]

(e) d’autres objectifs importants d’intérêt public général de l’Union ou d’un État membre, notamment un intérêt économique ou financier important de l’Union ou d’un État membre, y compris dans les domaines monétaire, budgétaire et fiscal, de la santé publique et de la sécurité sociale ;

[...]

(j) l’exécution des demandes de droit civil. »

B. Le droit allemand

9. L’article 2a de l’Abgabenordnung (code des impôts, ci‑après l’« AO »), telle que modifiée par la loi du 17 juillet 2017 (5), article intitulé « Champ d’application des dispositions relatives au traitement des données à caractère personnel », énonce ce qui suit :

« 3. Les dispositions de la présente loi et des lois fiscales relatives au traitement des données à caractère personnel ne sont pas applicables lorsque le droit de l’Union, en particulier le règlement 2016/679 […] dans la version en vigueur, est d’application que ce soit directement ou mutatis mutandis en vertu du paragraphe 5.

[...]

5. Sauf disposition contraire, les dispositions du règlement 2016/679, de la présente loi et des lois fiscales relatives au traitement des données à caractère personnel des personnes physiques s’appliquent mutatis mutandis aux informations afférentes

1) aux personnes physiques décédées ou

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