Société Arcelor Atlantique et Lorraine and Others v Premier ministre, Ministre de l’Écologie et du Développement durable and Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:292
Docket NumberC-127/07
Celex Number62007CC0127
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date21 May 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 21 mai 2008 (1)

Affaire C‑127/07

Société Arcelor Atlantique et Lorraine,

Société Sollac Méditerrannée,

Société Arcelor Packaging International,

Société Ugine & Alz France,

Société Industeel Loire,

Société Creusot Métal,

Société Imphy Alloys,

Arcelor SA

contre

Premier ministre,

Ministre de l’Écologie et du Développement durable,

Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Prévention et réduction intégrées de la pollution – Système d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre – Différence de traitement entre les installations du secteur sidérurgique et les industries de l’aluminium et du plastique, émettant des gaz à effet de serre»





1. La question qui fait l’objet du présent renvoi préjudiciel porte sur la compatibilité avec le principe d’égalité du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre instauré par une directive communautaire et suppose la mise en œuvre d’appréciations de fait complexes. Il peut sembler paradoxal que pareille question technique ait pour origine un arrêt d’une importance majeure sur les rapports entre droit constitutionnel national et droit communautaire. Quelque vingt ans après le prononcé par la même juridiction de renvoi de l’arrêt Nicolo (2) qui réglait la question de la primauté du droit communautaire sur les lois, l’arrêt Arcelor rendu par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État le 8 février 2007 précise en effet, en termes de principe, les relations entre la Constitution française et le droit communautaire ainsi que les modalités de la coopération entre la Cour de justice et le juge administratif français, lorsque ce dernier est saisi d’une critique de la constitutionnalité d’une directive communautaire. L’apparent paradoxe tient alors au fait que, comme on le verra, la mise en cause de la validité de la directive au regard du principe communautaire d’égalité est née d’une contestation de la constitutionnalité de cette dernière. La présente affaire donne alors à la Cour l’occasion de préciser, elle aussi, la nature des rapports entre constitutions nationales et droit communautaire. Elle pourra ainsi dissiper certaines craintes d’un éventuel conflit qui, on le verra, ne sont absolument pas justifiées, étant donné les fondements constitutionnels communs sur lesquels reposent les ordres juridiques nationaux et communautaire.

2. La question préjudicielle en elle‑même n’est pas non plus sans portée. Elle met en cause la légalité d’un texte législatif qui constitue l’un des jalons principaux de la politique de la Communauté en matière de protection de l’environnement. Elle invite la Cour à se prononcer sur les rapports, par nature dialectiques, entre la pratique de l’expérimentation législative et les exigences normatives de l’égalité de traitement.

I – Le cadre juridique

3. Le texte mis en cause dans la présente affaire a été pris dans l’optique de l’exécution par la Communauté et ses États membres des engagements souscrits au titre du protocole de Kyoto à la convention‑cadre des Nations‑Unies sur les changements climatiques (ci‑après le «protocole de Kyoto»). Adopté le 11 décembre 1997, ledit protocole tend à réduire le total des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période 2008‑2012. Approuvé par la Communauté par décision du 25 avril 2002, il contient les engagements de la Communauté européenne et de ses États membres de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période allant de 2008 à 2012, engagements que la Communauté et ses États membres ont convenu de remplir conjointement.

4. Sans attendre l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto qui a eu lieu le 16 février 2005, la Communauté et ses États membres ont décidé de se conformer par anticipation aux obligations souscrites. À cet effet, le Parlement européen et le Conseil ont adopté, le 13 octobre 2003, sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1 CE, la directive 2003/87/CE (3). Celle‑ci est entrée en vigueur le 25 octobre 2003 et la date limite de sa transposition a été fixée au 1er janvier 2005.

5. Afin de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes, la directive 2003/87 établit un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Au cours d’une première phase allant de 2005 à 2007, la directive ne couvre, aux termes de son article 4, que l’un des gaz à effet de serre indiqués à son annexe II, à savoir le dioxyde de carbone (ou CO2), et les seules émissions résultant des activités listées dans son annexe I. Le système d’échange de quotas qu’elle institue ne s’applique donc, au cours de cette première phase, qu’aux activités menées dans le secteur de l’énergie, à la production et à la transformation de métaux ferreux (fonte, acier), à l’industrie minérale (ciment, verre, céramique) et à la fabrication de pâte à papier, de papier et de carton. Un réexamen est néanmoins prévu à l’article 30 de la directive 2003/87 qui aura pour objet une modification éventuelle de l’annexe I de celle‑ci afin d’y inclure d’autres activités et les émissions d’autres gaz à effet de serre.

6. En vertu de l’article 4 de la directive 2003/87, toute installation se livrant à une activité ainsi visée à l’annexe I de cette directive et entraînant des émissions de CO2 doit détenir une autorisation délivrée par l’autorité compétente, celle‑ci n’étant délivrée que si l’exploitant est en mesure de surveiller et de déclarer les émissions de CO2. La quantité totale de quotas attribuée par chaque État membre aux exploitants des installations visées à ladite annexe I se fait sur la base d’un plan national d’allocation de quotas. Celui‑ci précise, pour la première période de trois ans et puis pour des périodes de cinq ans suivantes, non seulement la quantité totale de quotas que l’État membre a l’intention d’allouer pour la période considérée mais aussi les critères sur la base desquels il se propose de les attribuer.

7. L’article 10 de la directive prévoit l’obligation pour les États membres d’allouer au moins 95 % des quotas à titre gratuit pour la première phase et au moins 90 % pour la deuxième période. Aux termes de l’article 12 enfin, les quotas peuvent être transférés entre personnes dans la Communauté et entre personnes dans la Communauté et personnes dans des pays tiers.

8. La transposition en droit français de la directive 2003/87 a été effectuée par une ordonnance du 15 avril 2004 portant création d’un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, les modalités d’application étant renvoyées à un décret en Conseil d’État. Sur ce fondement, le décret n° 2004‑832 du 19 août 2004 a été adopté.

II – Le litige au principal et la question préjudicielle

9. La société Arcelor et d’autres entreprises sidérurgiques ont, le 12 juillet 2005, demandé au Président de la République, au Premier ministre, au ministre de l’écologie et du développement durable et au ministre délégué à l’industrie l’abrogation de l’article 1er du décret n° 2004‑832 du 19 août 2004 en tant qu’il rend ce décret applicable aux installations du secteur sidérurgique. N’ayant pas obtenu gain de cause, les requérantes ont, le 15 novembre 2005, formé devant le Conseil d’État un recours pour excès de pouvoir contre les refus implicites d’abrogation et demandé à ce qu’il soit enjoint aux autorités administratives compétentes de procéder à l’abrogation sollicitée. À l’appui de leur recours, elles ont invoqué la violation de plusieurs principes de valeur constitutionnelle, tels que le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité.

10. Dans son arrêt de renvoi, le Conseil d’État a relevé qu’en soumettant les activités sidérurgiques au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, l’article 1er du décret litigieux ne fait que reprendre, à l’identique, le contenu de la directive 2003/87. En effet, l’annexe I de ladite directive, qui fixe la liste des activités auxquelles elle s’applique, mentionne notamment, au titre des émissions de dioxyde de carbone, les activités de «production et transformation des métaux ferreux», c’est‑à‑dire les «installations de grillage ou de frittage de minerai métallique, y compris de minerai sulfuré» et les «installations pour la production de fonte et d’acier (fusion primaire ou secondaire), y compris les équipements pour coulée continue d’une capacité de plus de 2, 5 tonnes par heure». De même, l’article 1er du décret du 19 août 2004 dispose que «le présent décret s’applique aux installations classées pour la protection de l’environnement produisant ou transformant des métaux ferreux, produisant de l’énergie, des produits minéraux, du papier ou de la pâte à papier et répondant aux critères fixés dans l’annexe au présent décret, au titre de leur rejet de dioxyde de carbone dans l’atmosphère»; et, aux termes du point II‑A de l’annexe audit décret, sont visées au titre des activités de production et de transformation des métaux ferreux, les «installations de grillage ou de frittage de minerai métallique, y compris de minerai sulfuré» et les «installations pour la production de fonte ou d’acier (fusion primaire ou secondaire) y compris les équipements pour coulée continue d’une capacité de plus de 2, 5 tonnes par heure». Comme le relève à juste titre le Conseil d’État, cette reproduction du contenu de la directive était imposée par cette dernière qui exclut la possibilité pour un État membre de soustraire des activités visées à son annexe I au champ d’application du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

11. Dès lors, critiquer la constitutionnalité du décret revenait à mettre indirectement en cause la conformité à la Constitution française de la...

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