Dieter Kraus v Land Baden-Württemberg.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1993:6
Date13 January 1993
Celex Number61992CC0019
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-19/92
EUR-Lex - 61992C0019 - FR 61992C0019

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 13 janvier 1993. - Dieter Kraus contre Land Baden-Württemberg. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Stuttgart - Allemagne. - Utilisation d'un titre universitaire de troisième cycle - Législation d'un État membre exigeant une autorisation pour l'emploi des titres obtenus dans un autre État membre. - Affaire C-19/92.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-01663
édition spéciale suédoise page I-00167
édition spéciale finnoise page I-00177


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Cette affaire porte sur la question de savoir si le droit communautaire s' oppose à ce qu' un État membre subordonne l' utilisation d' un titre universitaire obtenu dans un autre État membre à une autorisation délivrée à cet effet par l' administration compétente.

Faits et cadre juridique

2. Le litige au principal oppose l' Allemand Dieter Kraus (ci-après "M. Kraus") au Land Baden-Wuerttemberg. M. Kraus a étudié le droit en République fédérale d' Allemagne et y a réussi, en 1986, le premier examen d' État en droit (1). Après une année d' études de troisième cycle, il a obtenu ensuite, à l' université d' Édimbourg, le grade universitaire de "Master of Laws (LL.M.)" (ci-après "LL.M.)". Après avoir travaillé temporairement en tant qu' assistant à l' université de Tuebingen, il a entamé dans le Land Baden-Wuerttemberg le stage pour juristes en vue de présenter le second examen d' État en droit. Ce dernier examen clôture la formation d' "Einheitsjurist". Étant donné qu' il permet au candidat qui a réussi d' accéder en qualité de "Volljurist" à la magistrature, au barreau et au notariat, il donne également accès à toutes les autres professions juridiques, réglementées ou non (2).

Dans le litige au principal, M. Kraus demande la reconnaissance du droit de se prévaloir de son LL.M. sans autorisation au Baden-Wuerttemberg, cela indépendamment de tout accès à ou de tout exercice d' une profession juridique réglementée. Par lettre du 9 janvier 1989, il avait transmis à cet effet, lorsqu' il était encore assistant à l' université, une copie de son diplôme au ministère des Sciences et des Arts du Land Baden-Wuerttemberg (ci-après "ministère"). Le ministère lui a répondu, par lettre du 23 janvier 1989, qu' il devait introduire une demande d' autorisation formelle, conformément à la législation applicable. M. Kraus a fait savoir au ministère que l' exigence d' une autorisation était, selon lui, incompatible avec l' article 48 du traité CEE. Le ministère ne partageait pas ce point de vue.

3. La législation applicable au Baden-Wuerttemberg est encore le Gesetz ueber die Fuehrung akademischer Grade, c' est-à-dire une loi du Reich de 1939. Selon cette loi, une autorisation est requise pour l' utilisation d' un titre universitaire étranger, sous peine d' emprisonnement ou d' amende. Cette exigence d' une autorisation vise tant les ressortissants allemands que, à quelques exceptions près, les étrangers venant de la Communauté ou d' ailleurs. L' autorisation est délivrée par le ministère individuellement. Pour ce qui concerne les titres universitaires délivrés par certains établissements d' enseignement étrangers, elle peut toutefois être accordée sous la forme d' une autorisation générale. A l' époque où la question préjudicielle a été posée, une autorisation générale de ce type existait pour les titres universitaires français et néerlandais, mais pas pour les titres obtenus au Royaume-Uni (3).

Pour un exposé complet des faits du litige au principal et du cadre juridique de cette affaire, nous renvoyons au rapport d' audience. Nous souhaitons attirer particulièrement l' attention sur un point, parce que son importance est déterminante pour la réponse à la question préjudicielle posée. Ainsi qu' il ressort de cette question (voir le point 5 ci-après), il ne s' agit pas, dans le litige au principal, de savoir si un titre de LL.M., tel que celui obtenu par M. Kraus à l' université d' Édimbourg, donne accès en République fédérale d' Allemagne, plus précisément au Baden-Wuerttemberg, à l' une ou l' autre profession juridique réglementée. Il s' agit uniquement de savoir si M. Kraus peut, sans autorisation, utiliser son titre au Baden-Wuerttemberg dans la vie professionnelle et en dehors de celle-ci.

4. Avant d' examiner la question posée par la juridiction de renvoi, le Verwaltungsgericht Stuttgart (République fédérale d' Allemagne), nous souhaitons observer que la directive 89/48/CEE (4) n' offre pas de solution au cas de M. Kraus. Cette directive devait avoir été mise en oeuvre par les États membres au début de 1990 (5). Elle organise entre les États membres un système de reconnaissance mutuelle des diplômes qui donnent accès à ou permettent d' exercer une profession réglementée. Sous réserve d' une seule disposition particulière ((voir l' article 4, paragraphe 1, sous b), in fine)), elle s' applique également aux professions juridiques. L' article 7, paragraphe 2, de la directive reconnaît aux ressortissants des États membres le droit de faire usage de leur titre de formation. L' État membre d' accueil peut seulement prescrire que le titre soit suivi des nom et lieu de l' établissement qui l' a délivré.

La directive 89/48 s' applique toutefois exclusivement aux titres universitaires qui sanctionnent un cycle d' études d' une durée minimale de trois ans. Or, comme c' est habituellement le cas pour les titres du troisième cycle, M. Kraus a obtenu son diplôme de LL.M. à l' issue d' une année d' études. En outre, le droit de faire usage de son titre, garanti par l' article 7, paragraphe 2, ne vaut qu' à l' égard des ressortissants des États membres qui remplissent les conditions d' accès à et d' exercice d' une activité professionnelle réglementée. Comme nous l' avons indiqué plus haut, la demande faite par M. Kraus en vue d' utiliser son titre de LL.M. en République fédérale d' Allemagne n' est pas liée à un quelconque souhait de sa part d' exercer une profession réglementée.

La directive 92/51/CEE (6) complète la directive examinée ci-dessus. Cette nouvelle directive doit être transposée par les États membres avant le 18 juin 1994. Elle élargit le système de reconnaissance mutuelle aux diplômes sanctionnant des études d' une durée d' au moins un an. Comme c' est exactement le cas pour la directive 89/48, le droit de se prévaloir de son titre garanti par la directive ne vaut qu' à l' égard de la personne qui remplit les conditions d' accès à et d' exercice d' une activité professionnelle réglementée.

5. En posant sa question préjudicielle, le Verwaltungsgericht Stuttgart souhaite savoir si une réglementation nationale qui soumet l' utilisation d' un titre universitaire obtenu dans un autre État membre à une exigence d' autorisation sanctionnée pénalement est contraire à l' article 48 du traité CEE ou à toute autre disposition du droit communautaire, lorsqu' il s' agit d' un "titre universitaire ... sanctionnant des études de troisième cycle dans un autre État membre et qui, sans conditionner l' accès à une profession, comporte des avantages pour l' exercice de cette dernière".

Nous nous proposons d' examiner la réglementation nationale telle que la décrit la juridiction de renvoi à la lumière à la fois des articles 48 et 59 ainsi que des dispositions combinées des articles 128 et 7 du traité CEE. Nous examinerons d' abord l' article 48 (points 6 à 17), notamment parce que la juridiction de renvoi le demande expressément, ensuite l' article 59 (points 18 à 21), et enfin les dispositions combinées des articles 128 et 7 (points 22 à 24). Bien que nous examinions d' abord l' article 48 et en dernier lieu les dispositions combinées des articles 128 et 7, il ressortira de l' analyse effectuée ci-après que l' incompatibilité de la réglementation nationale examinée avec le droit communautaire est surtout établie, à notre avis, à l' égard des articles cités en dernier lieu.

Compatibilité de la réglementation nationale avec l' article 48 du traité CEE

Discrimination déguisée

6. L' article 48, paragraphe 2, interdit en principe toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l' emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Une disposition nationale instaurant un système d' autorisation, même purement formelle, à l' égard des étrangers uniquement - ce qui n' est pas le cas en l' espèce -, est indubitablement discriminatoire par nature (7). En l' espèce, le système d' autorisation vise cependant non pas directement les étrangers, mais les diplômes étrangers. Il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour que, en matière de discrimination fondée tant sur la nationalité que sur le sexe, sont interdites non seulement les discriminations ostensibles, mais encore les formes dissimulées de discrimination (8). En matière de discrimination fondée sur la nationalité, ce principe a été formulé pour la première fois dans l' arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (9), selon lequel

"... les règles de l' égalité de traitement ... prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d' autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat;

...

... qu' il n' est donc pas exclu que des critères tels que le lieu d' origine ou le domicile d' un travailleur puissent, selon les circonstances, constituer, dans leur effet pratique, l' équivalent d' une discrimination de nationalité prohibée par le traité...".

7. Cette jurisprudence trouve également application en l' espèce. Une interdiction nationale relative à l' utilisation des titres qui, bien qu' applicable indistinctement aux nationaux et aux étrangers, fait une distinction entre les titres...

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