M. M. v Minister for Justice, Equality and Law Reform, Ireland and Attorney General.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:253
Date26 April 2012
Celex Number62011CC0277
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC‑277/11
62011CC0277

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 26 avril 2012 ( 1 )

Affaire C‑277/11

M. M.

contre

Minister for Justice, Equality and Law Reform,

Irlande,

Attorney General

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court (Irlande)]

«Régime d’asile européen commun — Directive 2004/83/CE — Normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié — Directive 2005/85/CE — Normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres — Procédure d’examen d’une demande de protection subsidiaire à la suite du rejet d’une demande d’asile — Garanties procédurales accordées au demandeur — Droit d’être entendu — Portée du devoir de coopération»

1.

Par sa question préjudicielle, la High Court (Irlande) invite, en substance, la Cour à préciser la portée du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure d’examen d’une demande de protection subsidiaire introduite par un ressortissant rwandais au titre de la directive 2004/83/CE ( 2 ). Cette protection subsidiaire s’adresse à tout ressortissant d’un pays tiers qui ne peut pas être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves une fois de retour dans son pays d’origine ( 3 ).

2.

Conformément à l’article 78, paragraphe 2, TFUE, l’Union européenne a établi des critères communs à l’ensemble des États membres en ce qui concerne les conditions que les ressortissants de pays tiers doivent satisfaire afin de bénéficier d’une protection internationale au titre de la directive 2004/83. Dans le cadre du chapitre II de cette directive, consacré à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale, l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci dispose ce qui suit:

«Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.»

3.

Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi demande à la Cour si le devoir de coopération établi à cette disposition doit être interprété en ce sens qu’il contraint l’autorité responsable de l’examen de la demande à communiquer, préalablement à l’adoption d’une décision défavorable et alors qu’une demande d’asile a déjà été rejetée, les éléments sur lesquels elle entend fonder cette décision et à recueillir, sur ce point, les observations du demandeur.

4.

La demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant M. M., un ressortissant rwandais membre de l’ethnie tutsie, au Minister for Justice, Equality and Law Reform, à l’Irlande et à l’Attorney General au sujet de la légalité de la procédure suivie par ces autorités irlandaises pour instruire sa demande de protection subsidiaire.

5.

À la suite de l’expiration du visa d’étude qui lui avait été accordé par les autorités irlandaises, M. M. a introduit, devant l’Office of the Refugee Applications Commissionner (service du commissaire chargé des demandes d’asile) ( 4 ), une demande d’asile le 21 mai 2008. Consécutivement au rejet de celle-ci, M. M. a introduit une demande de protection subsidiaire le 31 décembre 2008, laquelle a également été rejetée le 24 septembre 2010. Le Minister for Justice, Equality and Law Reform a considéré que, en raison des doutes sérieux pesant sur la crédibilité de ses allégations, il n’était pas possible de démontrer qu’il risquerait de subir une atteinte grave une fois de retour dans son pays d’origine, justifiant l’octroi d’une protection subsidiaire.

6.

C’est à l’encontre de cette dernière décision que M. M. a introduit un recours en annulation devant la High Court. Il estime que les autorités nationales compétentes n’ont pas respecté le devoir de coopération qui leur incombe au titre de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83, en ne lui offrant pas la possibilité de présenter ses observations sur le projet de décision portant rejet de sa demande, laquelle faisait notamment état d’un document dont l’intéressé n’a pas eu connaissance au cours de la procédure.

7.

Dans sa décision de renvoi, la High Court indique ne pas partager l’analyse de M. M. sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83. À cet égard, elle se réfère à son arrêt du 24 mars 2011, Ahmed v. Minister for Justice, Equality and Law Reform, et à deux des arguments qu’elle avait exposés en vue de rejeter une telle interprétation. Le premier était lié à la nécessité d’éviter une multiplicité d’étapes procédurales. Le second était relatif à l’interaction considérable ayant déjà eu lieu entre l’autorité nationale compétente et le demandeur au cours de l’examen de la demande d’asile. La High Court précisait, en effet, qu’une demande de protection subsidiaire était introduite non pas isolément, mais à la suite d’une procédure d’examen d’une demande d’asile au cours de laquelle le demandeur était déjà entendu à de nombreuses reprises.

8.

Néanmoins, dans sa décision de renvoi, la High Court relève que le Raad van State (Conseil d’État) (Pays-Bas), dans un arrêt du 12 juillet 2007, a paru adopter une autre interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83. C’est afin d’éviter toute divergence d’interprétation des juridictions des États membres que la High Court a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Dans l’hypothèse où un demandeur sollicite le statut conféré par la protection subsidiaire après que le statut de réfugié lui a été refusé et où il est proposé qu’une telle demande soit rejetée, l’exigence de coopérer avec le demandeur imposée aux États membres par l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83[…] oblige-t-elle les autorités administratives de l’État membre en question à communiquer au demandeur les résultats d’une telle appréciation avant l’adoption d’une décision finale, de manière à lui permettre de réagir aux aspects de la décision proposée qui tendent à la réponse négative?»

9.

Des observations ont été déposées par les parties au litige au principal, les gouvernements tchèque et allemand, l’Irlande, les gouvernements français, hongrois, néerlandais et suédois ainsi que par la Commission européenne.

10.

Lors de l’audience, le représentant de M. M. a invité la Cour à reformuler la question posée de sorte que celle-ci puisse, en substance, apprécier si la procédure d’examen en cause a permis de garantir le respect du droit à un recours juridictionnel effectif, tel que celui-ci est consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 5 ). Dans la mesure où cette reformulation dépasse largement le cadre fixé par la juridiction de renvoi et où cette question n’a, par conséquent, nullement été débattue par les parties, nous invitons la Cour à ne pas y faire droit.

I – Notre analyse

11.

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si le devoir de coopération, établi à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83, doit être interprété en ce sens que l’État membre est tenu d’entendre l’intéressé au sujet de l’évaluation des faits et des circonstances à laquelle il a procédé, préalablement à l’adoption d’une décision de rejet.

12.

L’enjeu de la réponse à la question posée par la juridiction de renvoi est clair.

13.

D’une part, il s’agit de déterminer la portée du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure d’examen d’une demande de protection internationale. En particulier, la question est de savoir si le devoir de coopération institué à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 contraint l’autorité responsable de l’examen d’une demande de protection subsidiaire à communiquer, préalablement à l’adoption d’une décision défavorable et alors qu’une demande d’asile a déjà été rejetée, les éléments sur lesquels elle entend fonder cette décision et à recueillir, sur ce point, les observations du demandeur.

14.

D’autre part, il s’agit de préciser les garanties minimales que les autorités nationales compétentes ne peuvent pas refuser de reconnaître aux demandeurs d’une protection internationale dans le cadre de la procédure d’examen de leur demande. En effet, si, conformément au onzième considérant de la directive 2005/85/CE ( 6 ) et à la jurisprudence de la Cour, les États membres disposent d’une marge d’appréciation dans l’organisation du traitement des demandes de protection internationale, ces derniers sont, néanmoins, tenus de garantir le respect des droits et des principes procéduraux, même minimaux, établis dans le cadre de cette directive ( 7 ).

A – Les observations liminaires

15.

Préalablement à l’examen de la question, nous souhaitons formuler deux observations.

16.

Premièrement, il faut relever, d’emblée, que le libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 ne permet pas de créer à la charge des États membres une obligation telle que celle revendiquée par M. M., et ce quelle que soit la version linguistique de ce texte.

17.

Pour répondre à la question que nous pose la juridiction de renvoi, il faudra, d’abord, par conséquent, rappeler la portée du droit d’être entendu dans l’ordre juridique de l’Union, tel que la Cour l’a défini dans sa jurisprudence, avant de déterminer la portée que celui-ci devrait revêtir dans le cadre de la...

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