Angelo Alberto Torresi (C-58/13) and Pierfrancesco Torresi (C-59/13) v Consiglio dell’Ordine degli Avvocati di Macerata.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:265
Docket NumberC-59/13,C-58/13
Celex Number62013CC0058
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date10 April 2014
62013CC0058

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 10 avril 2014 ( 1 )

Affaires jointes C‑58/13 et C‑59/13

Angelo Alberto Torresi

contre

Consiglio dell’Ordine degli Avvocati di Macerata (C‑58/13)

et

Pierfrancesco Torresi

contre

Consiglio dell’Ordine degli Avvocati di Macerata (C‑59/13)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Consiglio nazionale forense (Italie)]

«Notion de ‘juridiction d’un État membre’ — Consiglio nazionale forense — Indépendance — Impartialité — Article 3 de la directive 98/5/CE — Validité — Exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise — Abus de droit — Respect des identités nationales»

1.

M. Angelo Alberto Torresi et M. Pierfrancesco Torresi (ci-après «MM. Torresi») sont des ressortissants italiens qui, après avoir acquis le droit d’utiliser le titre professionnel d’«abogado» en Espagne, ont demandé au conseil de l’ordre compétent en Italie leur inscription afin d’être autorisés à exercer la profession d’avocat en Italie. Leur demande était fondée sur les lois italiennes transposant la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise ( 2 ).

2.

Dès lors que le conseil de l’ordre local n’a pas pris de décision sur ces demandes dans le délai prescrit, MM. Torresi ont tous deux introduit un recours devant le Consiglio nazionale forense (CNF) (Conseil national de l’ordre des avocats, Italie). Au cours de ces procédures, le CNF a décidé de soumettre à la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, deux questions concernant l’interprétation et la validité de la directive 98/5 à la lumière du principe de l’interdiction de l’«abus de droit» et en appelant au «respect des identités nationales».

3.

À mon avis, la réponse à ces questions est assez claire. Toutefois, avant d’aborder les aspects de fond soulevés par la présente affaire, il y a une question de nature procédurale qui doit être traitée en premier: le CNF, dans l’affaire au principal, est-il compétent pour soumettre des questions à la Cour au titre d’une procédure préjudicielle?

4.

Premièrement et avant toute chose, cette question exige un examen de la portée et la fonction des critères d’indépendance et d’impartialité en relation avec la notion de «juridiction d’un État membre» au sens de l’article 267 TFUE.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

5.

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 98/5 prévoit:

«Tout avocat a le droit d’exercer à titre permanent, dans tout autre État membre, sous son titre professionnel d’origine, les activités d’avocat telles que précisées à l’article 5.»

6.

L’article 3 de la directive 98/5, intitulé «Inscription auprès de l’autorité compétente», énonce:

«1. L’avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle est tenu de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de cet État membre.

2. L’autorité compétente de l’État membre d’accueil procède à l’inscription de l’avocat au vu de l’attestation de son inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine. […]»

7.

L’article 9 de la directive 98/5, intitulé «Motivation et recours juridictionnel», se lit comme suit:

«Les décisions de refus de l’inscription visée à l’article 3 ou de retrait de cette inscription ainsi que les décisions prononçant des sanctions disciplinaires doivent être motivées.

Ces décisions sont susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne.»

B – Le droit italien

8.

La directive 98/5 a été transposée en Italie par le décret législatif no 96, du 2 février 2001 (ci-après le «décret législatif no 96/2001») ( 3 ).

9.

Conformément à l’article 6, paragraphes 1 à 3, du décret législatif no 96/2001, pour exercer la profession d’avocat en Italie, les ressortissants des États membres qui ont acquis un titre dans leur pays d’origine sont tenus de s’inscrire dans une section spéciale du tableau consacrée aux avocats établis, constitué auprès du tribunal dans le ressort duquel ils ont fixé de façon stable leur résidence ou leur domicile professionnel. La demande doit être accompagnée des documents prouvant que le demandeur est un ressortissant d’un État membre, d’un certificat de résidence ou d’une déclaration avec indication du domicile professionnel et d’une attestation d’inscription à l’organisation professionnelle de l’État membre d’origine.

10.

Aux termes de l’article 6, paragraphe 6, du décret législatif no 96/2001, le conseil de l’ordre compétent vérifie, dans les 30 jours à compter de la date à laquelle la demande lui est présentée ou complétée, «l’existence des conditions requises et, s’il n’existe pas de motif d’incompatibilité, ordonne l’inscription dans la section spéciale du tableau et en informe l’autorité correspondante de l’État membre d’origine». L’article 6, paragraphe 8, de ce même décret prévoit que, si le conseil de l’ordre compétent n’a pas statué sur la demande dans le délai prévu à l’article 6, l’intéressé peut, dans les 10 jours après l’expiration de ce délai, former un recours devant le Consiglio nazionale forense qui se prononce «sur l’inscription».

11.

À l’époque des faits, la composition, le rôle et les activités du CNF étaient initialement régis par le décret-loi royal no 1578, du 27 novembre 1933 (ci-après le «décret-loi no 1578/1933») ( 4 ), le décret royal no 37, du 22 janvier 1934 ( 5 ), et d’autres législations dérivées ( 6 ).

12.

Le CNF, qui a son siège à Rome, au ministère de la Justice, est composé de 26 membres (correspondant au nombre de ressorts de cour d’appel) élus par leurs pairs au sein des avocats ayant le droit de plaider devant les juridictions supérieures italiennes.

13.

Aux termes des articles 31 et 54 du décret-loi no 1578/1933, le CNF est compétent pour connaître des actions contre les décisions des conseils de l’ordre locaux relatives aux admissions au tableau des avocats et aux matières disciplinaires. En vertu de l’article 56 de ce décret, un recours contre les décisions du CNF peut être formé devant la Corte suprema di cassazione, Sezioni Unite (Cour de cassation, chambres réunies) pour des motifs d’«incompétence, abus de pouvoir et erreur de droit».

II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

14.

MM. Torresi ont chacun obtenu un diplôme universitaire en droit (Licenciado en Derecho) en Espagne et, le 1er décembre 2011, ils ont été inscrits en tant qu’«abogado ejerciente» par l’Ilustre Colegio de Abogados de Santa Cruz de Tenerife (barreau de Santa Cruz de Tenerife, Espagne).

15.

Par une demande déposée le 17 mars 2012, MM. Torresi ont chacun demandé au conseil de l’ordre des avocats de Macerata leur inscription dans la section spéciale du tableau consacrée aux avocats établis. Le conseil de l’ordre de Macerata n’a toutefois pas pris de décision sur les demandes dans le délai de 30 jours prescrit par la loi italienne ( 7 ).

16.

Le 19 avril 2012, MM. Torresi ont donc formé un recours auprès du CNF en vue d’une décision quant à leur demande d’inscription ( 8 ).

17.

Éprouvant des doutes quant à l’interprétation de la validité de l’article 3 de la directive 98/5, le CNF a décidé de suspendre la procédure et de déférer les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1)

L’article 3 de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise, à la lumière du principe général de l’interdiction d’abus de droit et de l’article 4, paragraphe 2, TUE relatif au respect des identités nationales, doit-il s’interpréter en ce sens qu’il oblige les autorités administratives nationales à inscrire sur la liste des avocats établis des citoyens italiens qui auraient adopté des comportements abusifs du droit de l’Union et s’oppose-t-il à une pratique nationale qui permettrait à de telles autorités de rejeter les demandes d’inscription au tableau des avocats établis au cas où il existerait des circonstances objectives de nature à retenir l’existence d’un abus du droit de l’Union, sous réserve, d’une part, du respect du principe de proportionnalité et de non-discrimination et, d’autre part, du droit de l’intéressé à agir en justice pour faire valoir d’éventuelles violations du droit d’établissement et, partant, du contrôle juridictionnel de l’action de l’administration?

2)

En cas de réponse [affirmative] à la première question, l’article 3 de la directive 98/5, ainsi interprété, doit-il être considéré comme invalide à la lumière de l’article 4, paragraphe 2, TUE dans la mesure où il permet de contourner la réglementation d’un État membre qui subordonne l’accès à la profession d’avocat à l’obtention d’un examen d’État lorsqu’un tel examen est prévu par la Constitution dudit État et fait partie des principes fondamentaux de protection des usagers des activités professionnelles et de la bonne administration de la justice?»

18.

Des observations écrites ont été présentées par MM. Torresi, les gouvernements espagnol, italien, autrichien, polonais et roumain ainsi que le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne. Lors de l’audience du 11 février 2014, MM. Torresi, les gouvernements espagnol et italien ainsi que le Parlement, le Conseil et la Commission...

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