Seda Kücükdeveci v Swedex GmbH & Co. KG.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62007CC0555 |
ECLI | ECLI:EU:C:2009:429 |
Date | 07 July 2009 |
Court | Court of Justice (European Union) |
Procedure Type | Reference for a preliminary ruling |
Docket Number | C-555/07 |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES Bot
présentées le 7 juillet 2009 (1)
Affaire C‑555/07
Seda Kücükdeveci
contre
Swedex GmbH & Co. KG
[demande de décision préjudicielle formée par le Landesarbeitsgericht Düsseldorf (Allemagne)]
«Directive 2000/78/CE – Principe de non‑discrimination en fonction de l’âge – Législation nationale relative au licenciement ne prenant pas en compte la période de travail accomplie avant que le salarié ait atteint l’âge de 25 ans pour le calcul de la durée du préavis – Législation nationale incompatible avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 – Rôle et pouvoirs du juge national – Principes généraux du droit – Invocabilité d’exclusion d’une directive dans un litige entre particuliers»
1. Le présent renvoi préjudiciel invite une nouvelle fois la Cour à préciser le régime juridique et la portée de l’interdiction des discriminations en fonction de l’âge en droit communautaire. Il donne à celle‑ci l’occasion d’éclaircir la portée qu’il convient de donner à l’arrêt du 22 novembre 2005, Mangold (2).
2. Plus précisément, la présente affaire va conduire la Cour à préciser le régime juridique du principe général de non‑discrimination en raison de l’âge et la fonction que celui‑ci remplit dans une situation où le délai de transposition de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (3), est écoulé. Il conviendra en particulier de déterminer le rôle et les pouvoirs du juge national face à une réglementation nationale contenant une discrimination fondée sur le critère de l’âge, lorsque les faits qui ont donné lieu au litige au principal sont postérieurs au délai de transposition de la directive 2000/78 et que le litige oppose deux particuliers.
3. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Kücükdeveci à son ancien employeur, Swedex GmbH & Co. KG (ci‑après «Swedex»), à propos du calcul de la durée du préavis applicable à son licenciement.
4. Dans les présentes conclusions, nous expliquerons, d’abord, pourquoi la directive 2000/78 constitue, dans la présente affaire, la norme de référence au regard de laquelle doit être établie l’existence ou non d’une discrimination en fonction de l’âge.
5. Nous indiquerons, ensuite, que cette directive doit, à notre avis, être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle les périodes d’emploi accomplies par un travailleur avant qu’il n’ait atteint l’âge de 25 ans ne sont pas prises en compte pour le calcul de la durée d’emploi qui, elle‑même, sert à déterminer le délai de préavis que doit respecter l’employeur en cas de licenciement.
6. Enfin, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous considérons que, dans une situation dans laquelle le juge de renvoi ne peut interpréter son droit national de manière conforme à la directive 2000/78, ce dernier dispose, en vertu du principe de primauté du droit communautaire et à la lumière du principe de non‑discrimination en raison de l’âge, du pouvoir d’écarter l’application du droit national contraire à cette directive, et ce y compris dans le cadre d’un litige opposant deux particuliers.
I – Le cadre juridique
A – La directive 2000/78
7. Aux termes de l’article 1er de la directive 2000/78, celle‑ci «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».
8. L’article 2 de cette directive énonce:
«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.
2. Aux fins du paragraphe 1:
a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;
[…]
[…]»
9. L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive précise:
«Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:
[…]
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;
[…]»
10. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 dispose:
«Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:
a) la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;
b) la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;
c) la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite.»
11. Conformément à l’article 18, premier alinéa, de la directive 2000/78, la transposition de celle‑ci dans l’ordre juridique des États membres devait intervenir au plus tard le 2 décembre 2003. Toutefois, selon le deuxième alinéa de ce même article:
«Pour tenir compte de conditions particulières, les États membres peuvent disposer, si nécessaire, d’un délai supplémentaire de 3 ans à compter du 2 décembre 2003, soit un total de 6 ans, pour mettre en œuvre les dispositions de la présente directive relatives à la discrimination fondée sur l’âge et [le] handicap. Dans ce cas, ils en informent immédiatement la Commission. […]»
12. La République fédérale d’Allemagne a fait usage de cette faculté, de sorte que la transposition des dispositions de la directive 2000/78 relatives à la discrimination fondée sur l’âge et le handicap devait intervenir dans cet État membre au plus tard le 2 décembre 2006.
B – Le droit national
13. L’article 622 du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch, ci‑après le «BGB»), intitulé «Délais de préavis dans les relations de travail», dispose:
«1) La relation de travail d’un travailleur ou d’un employé (salarié) peut être dénoncée avec un préavis de quatre semaines pour le 15 du mois ou la fin du mois.
2) En cas de licenciement par l’employeur, les délais de préavis sont les suivants:
– 1 mois avec effet à la fin du mois lorsque la relation de travail dans l’établissement ou dans l’entreprise a duré 2 ans;
– 2 mois avec effet à la fin du mois lorsqu’elle a duré 5 ans;
– 3 mois avec effet à la fin du mois lorsqu’elle a duré 8 ans;
– 4 mois avec effet à la fin du mois lorsqu’elle a duré 10 ans;
[…]
Les périodes d’emploi accomplies par le salarié avant qu’il n’ait atteint l’âge de 25 ans ne sont pas prises en compte pour le calcul de la durée d’emploi [(4)].»
14. Les articles 1er, 2 et 10 de la loi générale sur l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz) du 14 août 2006 (5), qui a transposé la directive 2000/78, énoncent:
«Article 1er – Objectif de la loi
La présente loi a pour objectif d’empêcher ou d’éliminer tout désavantage fondé sur la race ou l’origine ethnique, le sexe, la religion ou les croyances, un handicap, l’âge ou l’identité sexuelle.
Article 2 – Champ d’application
[…]
4) Les licenciements sont exclusivement régis par les dispositions relatives à la protection générale et particulière contre le licenciement.
[…]
Article 10 – Licéité de certaines différences de traitement fondées sur l’âge
Nonobstant l’article 8, une différence de traitement liée à l’âge est autorisée lorsqu’elle est justifiée objectivement et raisonnablement et fondée sur un objectif légitime. Les moyens de réaliser cet objectif doivent être appropriés et nécessaires. Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:
1. la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de rémunération et de licenciement, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;
[…]»
II – Le litige au principal et les questions préjudicielles
15. Mme Kücükdeveci est née le 12 février 1978. Elle était employée depuis le 4 juin 1996, soit depuis l’âge de 18 ans, par Swedex.
16. Swedex a licencié la salariée par lettre du 19 décembre 2006, avec effet, compte tenu du préavis légal, au 31 janvier 2007.
17. Par un recours introduit le 9 janvier 2007, Mme Kücükdeveci a contesté son licenciement devant l’Arbeitsgericht Mönchengladbach (Allemagne). À l’appui de son recours, elle a notamment fait valoir que le licenciement ne prenait effet qu’au 30 avril 2007, au motif que l’article 622, paragraphe 2, première phrase, point 4, du BGB prolonge le délai de préavis de quatre mois avec effet à la fin du mois après dix ans de service dans l’entreprise.
18. Selon elle, l’article 622, paragraphe 2, dernière phrase, du BGB, en ce qu’il prévoit que les périodes...
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