Reinhard Gebhard v Consiglio dell'Ordine degli Avvocati e Procuratori di Milano.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1995:194
Docket NumberC-55/94
Celex Number61994CC0055
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date20 June 1995
EUR-Lex - 61994C0055 - FR 61994C0055

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 20 juin 1995. - Reinhard Gebhard contre Consiglio dell'Ordine degli Avvocati e Procuratori di Milano. - Demande de décision préjudicielle: Consiglio Nazionale Forense - Italie. - Directive 77/249/CEE - Libre prestation des services - Avocats - Possibilité d'ouvrir un cabinet - Articles 52 et 59 du traité CE. - Affaire C-55/94.

Recueil de jurisprudence 1995 page I-04165


Conclusions de l'avocat général

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1 La loi italienne qui interdit aux avocats établis dans un autre État membre et prestataires de services sur le territoire de la République italienne d'ouvrir sur ce territoire un cabinet ou un siège principal ou secondaire (1) est-elle compatible avec la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (2)?

2 Telle est, en substance, la question que vous soumet le Consiglio Nazionale Forense (3), à l'occasion d'un litige dont le cadre factuel, tel qu'exposé par le juge de renvoi, est le suivant.

3 Ressortissant allemand, M. Gebhard est diplômé en droit de l'université de Tuebingen. Habilité à exercer la profession d'avocat, il est inscrit au barreau de Stuttgart depuis le 3 août 1977.

4 A compter de 1978, il est lié à l'association professionnelle d'avocats milanaise «Bergmann & Scamoni» par une «collaborazione professionale» fondée sur la directive 77/249.

5 En 1989, M. Gebhard met fin à cette collaboration et ouvre son propre cabinet à Milan où il exerce une activité de défense devant des juridictions italiennes de concert («di concerto») avec plusieurs «procuratori» italiens.

6 Accusé d'avoir fait usage irrégulièrement de l'appellation «avvocato», il est déféré devant le conseil de l'Ordre de Milan qui décide, le 4 décembre 1989, de:

- l'inscrire sur le registre ad hoc, visé à l'article 12 de la loi n_ 31 du 9 février 1982;

- lui interdire l'utilisation du titre d'«avvocato»;

- procéder à une instruction complémentaire en ce qui concerne l'exercice de son activité professionnelle.

7 Le 30 septembre 1990, une procédure disciplinaire est ouverte contre M. Gebhard au motif qu'il a exercé de fait en Italie une activité professionnelle stable en utilisant le titre d'«avvocato» et qu'il a ainsi contrevenu aux obligations édictées par la loi n_ 31/1982 sur la prestation de services des avocats (4).

8 Par décision du 30 novembre 1992, le conseil de l'Ordre le sanctionne d'une interdiction d'exercer son activité professionnelle pendant six mois. Par ailleurs, cette instance n'a pas répondu à sa demande d'inscription au tableau de l'Ordre des avocats et avoués de Milan, faite le 14 octobre 1991 sur la base de la directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 (5).

9 C'est contre la décision du 30 novembre 1992 et contre la décision implicite de rejet de sa demande d'inscription au tableau que M. Gebhard a introduit un recours devant le CNF qui vous saisit de deux questions préjudicielles qui peuvent, en substance, être reformulées ainsi:

1) La directive 77/249 admet-elle que la loi transposant cette directive dans un État membre A prévoie qu'il n'est pas permis à l'avocat établi dans un État membre B et prestataire de services dans l'État membre A d'ouvrir un cabinet sur le territoire de cet État, que ce soit à titre principal ou secondaire, sachant que la directive ne contient aucune allusion au fait que l'ouverture d'un cabinet pourrait être interprétée comme significative de la volonté, chez l'avocat concerné, d'exercer une activité à caractère, non pas temporaire ou occasionnel, mais permanent?

2) Quels sont les critères permettant de distinguer l'activité d'avocat exercée à titre de prestataire de services de celle d'avocat établi dans un État membre? Pour apprécier le caractère temporaire ou non d'une activité professionnelle, peut-on se fonder sur la durée ou la fréquence des prestations fournies par l'avocat agissant dans le cadre du régime défini par la directive 77/249?

10 A la suite des questions écrites que vous lui avez posées, le requérant au principal a fait savoir qu'il n'aurait pas de cabinet propre en Allemagne, qu'il n'y serait pas associé à un cabinet, mais qu'il disposerait du statut de collaborateur libre d'un cabinet de Stuttgart depuis 1980. Toujours inscrit au barreau de cette ville, M. Gebhard passerait en Allemagne 20 % de son temps. En Italie, où il résiderait, il disposerait de son propre cabinet où il exercerait son activité de conseil extrajudiciaire en appliquant essentiellement du droit non italien. Pour l'application du droit italien et pour l'activité judiciaire dans ce pays, il ferait appel à des professionnels italiens.

11 Comme vous l'avez fait savoir aux parties avant l'audience, cette affaire ne peut être examinée, compte tenu des circonstances de fait dont elle est issue, sans envisager l'application de l'article 52 du traité CE. Nous y consacrerons nos observations finales.

12 En préliminaire, assurons-nous que le CNF, qui saisit pour la première fois la Cour d'une question préjudicielle en interprétation, est bien une juridiction au sens de l'article 177 du traité CE.

13 Institué par la loi (6), le CNF connaît en appel des décisions des conseils de l'Ordre locaux rendues en matière d'inscription aux tableaux des Ordres des avocats et des avoués et en matière disciplinaire. Il statue en droit, et ses décisions sont susceptibles de recours devant les chambres réunies de la Cour de cassation. Il satisfait donc aux conditions posées par l'arrêt du 30 juin 1966, Vaassen-Goebbels (7). De plus, il a la qualité de tiers par rapport à l'autorité qui a adopté la décision faisant l'objet du recours (8).

14 Certes, par l'ordonnance du 18 juin 1980, Borker (9), vous avez considéré que vous ne pouvez être saisis en vertu de l'article 177 du traité «... que par une juridiction appelée à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel» et que tel n'est pas le cas d'un conseil de l'Ordre lorsqu'il «... n'est pas saisi d'un litige qu'il aurait légalement mission de trancher, mais d'une demande visant à obtenir une déclaration relative à un différend qui oppose un membre du barreau aux juridictions d'un autre État membre» (10).

15 On le voit, ce n'est pas la nature de l'organe qui vous a saisis mais l'objet de la question posée qui vous a conduits à vous déclarer incompétents.

16 Nul doute qu'un litige portant sur les conditions d'admission au tableau de l'Ordre des avocats ou qu'un litige portant sur une sanction infligée par un conseil de l'Ordre sont des litiges que ce conseil a «légalement mission de trancher».

17 D'ailleurs, les conditions d'inscription à un barreau d'un État membre ont fait l'objet de plusieurs questions préjudicielles (11) dont une (12) posée par une cour d'appel statuant sur appel d'une délibération d'un conseil de l'Ordre des avocats (13).

Sur la première question

18 Le droit d'établissement et la prestation de services constituent deux branches distinctes du droit communautaire qui font l'objet de chapitres distincts dans le traité CE et qui ne se recouvrent pas.

19 Le principe de la liberté d'établissement a pour objectif de favoriser la libre circulation des professions indépendantes en permettant au professionnel ressortissant d'un État membre de s'établir dans un autre État membre dans les mêmes conditions que le ressortissant de ce dernier État. Autrement dit, «... s'établir, c'est s'intégrer à une économie nationale» (14).

20 Le principe de la libre prestation de services permet seulement au professionnel établi dans un État membre où il est intégré d'exercer son activité dans un autre État membre.

21 L'établissement et la prestation de services sont exclusifs l'un de l'autre: il ressort clairement de l'article 60 du traité CE que les dispositions relatives à la libre prestation de services ne sont applicables qu'à la condition que celles relatives à la liberté d'établissement ne le soient pas.

22 Les régimes de ces deux grandes libertés sont très différents. Ainsi, l'activité de l'avocat prestataire de services fait l'objet de la directive d'harmonisation 77/249 qui permet une libre prestation de services sous le titre professionnel d'origine, alors que les conditions d'établissement des avocats ne font pas - encore - l'objet d'une directive d'harmonisation propre (15). L'établissement des avocats est régi par les articles 52 et suivants du traité.

23 L'avocat qui s'établit dans un État membre doit se conformer à la réglementation de l'établissement de cet État pour autant que celle-ci ne soit pas discriminatoire et n'ait pas un effet restrictif sur la libre circulation des personnes.

24 Les conditions imposées à l'établissement dans l'État membre d'activité sont bien sûr beaucoup plus strictes que celles imposées à la seule prestation de services.

25 C'est dire l'importance de la distinction entre établissement et prestation de services. Un opérateur ne doit pas pouvoir tourner les règles plus rigoureuses du droit d'établissement en se faisant passer pour prestataire de services alors qu'il exerce son activité dans les mêmes conditions qu'un opérateur tabli dans l'État d'activité (16).

26 Vous avez ainsi relevé dans l'arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (17), que:

«... on ne saurait dénier à un État membre le droit de prendre des dispositions destinées à empêcher que la liberté garantie par l'article 59 soit utilisée par un prestataire dont l'activité serait entièrement ou principalement tournée vers son territoire, en vue de se soustraire aux règles professionnelles qui lui seraient applicables au cas où il serait établi sur le territoire de cet État, une telle situation pouvant être justiciable du chapitre relatif au droit d'établissement et non de celui des prestations de services» (18).

27 Vous l'avez constamment...

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