Sonia Chacón Navas v Eurest Colectividades SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:184
Docket NumberC-13/05
Celex Number62005CC0013
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date16 March 2006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. L. A. Geelhoed

présentées le 16 mars 2006 (1)

Affaire C-13/05

Sonia Chacón Navas

contre

Eurest Colectividades SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Social n° 33 de Madrid (Espagne)]

«Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Champ d’application – Licenciement pour cause de maladie – Maladie et handicap»






I – Introduction

1. C’est la deuxième fois (2) que la Cour est saisie de questions en interprétation d’une notion tirée de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (3) (ci-après la «directive» ou la «directive 2000/78») (4).

2. Cette directive interdit toute discrimination directe ou indirecte en raison de certains motifs, dont les handicaps. Il s’agit en l’espèce d’interpréter la notion de «handicap». Cette notion n’est pas définie dans la directive. Les questions sont posées dans le contexte du licenciement d’une salariée pendant son congé de maladie. La question vise plus concrètement à savoir si la maladie peut être assimilée à un handicap dans le contexte de cette directive et, si tel n’est pas le cas, si la discrimination en raison d’une maladie relève en tout cas du champ d’application de la directive.

II – Cadre juridique

A – Réglementation communautaire

3. L’article 13 CE dispose:

«Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.»

4. La directive 2000/78 a été adoptée sur le fondement de l’article 13 CE. Il ressort de son article 1er qu’elle a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

5. Le dix-septième considérant indique:

«La présente directive n’exige pas qu’une personne qui n’est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné ou pour suivre une formation donnée soit recrutée, promue ou reste employée ou qu’une formation lui soit dispensée, sans préjudice de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées.»

6. L’article 3 de la directive dispose:

«1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[…]

c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération».

7. L’article 5 de la directive dispose:

«Afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus. Cela signifie que l’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée. Cette charge n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la politique menée dans l’État membre concerné en faveur des personnes handicapées.»

8. Le quatrième considérant de la recommandation 86/379/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, sur l’emploi des handicapés dans la Communauté (5), indique que:

«[…] dans la présente recommandation, le terme ‘handicapés’ englobe toutes les personnes présentant des handicaps sérieux résultant d’atteintes physiques, mentales ou psychologiques».

9. Le point 26 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, du 9 décembre 1989, énonce:

«Toute personne handicapée, quelles que soient l’origine et la nature de son handicap, doit pouvoir bénéficier de mesures additionnelles concrètes visant à favoriser son intégration professionnelle et sociale.

Ces mesures d’amélioration doivent notamment concerner, en fonction des capacités des intéressés, la formation professionnelle, l’ergonomie, l’accessibilité, la mobilité, les moyens de transport et le logement.»

B – Droit national

10. L’article 14 de la Constitution dispose que tous les Espagnols sont égaux devant la loi, sans pouvoir faire l’objet d’une distinction en raison de la naissance, de la race, du sexe, de la religion, de l’opinion et de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale.

11. La réglementation fondamentale en matière de relations de travail se trouve dans l’Estatuto de los Trabajadores (ci-après le «statut»). Son article 55, paragraphe 3, énonce les différentes qualités que revêt le licenciement: «justifié, injustifié et nul».

12. Aux termes de l’article 55, paragraphe 4, le licenciement est injustifié lorsque la preuve des manquements aux obligations contractuelles imputés au salarié n’a pas été rapportée ou en cas de vice de forme.

13. Aux termes de l’article 55, paragraphe 5, tout licenciement ayant pour motif l’une des causes de discrimination prohibées par la Constitution ou par la loi, ou résultant d’une violation des droits fondamentaux et des libertés publiques reconnus aux travailleurs, est nul.

14. Il découle de l’article 55, paragraphe 6, du statut que la nullité du licenciement entraîne la réintégration immédiate du travailleur avec versement des salaires non perçus.

15. Les conséquences d’un licenciement injustifié sont indiquées à l’article 56 du statut. D’après cette disposition, si le licenciement est injustifié, sauf réintégration décidée par l’employeur, le travailleur perd son travail et perçoit une indemnité.

16. L’article 17, paragraphe 1, du statut a été modifié par la loi n° 62/03 transposant la directive 2000/78 en droit interne, entrée en vigueur le 1er janvier 2004. Dans sa version actuelle, l’article 17, paragraphe 1, du statut se lit comme suit:

«Sont nulles et de nul effet les dispositions réglementaires, les clauses des conventions collectives, les contrats individuels et les décisions unilatérales de l’employeur qui créent directement ou indirectement des discriminations négatives fondées sur l’âge ou le handicap ou bien positives ou négatives en matière d’emploi, de rémunération, de salaire et autres conditions de travail fondées sur le sexe, l’origine raciale ou ethnique, l’état civil, la situation sociale, les convictions religieuses ou politiques, l’orientation sexuelle, l’adhésion ou non à des syndicats et à leurs accords, les liens familiaux avec d’autres travailleurs de l’entreprise et la langue dans l’État espagnol.

[…]»

17. Cette dernière disposition définit et précise, dans le contexte des relations de travail, les principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination, tels qu’ils ont été arrêtés par l’ordre juridique espagnol et coulés dans l’article 14 de la Constitution espagnole.

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

A – Contexte du renvoi préjudiciel

18. Mme Sonia Chacón Navas travaille ou travaillait pour la société de restauration collective Eurest Colectividades SA (ci-après «Eurest»). Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie le 14 octobre 2003 et bénéficie depuis d’une indemnité d’incapacité temporaire de travail.

19. Le 28 mai 2004, Eurest lui a notifié son licenciement au 31 mai 2004 sans en donner de motifs. Dans la lettre de licenciement, Eurest reconnaît le caractère injustifié du licenciement au regard de l’article 56 du statut et lui offre dès lors une indemnité de licenciement.

20. Refusant le licenciement, Mme Chacón Navas l’a contesté devant le juge. Dans sa requête du 29 juin 2004, elle expose que le licenciement est nul, car constitutif d’une inégalité de traitement et d’une discrimination en ce qu’elle était en arrêt de travail pour maladie depuis huit mois et en incapacité temporaire de travail. Elle sollicite sa réintégration.

21. À l’audience du 16 septembre 2004, Eurest a indiqué que la requérante ne rapportait pas la moindre preuve qui établirait une discrimination et une violation de droits fondamentaux. Mme Chacón Navas a persisté dans les allégations exposées dans sa requête: elle serait en arrêt de maladie depuis le 14 octobre 2003 (le dossier de procédure montre qu’elle attendait d’être opérée) et estime qu’il y a suffisamment d’éléments permettant de qualifier le licenciement de discriminatoire.

22. Le 21 septembre, le juge national a demandé à l’inspection médicale des informations sur l’incapacité temporaire de travail dans laquelle se trouve Mme Chacón Navas, en cherchant à savoir plus exactement à quelle date l’arrêt de maladie avait débuté et si cette situation se poursuit encore. Ce service a répondu le 11 novembre 2004 en confirmant que Mme Chacón Navas est en arrêt de maladie depuis le 14 octobre 2003 et qu’une reprise du travail n’est pas envisageable dans un proche avenir.

23. Mme Chacón Navas ayant démontré avoir été licenciée pendant son arrêt de maladie, son employeur n’ayant invoqué ni prouvé aucun élément faisant apparaître des motifs valables de licenciement, ce qui renverse la charge de la preuve, le juge a quo en a conclu que Mme Chacón Navas a été licenciée au seul motif qu’elle était en arrêt de maladie.

24. Le juge de renvoi relève que, dans la jurisprudence espagnole, ce type de licenciement est qualifié d’injustifié et non pas de nul...

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