Établissements Rimbaud SA v Directeur général des impôts and Directeur des services fiscaux d’Aix-en-Provence.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:235
Docket NumberC-72/09
Celex Number62009CC0072
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date29 April 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO Jääskinen

présentées le 29 avril 2010 (1)

Affaire C‑72/09

Établissements Rimbaud SA

contre

Directeur général des impôts

et

Directeur des services fiscaux d’Aix‑en‑Provence

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Fiscalité directe – Libre circulation des capitaux – Article 40 de l’accord EEE – Article 56 CE – Taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés dans un État membre par des personnes morales établies dans un pays tiers, membre de l’Espace économique européen – Refus d’exonération – Exonération subordonnée à l’existence d’une convention bilatérale – Lutte contre la fraude fiscale – Appréciation au regard de l’accord EEE»





I – Introduction

1. Le renvoi préjudiciel qui fait l’objet de la présente affaire a été présenté par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (France). Il porte en substance sur l’interprétation de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (ci‑après l’«accord EEE») (2), dans le cadre de l’application de la législation fiscale d’un État membre à une société qui est installée dans la Principauté de Liechtenstein, partie à l’accord EEE mais non membre de l’Union européenne (ci‑après le «pays de l’EEE»). La question a soulevé un intérêt certain parmi les États membres, dont neuf ont déposé des observations écrites.

2. Cette affaire permettra à la Cour de compléter sa jurisprudence issue des arrêts ELISA (3) et A (4) concernant les justifications relatives aux restrictions à la libre circulation des capitaux dans le contexte de la fiscalité directe et d’apporter quelques précisions en ce qui concerne le régime applicable aux situations impliquant des pays de l’EEE.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3. L’article 56, paragraphe 1, CE interdit, dans le cadre des dispositions du chapitre 4, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux et de paiements entre les États membres ainsi qu’entre les États membres et les pays tiers (5).

4. L’article 57, paragraphe 1, CE énonce ce qui suit:

«1. L’article 56 ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des capitaux.»

5. L’article 58 CE prévoit:

«1. L’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres:

a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis;

b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d’information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique.

[…]

3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56.»

6. L’article 4 de l’accord EEE est ainsi libellé:

«Dans le domaine d’application du présent accord, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

7. Le texte du chapitre 4 de l’accord EEE sur la libre circulation des capitaux reflète les dispositions du traité CEE et de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [article abrogé par le traité d’Amsterdam] (6), telles qu’elles étaient en vigueur avant les modifications introduites par le traité sur l’Union européenne. L’article 40 de l’accord EEE stipule:

«Dans le cadre du présent accord, les restrictions entre les parties contractantes aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres de la Communauté européenne ou dans les États de l’Association européenne du libre‑échange, ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement, sont interdites. Les dispositions nécessaires à l’application du présent article figurent à l’annexe XII.»

8. Ladite annexe XII de l’accord EEE déclare applicable à l’Espace économique européen la directive 88/361. L’annexe I de cette directive, qui établit une nomenclature des mouvements de capitaux qui a conservé la valeur indicative qui était la sienne pour définir la notion de mouvement de capitaux (7), précise que cette notion comprend les opérations par lesquelles des non‑résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d’un État membre.

9. La directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et indirects (8), peut être invoquée par un État membre afin d’obtenir des autorités compétentes d’un autre État membre toutes les informations nécessaires pour lui permettre d’établir correctement le montant des taxes couvertes par ladite directive.

B – Le droit national

10. Les articles 990 D et suivants du code général des impôts français (ci‑après le «CGI») font partie des mesures adoptées par le législateur français en vue de lutter contre certaines formes d’évasion fiscale.

11. L’article 990 D du CGI est libellé comme suit (9):

«Les personnes morales qui, directement ou par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens sont redevables d’une taxe annuelle égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ou droits.

Est réputée posséder des biens ou droits immobiliers en France par personne interposée, toute personne morale qui détient une participation, quelles qu’en soient la forme et la quotité, dans une personne morale qui est propriétaire de ces biens ou droits ou détentrice d’une participation dans une troisième personne morale, elle‑même propriétaire des biens ou droits ou interposée dans la chaîne des participations. Cette disposition s’applique quel que soit le nombre des personnes morales interposées.»

12. Selon l’article 990 E du CGI (10), la taxe prévue à l’article 990 D n’est pas applicable:

«[...]

2° Aux personnes morales qui, ayant leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, déclarent chaque année, au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l’arrêté prévu à l’article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l’identité et l’adresse de leurs associés à la même date ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d’eux;

3° Aux personnes morales qui ont leur siège de direction effective en France et aux autres personnes morales qui, en vertu d’un traité, ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde, lorsqu’elles communiquent chaque année, ou prennent et respectent l’engagement de communiquer à l’administration fiscale, sur sa demande, la situation et la consistance des immeubles possédés au 1er janvier, l’identité et l’adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d’eux et la justification de leur résidence fiscale. L’engagement est pris à la date de l’acquisition par la personne morale du bien ou droit immobilier ou de la participation visés à l’article 990 D ou, pour les biens, droits ou participations déjà possédés au 1er janvier 1993, au plus tard le 15 mai 1993;

4° Aux sociétés dont les actions sont inscrites à la cote officielle ou à celle du second marché d’une bourse française ou d’une bourse étrangère régie par des règles analogues;

[...]»

13. Aucune convention du type de celle prévue à l’article 990 E, point 2, du CGI n’avait été conclue entre la République française et la Principauté de Liechtenstein à l’époque des faits au principal (11).

III – Le litige au principal et la question préjudicielle

14. La société Établissements Rimbaud SA (ci‑après les «Établissements Rimbaud»), dont le siège est situé au Liechtenstein, possède un bien immobilier situé en France. À ce titre, elle est, en principe, soumise à la taxe de 3 % instituée à l’article 990 D du CGI.

15. L’administration fiscale française a procédé à la mise en recouvrement de la taxe en question auprès des Établissements Rimbaud, dans un premier temps au titre des années 1988 à 1997, puis au titre des années 1998 à 2000.

16. Les Établissements Rimbaud ont introduit des recours contre les décisions de rejet de ses demandes de décharge des impositions litigieuses. Après avoir été déboutés de leurs demandes par le tribunal de grande instance d’Aix‑en‑Provence, puis par la cour d’appel d’Aix‑en‑Provence, les Établissements Rimbaud ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

17. Dans le cadre de l’examen dudit pourvoi, la Cour de cassation a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«L’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen s’oppose‑t‑il à une législation telle que celle résultant des articles 990 D et suivants du code général des impôts, dans leur rédaction alors applicable, qui exonère de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles situés en France les sociétés qui...

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