Opinion of Advocate General Campos Sánchez-Bordona delivered on 29 January 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:47
Date29 January 2020
Celex Number62018CC0796
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 29 janvier 2020 (1)

Affaire C796/18

Informatikgesellschaft für Software-Entwicklung (ISE) mbH

contre

Ville de Cologne

en présence de :

Land de Berlin

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel — Marchés publics — Directive 2014/24/UE — Notion de contrat à titre onéreux — Coopération horizontale entre pouvoirs adjudicateurs — Mise à disposition d’un logiciel de coordination des opérations de sapeurs-pompiers — Accord de coopération pour la mise à jour et le développement du logiciel – Activité accessoire au service public — Interdiction de placer des tiers dans une situation privilégiée »






1. Les premières règles européennes en matière de marchés publics remontent aux années 1970. Depuis lors, plusieurs dispositions se sont succédées jusqu’à l’adoption, en 2014, de trois textes visant à réglementer cette matière sous tous ses aspects : la directive 2014/24/UE (2) (dont l’interprétation fait l’objet du présent renvoi préjudiciel), la directive 2014/23/UE (3) et la directive 2014/25/UE (4).

2. Avant l’entrée en vigueur des directives de 2014, la Cour avait déjà admis que les règles du droit de l’Union en matière de marchés publics ne s’appliquaient pas, en principe, lorsque, sous certaines conditions :

– un pouvoir adjudicateur confiait à une personne morale sous son contrôle l’exécution de certaines tâches, sans recourir à d’autres entités externes (coopération verticale ou attribution « in house ») ; ou

– deux pouvoirs adjudicateurs collaboraient entre eux afin de garantir la réalisation d’une mission de service public commune aux deux (coopération horizontale).

3. En ce qui concerne cette deuxième forme de coopération entre pouvoirs publics, la jurisprudence de la Cour avait engendré une certaine insécurité juridique (5), à laquelle la directive 2014/24 a tenté de remédier. Je ne suis pas sûr que cette tentative ait été couronnée du succès que l’on pouvait espérer.

4. Dans le litige à l’origine du présent renvoi préjudiciel, une société (Informatikgesellschaft für Software-Entwicklung, ci‑après « ISE ») conteste devant la juridiction de renvoi les accords conclus entre la ville de Cologne et le Land de Berlin, en vertu desquels le Land de Berlin met à la disposition de la première un logiciel de gestion des interventions de son service de sapeurs-pompiers, contrat auquel est joint un accord de coopération entre les deux administrations.

5. La juridiction de renvoi souhaite notamment savoir si la relation entre les pouvoirs adjudicateurs à l’origine du présent litige entre ou non dans le cadre des règles en matière de passation des marchés publics de la directive 2014/24. Elle permet ainsi à la Cour de compléter sa jurisprudence, bien qu’à la lumière d’une nouvelle disposition (l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24), relativement à laquelle aucun arrêt n’a jusqu’à présent, sauf erreur de ma part, été rendu.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union. La directive 2014/24

6. Le considérant 5 de la directive 2014/24 indique :

« [...] rien dans la présente directive ne fait obligation aux États membres de confier à des tiers ou d’externaliser la fourniture de services qu’ils souhaitent fournir eux‑mêmes ou organiser autrement que par la passation d’un marché public au sens de la présente directive […] ».

7. Aux termes du considérant 31 de la directive 2014/24 :

« Il existe une importante insécurité juridique quant à la question de savoir dans quelle mesure les règles sur la passation des marchés publics devraient s’appliquer aux marchés conclus entre entités appartenant au secteur public. La jurisprudence applicable de la Cour de justice de l’Union européenne fait l’objet d’interprétations divergentes entre États membres et même entre pouvoirs adjudicateurs. Il est dès lors nécessaire de préciser dans quels cas les marchés conclus au sein du secteur public ne sont pas soumis à l’application des règles relatives à la passation des marchés publics.

Ces précisions devraient s’appuyer sur les principes énoncés dans la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne. La seule circonstance que les deux parties à un accord sont elles‑mêmes des pouvoirs publics n’exclut pas en soi l’application des règles relatives à la passation des marchés publics. L’application de ces règles ne devrait toutefois pas interférer avec la liberté des pouvoirs publics d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées en utilisant leurs propres ressources, ce qui inclut la possibilité de coopérer avec d’autres pouvoirs publics.

Il convient de veiller à ce qu’aucune coopération public-public ainsi exclue n’entraîne de distorsion de concurrence à l’égard des opérateurs économiques privés dans la mesure où cela place un prestataire de services privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents ».

8. Le considérant 33 de la directive 2014/24 énonce :

« Les pouvoirs adjudicateurs devraient pouvoir choisir de fournir conjointement leurs services publics par la voie de la coopération, sans être contraints de recourir à une forme juridique particulière. Cette coopération pourrait porter sur tous les types d’activités liées à l’exécution de services et à l’exercice de responsabilités confiées aux pouvoirs adjudicateurs participants ou assumées par eux, telles que des missions obligatoires ou volontaires relevant d’autorités locales ou régionales ou des services confiés à des organismes particuliers par le droit public. Les services fournis par les différents pouvoirs adjudicateurs participants ne doivent pas nécessairement être identiques ; ils pourraient également être complémentaires.

Les marchés concernant la fourniture conjointe de services publics ne devraient pas être soumis à l’application des règles établies dans la présente directive, à condition qu’ils soient conclus exclusivement entre pouvoirs adjudicateurs, que la mise en œuvre de cette coopération n’obéisse qu’à des considérations d’intérêt public et qu’aucun prestataire privé de services ne soit placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.

Pour que ces conditions soient remplies, il convient que la coopération soit fondée sur le concept de coopération. Cette coopération n’exige pas que tous les pouvoirs participants se chargent de l’exécution des principales obligations contractuelles, tant que l’engagement a été pris de coopérer à l’exécution du service public en question. En outre, la mise en œuvre de la coopération, y compris tout transfert financier entre les pouvoirs adjudicateurs participants, ne devrait obéir qu’à des considérations d’intérêt public. »

9. L’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2014/24 dispose :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de définir, conformément au droit de l’Union, ce qu’ils entendent par services d’intérêt économique général, la manière dont ces services devraient être organisés et financés conformément aux règles relatives aux aides d’État et les obligations spécifiques auxquelles ils devraient être soumis. De même, la présente directive n’a pas d’incidence sur le droit qu’ont les pouvoirs publics de décider si, comment et dans quelle mesure ils souhaitent assumer eux‑mêmes certaines fonctions publiques conformément à l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et au protocole nº 26. »

10. L’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24 définit les marchés publics comme suit :

« [...] des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services ».

11. Le paragraphe 4 de l’article 12 (« Marchés publics entre entités appartenant au secteur public ») de la directive 2014/24 prévoit :

« Un marché conclu exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus ne relève pas du champ d’application de la présente directive, lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) le marché établit ou met en œuvre une coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun ;

b) la mise en œuvre de cette coopération n’obéit qu’à des considérations d’intérêt public ; et

c) les pouvoirs adjudicateurs participants réalisent sur le marché concurrentiel moins de 20 % des activités concernées par la coopération ».

12. Conformément à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques. »

B. Le droit national

13. En vertu de l’article 91 c, paragraphe 1, de la Constitution allemande, « [l]a Fédération et les Länder peuvent coopérer pour la planification, la création et l’exploitation des systèmes informatiques nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches ».

14. L’article 108 du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi sur la protection de la concurrence, ci‑après le « GWB ») reproduit l’article 12 de la directive 2014/24.

15. En vertu des décisions dites « de Kiel » adoptées en 1979, une administration publique peut partager un logiciel développé ou acquis (par elle‑même ou en son nom) avec d’autres administrations...

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