Janko Rottman v Freistaat Bayern.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date02 March 2010

Affaire C-135/08

Janko Rottman

contre

Freistaat Bayern

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesverwaltungsgericht)

«Citoyenneté de l’Union — Article 17 CE — Nationalité d’un État membre acquise par la naissance — Nationalité d’un autre État membre acquise par naturalisation — Perte de la nationalité d’origine du fait de cette naturalisation — Perte avec effet rétroactif de la nationalité acquise par naturalisation en raison de manœuvres frauduleuses commises à l’occasion de son acquisition — Apatridie ayant pour conséquence la perte du statut de citoyen de l’Union»

Sommaire de l'arrêt

1. Citoyenneté de l'Union européenne — Dispositions du traité — Champ d'application personnel

(Art. 17 CE)

2. Citoyenneté de l'Union européenne — Dispositions du traité — Nationalité d'un État membre

(Art. 17 CE)

1. La situation d'un citoyen de l'Union européenne qui est confronté à une décision de retrait de la naturalisation adoptée par les autorités d'un État membre le plaçant, après qu'il a perdu la nationalité d'un autre État membre qu'il possédait à l'origine, dans une situation susceptible d'entraîner la perte du statut conféré par l'article 17 CE et des droits y attachés relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l'Union.

(cf. point 42)

2. Le droit de l'Union, notamment l'article 17 CE, ne s'oppose pas à ce qu'un État membre retire à un citoyen de l'Union européenne la nationalité de cet État membre acquise par naturalisation lorsque celle-ci a été obtenue de manière frauduleuse à condition que cette décision de retrait respecte le principe de proportionnalité.

En effet, une décision de retrait de la naturalisation en raison de manœuvres frauduleuses correspond à un motif d'intérêt général. À cet égard, il est légitime pour un État membre de vouloir protéger le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs, qui sont le fondement du lien de nationalité. Une telle considération sur la légitimité, dans son principe, d'une décision de retrait de la naturalisation en raison de manœuvres frauduleuses reste, en principe, valable lorsqu'un tel retrait a pour conséquence que la personne concernée perde, outre la nationalité de l'État membre de naturalisation, la citoyenneté de l'Union.

Toutefois, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si la décision de retrait respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu'elle comporte sur la situation de la personne concernée au regard du droit de l'Union, outre, le cas échéant, l'examen de la proportionnalité de cette décision au regard du droit national. Partant, vu l'importance qu'attache le droit primaire au statut de citoyen de l'Union, il convient, lors de l'examen d'une décision de retrait de la naturalisation, de tenir compte des conséquences éventuelles que cette décision emporte pour l'intéressé et, le cas échéant, pour les membres de sa famille en ce qui concerne la perte des droits dont jouit tout citoyen de l'Union, et de vérifier, notamment, si cette perte est justifiée par rapport à la gravité de l'infraction commise par celui-ci, au temps écoulé entre la décision de naturalisation et la décision de retrait ainsi qu'à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer sa nationalité d'origine.

(cf. points 51, 54-56 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

2 mars 2010 (*)

«Citoyenneté de l’Union – Article 17 CE − Nationalité d’un État membre acquise par la naissance – Nationalité d’un autre État membre acquise par naturalisation – Perte de la nationalité d’origine du fait de cette naturalisation – Perte avec effet rétroactif de la nationalité acquise par naturalisation en raison de manœuvres frauduleuses commises à l’occasion de son acquisition – Apatridie ayant pour conséquence la perte du statut de citoyen de l’Union»

Dans l’affaire C‑135/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), par décision du 18 février 2008, parvenue à la Cour le 3 avril 2008, dans la procédure

Janko Rottmann

contre

Freistaat Bayern,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, E. Levits et Mme P. Lindh, présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, E. Juhász, G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, A. Ó Caoimh (rapporteur) et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 avril 2009,

considérant les observations présentées:

– pour M. Rottmann, par M. W. Meng, professeur, et Me H. Heinhold, Rechtsanwalt,

– pour Freistaat Bayern, par Mes J. Mehler et M. Niese, Oberlandesanwälte,

– pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma, N. Graf Vitzthum et B. Klein, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement estonien, par M. L. Uibo, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis ainsi que par Mmes S. Alexandridou et G. Papagianni, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement letton, par Mme E. Eihmane, M. U. Dreimanis et Mme K. Drēviņa, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl et Mme T. Fülöp, en qualité d’agents, assistés de M. H. Eberwein, expert,

– pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

– pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes S. Grünheid et D. Maidani, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 septembre 2009,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions du traité CE relatives à la citoyenneté de l’Union européenne.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Rottmann au Freistaat Bayern, au sujet du retrait par ce dernier de la naturalisation du requérant au principal.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 La déclaration nº 2 relative à la nationalité d’un État membre, jointe par les États membres à l’acte final du traité sur l’Union européenne (JO 1992, C 191, p. 98), est libellée comme suit:

«La Conférence déclare que, chaque fois que le traité instituant la Communauté européenne fait référence aux ressortissants des États membres, la question de savoir si une personne a la nationalité de tel ou tel État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État concerné. […]»

4 Aux termes de la section A de la décision des chefs d’État et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen d’Édimbourg des 11 et 12 décembre 1992 concernant certains problèmes soulevés par le Danemark à propos du traité sur l’Union européenne (JO 1992, C 348, p. 1):

«Les dispositions de la deuxième partie du traité instituant la Communauté européenne, qui concerne la citoyenneté de l’Union, accordent aux ressortissants des États membres des droits et des protections supplémentaires, comme prévu dans cette partie. Elles ne se substituent en aucune manière à la citoyenneté nationale. La question de savoir si une personne a la nationalité d’un État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État membre concerné.»

Les réglementations nationales

La réglementation allemande

5 L’article 16, paragraphe 1, de la Loi fondamentale allemande prévoit:

«La nationalité allemande ne peut pas être retirée. La perte de la nationalité ne peut intervenir qu’en vertu d’une loi et, lorsqu’elle intervient contre le gré de l’intéressé, seulement si celui-ci ne devient pas de ce fait apatride.»

6 L’article 8 de la loi sur la nationalité (Reichs- und Staatsangehörigkeitsgesetz), dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 1999, disposait:

«Un étranger qui s’est établi sur le territoire allemand peut, à sa demande, être naturalisé par le Land sur le territoire duquel il réside dès lors que

1. […]

2. il ne remplit pas les conditions d’expulsion prévues aux articles 46, paragraphes 1 à 4, et 47, paragraphes 1 ou 2, de la loi sur les ressortissants étrangers [(Ausländergesetz)],

3. là où il s’est établi, il a trouvé un logement indépendant ou un emploi.

[…]»

7 Selon les dispositions du droit allemand relatives à la nationalité applicables dans le cadre de l’affaire au principal, la naturalisation d’un étranger dépendait en principe de l’abandon ou de la perte de la nationalité qu’il avait jusqu’alors.

8 L’article 48, paragraphes 1 et 2, du code de procédure administrative du Land de Bavière (Bayerisches Verwaltungsverfahrensgesetz) est libellé comme suit:

«(1) Un acte administratif illégal peut, alors même qu’il est devenu définitif, être retiré, en tout ou en partie, pour l’avenir ou rétroactivement. […]

(2) Un acte administratif illégal qui octroie une prestation en espèces unique ou régulière ou une prestation en nature divisible ou qui en constitue la condition ne peut être retiré tant que le bénéficiaire se fie à l’existence dudit acte administratif et que sa confiance est jugée digne de protection après comparaison avec l’intérêt public d’un retrait. […] Le bénéficiaire ne peut exciper de la confiance […]

1. [s’il] a obtenu l’acte administratif par fraude, menaces ou corruption,

2. [s’il] a obtenu l’acte administratif en donnant des indications essentiellement fausses ou incomplètes,

3. [s’il] avait connaissance de l’illégalité de l’acte administratif ou l’ignorait en raison d’une négligence grave.

Dans [ces] cas […], l’acte administratif est, en principe, retiré rétroactivement.»

La réglementation autrichienne

9 Aux termes de l’article 27, paragraphe 1, de la loi sur la nationalité (Staatsbürgerschaftsgesetz, BGBl. 311/1985, ci-après le «StbG»):

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