European Parliament v Council of the European Union.

JurisdictionEuropean Union
Date08 September 2005
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 8 septembre 2005 (1)

Affaire C-540/03

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

soutenu par: République fédérale d’Allemagne et Commission des Communautés européennes

«Droit au regroupement familial – Recevabilité de la demande d’annulation partielle – Enfants mineurs – Période d’attente»





I – Introduction

1. Par le présent recours, le Parlement européen demande l’annulation de l’article 4, paragraphes 1, dernier alinéa, et 6, ainsi que de l’article 8 de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (2) (ci-après la «directive»). Contrairement à son titre, cette directive ne réglemente pas de manière générale le droit au regroupement familial, mais uniquement les droits des familles composées de personnes qui ne sont pas ressortissantes de l’Union européenne.

2. Selon la directive, un ressortissant d’un pays tiers vivant légalement dans la Communauté européenne a en principe droit à voir l’État membre d’accueil autoriser ses enfants à le rejoindre dans le cadre du regroupement familial. Les dispositions litigieuses ouvrent toutefois aux États membres la possibilité de limiter le regroupement familial, respectivement, pour les enfants âgés de plus de 12 ans, et à partir de 15 ans ainsi que de fixer certains délais d’attente. Selon le Parlement, ces règles sont incompatibles avec la protection de la famille conférée par les règles applicables en matière de droits de l’homme et avec le principe de l’égalité de traitement.

3. Même si le Parlement n’accorde manifestement pas une grande valeur aux contributions des avocats généraux (3), les nouvelles questions de droit posées par la présente affaire justifient la présentation de conclusions. Ces questions ont trait notamment à la recevabilité du recours ainsi qu’à l’application des droits fondamentaux et des droits de l’homme pertinents en l’espèce.

II – Le cadre juridique

A – Le droit communautaire

4. Le Conseil a fondé la directive sur l’article 63, premier alinéa, point 3, CE. Selon cet article, le Conseil statue à l’unanimité sur les mesures relatives à la politique d’immigration dans les domaines suivants:

«a) conditions d’entrée et de séjour, ainsi que normes concernant les procédures de délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins du regroupement familial;

b) […]»

5. Il faut également mentionner l’article 63, deuxième alinéa, CE, qui est rédigé comme suit:

«Les mesures adoptées par le Conseil en vertu des points 3) et 4) n’empêchent pas un État membre de maintenir ou d’introduire, dans les domaines concernés, des dispositions nationales compatibles avec le présent traité et avec les accords internationaux.»

6. Le deuxième considérant de la directive souligne expressément la protection de la famille, telle qu’elle résulte des conventions internationales et notamment, des droits fondamentaux.

«Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.»

7. Nous rappelons à ce stade que l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1) [article II-67 du traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé le 29 octobre 2004 (entrée en vigueur prévue le 1er novembre 2006, sous réserve de sa ratification par les États membres)] prévoit que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

8. Les termes du cinquième considérant sont les suivants:

«Les États membres devraient mettre en oeuvre les dispositions de la présente directive sans faire de discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.»

9. Le législateur communautaire rappelle ainsi les interdictions spécifiques de discrimination qui sont inscrites à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux (article II-81 du traité établissant une Constitution pour l’Europe).

10. Selon son article 3, paragraphe 4, sous b), la directive ne porte pas atteinte aux dispositions plus favorables de la charte sociale européenne du 18 octobre 1961 (4), de la charte sociale européenne modifiée du 3 mai 1996 (5) et de la convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant du 24 novembre 1977 (6).

11. L’article 4, paragraphe 1, de la directive prévoit en principe que les États membres autorisent l’entrée et le séjour du conjoint et des enfants. Son dernier alinéa donne toutefois aux États membres la possibilité de prévoir des conditions supplémentaires pour le regroupement des enfants de plus de 12 ans.

«Par dérogation, lorsqu’un enfant a plus de 12 ans et arrive indépendamment du reste de sa famille, l’État membre peut, avant d’autoriser son entrée et son séjour au titre de la présente directive, examiner s’il satisfait à un critère d’intégration prévu par sa législation existante à la date de la mise en œuvre de la présente directive.»

12. Le douzième considérant de la directive est sur ce point rédigé comme suit:

«La possibilité de limiter le droit de regroupement familial pour les enfants de plus de 12 ans dont la résidence initiale n’est pas chez le regroupant, vise à tenir compte de la faculté d’intégration des enfants dès le plus jeune âge et garantit qu’ils acquièrent l’éducation et les connaissances linguistiques nécessaires à l’école.»

13. Conformément à l’article 4, paragraphe 6, de la directive, le droit au regroupement familial ne s’applique pas, de manière générale, lorsqu’une demande de regroupement familial concernant un enfant est présentée après que cet enfant a atteint l’âge de 15 ans.

«Par dérogation, les États membres peuvent demander que les demandes concernant le regroupement familial d’enfants mineurs soient introduites avant que ceux-ci n’aient atteint l’âge de 15 ans, conformément aux dispositions de leur législation en vigueur à la date de la mise en œuvre de la présente directive. Si elles sont introduites ultérieurement, les États membres qui décident de faire usage de la présente dérogation autorisent l’entrée et le séjour de ces enfants pour d’autres motifs que le regroupement familial.»

14. L’article 8 de la directive permet de fixer des délais d’attente:

«Les États membres peuvent exiger que le regroupant ait séjourné légalement sur leur territoire pendant une période qui ne peut pas dépasser deux ans, avant de se faire rejoindre par les membres de sa famille.

Par dérogation, lorsqu’en matière de regroupement familial, la législation existant dans un État membre à la date d’adoption de la présente directive tient compte de sa capacité d’accueil, cet État membre peut prévoir d’introduire une période d’attente de trois ans au maximum entre le dépôt de la demande de regroupement familial et la délivrance d’un titre de séjour aux membres de la famille.»

15. La directive comporte différentes dispositions relatives à la prise en compte des circonstances spécifiques à chaque cas.

16. Selon l’article 5, paragraphe 5, de la directive, il convient de tenir compte de l’intérêt de l’enfant.

«Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur.»

Dans la proposition de la Commission (7), cette disposition faisait encore expressément référence à la convention relative aux droits de l’enfant (8).

17. L’article 17 vise toutes les personnes potentiellement concernées:

«Les États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille.»

B – Droit international public

1. Accords européens

18. Le droit à la protection de la vie familiale résulte principalement de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»):

«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.»

19. L’interdiction de discrimination est réglementée à l’article 14 de la CEDH:

«La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la...

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