T-Mobile Netherlands BV, KPN Mobile NV, Orange Nederland NV and Vodafone Libertel NV v Raad van bestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:110
Docket NumberC-8/08
Celex Number62008CC0008
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date19 February 2009

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 février 2009 (1)

Affaire C-8/08

T-Mobile Netherlands BV e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (Pays-Bas)]

«Concurrence – Article 81, paragraphe 1, CE – Pratiques concertées – Pratiques ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence – Critères d’appréciation de l’objet – Concertation isolée – Lien de causalité entre la concertation et le comportement des entreprises participantes sur le marché – Charge de la preuve – Présomption de causalité»





I – Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle offre à la Cour l’occasion de préciser les critères à remplir pour constater l’existence d’une concertation ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

2. Il s’agit, en substance, de déterminer si et dans quelle mesure il faut, pour constater l’objet anticoncurrentiel, apprécier la situation concrète du marché, le comportement des entreprises participantes sur ce marché et les effets de ce comportement sur la concurrence. Il conviendra en outre de préciser les règles de droit communautaire relatives au niveau de preuve requis pour constater une violation de l’article 81 CE dans une procédure nationale.

3. Ces questions présentent une importance non négligeable pour l’application efficace du droit communautaire de la concurrence dans le nouveau système décentralisé résultant de la modernisation du droit des ententes par le règlement (CE) n° 1/2003 (2). Les réponses devront tenir compte des risques qu’entraînerait un relâchement des règles du traité CE en matière de concurrence pour le marché intérieur européen (3), mais aussi pour le consommateur européen.

II – Le cadre juridique

A – Le droit communautaire

4. Le cadre juridique du présent cas d’espèce est déterminé, pour ce qui est du droit communautaire, par l’article 81, paragraphe 1, CE, qui dispose:

«Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à:

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction;

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements;

c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement;

d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;

e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.»

5. Il faut par ailleurs citer le règlement n° 1/2003, dont l’article 2 comporte en particulier la règle suivante sur la charge de la preuve:

«Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles 81 et 82 du traité, la charge de la preuve d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, ou de l’article 82 du traité incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue…».

6. Il vaut également la peine de mentionner la dernière phrase du cinquième considérant du règlement n° 1/2003:

«Le présent règlement ne porte atteinte ni aux règles nationales sur le niveau de preuve requis ni à l’obligation qu’ont les autorités de concurrence et les juridictions des États membres d’établir les faits pertinents d’une affaire, pour autant que ces règles et obligations soient compatibles avec les principes généraux du droit communautaire.»

7. L’article 3 du règlement n° 1/2003 régit le rapport entre l’article 81 CE et les droits nationaux de la concurrence:

«1. Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité susceptibles d’affecter le commerce entre États membres au sens de cette disposition, elles appliquent également l’article 81 du traité à ces accords, décisions ou pratiques concertées. […]

2. L’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’accords, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité […]

[…]»

B – Le droit national

8. Pour ce qui est du droit néerlandais, le cadre juridique du présent cas d’espèce est tracé par la loi sur la concurrence (Mededingingswet (4)), telle que modifiée par la loi du 9 décembre 2004 (5) et entrée en vigueur le 1er juillet 2005 (ci-après la «Ww»).

9. L’article 1er de la Mw contient notamment la définition suivante:

«Dans la présente loi et dans les dispositions qui se fondent sur elle, on entend par:

[…]

h) pratiques concertées: toute pratique concertée au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité;

[…]»

10. L’article 6, paragraphe 1, de la Mw précise:

«Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées d’entreprises qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur l’ensemble ou une partie du marché néerlandais».

11. Agissant en application de l’article 56, paragraphe 1, sous a), de la Mw, le conseil d’administration (6) de l’autorité néerlandaise de la concurrence, la «NMa» (7), peut infliger une amende à toute personne physique ou morale qui méconnaît l’article 6, paragraphe 1, de la Mw.

III – Les faits et la procédure au principal

Le marché néerlandais des services de télécommunication mobile

12. À l’époque des faits du litige au principal, en 2001, cinq opérateurs disposaient aux Pays-Bas de leur propre réseau de téléphonie mobile, à savoir Ben Nederland BV (8) (10,6 % du marché), KPN (42,1 %), Dutchtone NV (9) (9,7 %), Libertel-Vodafone NV (26,1 %) et Telfort Mobiel BV (10) (11,4 %). La construction d’un sixième réseau de téléphonie mobile n’était pas possible car plus aucune autorisation n’était délivrée. Le marché des services de télécommunication mobile n’était donc accessible que moyennant la conclusion d’un contrat avec un ou plusieurs des cinq opérateurs existants.

Packages prépayés et contrats d’abonnement aux Pays-Bas

13. Aux Pays-Bas, l’offre de services de télécommunication mobile se décompose en packages prépayés et en abonnements. La caractéristique des packages prépayés est que le client paie d’avance; en achetant une carte prépayée ou une recharge, il acquiert un crédit en temps d’appel, à concurrence duquel il peut téléphoner. En revanche, les abonnements ont pour trait caractéristique que les minutes de communication d’une période déterminée sont facturées a posteriori au client, qui paie en outre une redevance de base fixe, pouvant elle‑même inclure un crédit en minutes d’appel.

14. Lors de la conclusion ou de la prorogation d’un abonnement par l’intermédiaire d’un revendeur, ce dernier fournit le téléphone mobile et l’opérateur apporte la carte SIM (11). L’opérateur octroie en outre au revendeur une rémunération pour chaque abonnement de téléphonie mobile que ce dernier fait signer. À cette rémunération standard peuvent s’ajouter des compléments, selon le revendeur et l’abonnement vendu.

La réunion du 13 juin 2001

15. Le 13 juin 2001 s’est déroulée une réunion de représentants d’opérateurs offrant des services de télécommunication mobile sur le marché néerlandais. Cette réunion a notamment porté sur la réduction des rémunérations standard des revendeurs pour les abonnements, à compter du ou aux alentours du 1er septembre 2001. Ainsi qu’il résulte de l’ordonnance de renvoi, les participants à cette réunion ont également évoqué un certain nombre d’informations confidentielles (12).

La procédure au principal

16. Par décision du 30 décembre 2002 (ci-après la «décision initiale»), la NMa a constaté que Ben, Dutchtone, KPN, O2 (Telfort) et Vodafone (ex Libertel-Vodafone) avaient passé un accord entre elles ou avaient concerté leurs pratiques. Concluant que les pratiques en cause restreignaient sensiblement la concurrence et étaient par conséquent interdites par l’article 6, paragraphe 1, de la Mw, la NMa a infligé des amendes aux entreprises concernées.

17. Ces dernières ont introduit une réclamation contre cette décision.

18. Par décision du 27 septembre 2004, la NMa a déclaré les réclamations de T-Mobile (ex-Ben), KPN, Orange (ex-Dutchtone), Vodafone et O2 (Telfort) partiellement fondées et partiellement infondées. Tout en abandonnant le grief relatif à un accord contraire au droit de la concurrence, elle a constaté qu’il y avait bien une pratique concertée entraînant une infraction non seulement à l’article 6 de la Mw, mais également à l’article 81, paragraphe 1, CE (13). La NMa a révisé toutes les amendes à la baisse.

19. T-Mobile, KPN, Orange, Vodafone et Telfort ont saisi le Rechtbank te Rotterdam d’un recours contre la décision prise sur réclamation.

20. Ce tribunal a, par jugement du 13 juillet 2006, annulé la décision rendue sur réclamation et renvoyé l’affaire à la NMa pour qu’elle statue à nouveau (14).

21. La NMa ainsi que trois des entreprises concernées, à savoir T‑Mobile, KPN et Orange, ont interjeté appel de la décision dudit tribunal devant le College van Beroep voor het bedrijfsleven, qui est la juridiction de renvoi (15). Vodafone est également partie à la procédure au principal...

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