Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
MME CHRISTINE STIX-HACKL
présentées le 30 mars 2004(1)
Affaires jointes C-184/02 et C-223/02
Royaume d'Espagne
contre
Parlement européen
et
Conseil de l'Union européenne
et
République de Finlande
contre
Parlement européen
et
Conseil de l'Union européenne
«Recours en annulation – Recevabilité – Directive 2002/15/CE – Conditions de travail – Conducteurs indépendants – Base juridique – Principe général d'égalité de traitement – Libre exercice d'une profession – Proportionnalité – Obligation de motivation»
Table des matières
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La compétence de la Communauté |
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Les moyens concernant la finalité de la directive, le détournement de pouvoir et les bases juridiques |
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La finalité de la directive (troisième moyen dans l’affaire C‑184/02) |
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La question du détournement de pouvoir et la légalité des bases juridiques choisies (premier moyen dans l’affaire C‑223/02) |
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Utilisation d’une base légale non indispensable |
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Les dispositions sur les petites et moyennes entreprises (quatrième moyen dans l’affaire C‑223/02) |
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Le droit fondamental au libre exercice d’une activité professionnelle (premier et troisième moyens dans l’affaire C‑184/02,
ainsi que troisième moyen dans l’affaire C‑223/02) et le principe de proportionnalité (deuxième moyen dans l’affaire C‑223/02) |
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Le principe du libre exercice d’une activité professionnelle |
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Charge de la preuve et répartition de la charge de la preuve |
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Les conditions de la légalité d’une ingérence dans un droit fondamental |
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La proportionnalité en général |
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Le principe du libre exercice d’une activité professionnelle en particulier |
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La proportionnalité de l’intervention |
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L’objectif de la directive |
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Le principe général d’égalité (deuxième moyen dans l’affaire C‑184/02) |
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Le principe général d’égalité |
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L’obligation de motivation (quatrième moyen dans l’affaire C‑184/02 et cinquième moyen dans l’affaire C‑223/02) |
I – Introduction
1.
Ces deux affaires ont pour objet un recours du royaume d’Espagne et un recours de la république de Finlande visant à l’annulation
totale ou partielle de la
directive 2002/15/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, relative à l’aménagement
du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier
(2)
(ci-après la «directive»), dans la mesure où elle concerne les conducteurs indépendants. La Cour doit y examiner, outre toute
une série de moyens, certains problèmes de recevabilité que posent les deux recours et dont une partie sont de nature nouvelle.
II – Cadre juridique
2.
Le contexte des présentes affaires est d’abord constitué par le
règlement (CEE) n° 3820/85 du Conseil, du 20 décembre 1985,
relatif à l’harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route
(3)
, qui, pour l’essentiel, régit les temps de conduite et les repos des conducteurs salariés ainsi que d’autres conducteurs.
3.
Il convient en outre de mentionner la
directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de
l’aménagement du temps de travail
(4)
. Cette directive régissait entre autres les périodes de repos journalier et hebdomadaire, la durée hebdomadaire maximale
de travail, le congé annuel et la durée du travail de nuit, étant entendu que certains secteurs d’activité, tels que le transport
routier, étaient exclus de son champ d’application. Ce dernier a été étendu, entre autres, au secteur du transport routier
par la
directive 2000/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 2000, modifiant la
directive 93/104 afin de couvrir
les secteurs et activités exclus de ladite directive
(5)
. Les «travailleurs mobiles» sont toutefois restés écartés des dispositions relatives aux périodes de repos journalier, aux
temps de pause, au repos hebdomadaire et à la durée du travail de nuit.
4.
La
directive 2002/15 vient elle-même compléter la législation précitée et fixe des règles relatives à la durée maximale hebdomadaire
du travail, aux temps de pause et de repos, et au travail de nuit.
5.
L’article 1
er, qui fixe l’objet de la directive, se lit comme suit:
«L’objet de la présente directive est de fixer des prescriptions minimales relatives à l’aménagement du temps de travail afin
d’améliorer la protection de la sécurité et de la santé des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier
ainsi que la sécurité routière et de rapprocher davantage les conditions de concurrence.»
6.
L’article 2, qui définit le champ d’application de la directive, prévoit dans son paragraphe 1 que:
«La présente directive s’applique aux travailleurs mobiles employés par des entreprises établies dans un État membre et participant
à des activités de transport routier couvertes par le
règlement (CEE) n° 820/85 ou, à défaut, par l’accord AETR.
Sans préjudice des dispositions de l’alinéa ci-après, la présente directive s’applique aux conducteurs indépendants à compter
du 23 mars 2009.
Au plus tard deux ans avant cette date, la Commission soumet un rapport au Parlement européen et au Conseil. Ce rapport analysera
les conséquences de l’exclusion des conducteurs indépendants du champ d’application de la directive, eu égard notamment à
la sécurité routière, aux conditions de concurrence, à la structure de la profession ainsi qu’aux aspects sociaux. Les conditions
prévalant dans chaque État membre en ce qui concerne la structure du secteur des transports et l’environnement de travail
de la profession de transporteur routier seront prises en compte. Sur la base de ce rapport, la Commission présente une proposition
ayant pour objectif, le cas échéant:
- –
- soit de fixer les modalités visant à inclure les travailleurs indépendants dans le champ d’application de la directive eu
égard à certains conducteurs indépendants qui ne participent pas à des activités de transport routier dans d’autres États
membres et qui sont soumis à des contraintes locales liées à des motifs objectifs, telles que la situation périphérique, la
longueur des distances internes et des conditions de concurrence particulières,
- –
- soit de ne pas inclure les conducteurs indépendants dans le champ d’application de la directive.»
7.
L’article 3 fixe les définitions de la directive. Son point a) définit légalement la notion de «temps de travail». Son point
2 dispose que:
«dans le cas des conducteurs indépendants, cette définition s’applique à toute période comprise entre le début et la fin du
travail, durant laquelle le conducteur indépendant est à son poste de travail, à la disposition du client et dans l’exercice
de ses fonctions ou de ses activités, autres que les tâches administratives générales qui ne sont pas directement liées au
transport spécifique en cours.
Sont exclus du temps de travail, les temps de pause visés à l’article 5, les temps de repos visés à l’article 6 ainsi que,
sans préjudice de la législation des États membres ou d’accords entre partenaires sociaux prévoyant que de telles périodes
sont compensées ou limitées, les temps de disponibilité visés au point b) du présent article.»
8.
Le point e) définit la notion de «conducteur indépendant» de la manière suivante:
«toute personne dont l’activité professionnelle principale consiste à effectuer des transports de voyageurs ou de marchandises
par route contre rémunération au sens de la législation communautaire sous couvert d’une licence communautaire ou de toute
autre habilitation professionnelle pour effectuer lesdits transports, qui est habilitée à travailler à son propre compte et
qui n’est pas liée à un employeur par un contrat de travail ou par toute autre relation de subordination de travail, qui dispose
de la liberté nécessaire pour l’organisation de l’activité visée, dont les revenus dépendent directement des bénéfices réalisés
et qui est libre d’entretenir, à titre individuel ou en coopération avec d’autres conducteurs indépendants, des relations
commerciales avec plusieurs clients.
Aux fins de la présente directive, les conducteurs qui ne satisfont pas à ces critères sont soumis aux mêmes obligations et
bénéficient des mêmes droits que ceux prévus pour les travailleurs mobiles par la présente directive.»
III – Recevabilité
A –
L’affaire C‑184/02
9.
Le Conseil et le Parlement contestent la recevabilité du recours engagé par le royaume d’Espagne, au motif que la requête
initiale vise le seul Conseil comme partie défenderesse. Ce n’est que par lettre portant la...