James Wood v Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:135
Date28 February 2008
Celex Number62007CC0164
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-164/07

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 28 février 2008 (1)

Affaire C‑164/07

James Wood

contre

Fonds de garantie

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal de grande instance de Nantes (France)]

«Discrimination en raison de la nationalité – Article 12, paragraphe 1, CE – Citoyenneté de l’Union européenne – Indemnisation pour les victimes d’infractions commises à l’étranger – Réglementation nationale qui n’accorde cette indemnisation aux victimes qu’à ses propres ressortissants»





I – Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur des questions de discrimination en raison de la nationalité dans le cadre de l’octroi d’une indemnisation publique pour les victimes d’infractions. La Cour s’est déjà penchée sur une thématique similaire dans l’affaire Cowan (2).

2. Contrairement au cas Cowan, la présente affaire ne concerne cependant pas l’indemnisation des victimes d’infractions commises sur le territoire national. Au contraire, la Cour est cette fois interrogée au regard des règles de droit communautaire sur une disposition d’un État membre qui prévoit aussi une indemnisation en faveur des victimes d’infractions qui ont été commises à l’étranger, cette indemnisation n’étant toutefois accordée qu’aux ressortissants dudit État membre.

II – Cadre juridique

A – Droit communautaire

3. L’article 12, paragraphe 1, CE dispose que:

«Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

4. L’article 17 de la directive 2004/80/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité (3) précise:

«Dispositions plus favorables

La présente directive n’empêche pas les États membres, dans la mesure où ces dispositions sont compatibles avec la présente directive:

a) d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables, dans l’intérêt des victimes d’infractions ou de toute autre personne affectée par une infraction;

b) d’adopter ou de maintenir des dispositions en vue d’indemniser les victimes d’infractions commises en dehors de leur territoire ou toute autre personne affectée par ces infractions, sous réserve d’éventuelles conditions que les États membres peuvent préciser à cet effet.»

B – Droit national

5. L’article 706-3 du code de procédure pénale français prévoit:

«Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes:

[…]

3. La personne lésée est de nationalité française. Dans le cas contraire, les faits ont été commis sur le territoire national et la personne lésée est:

– soit ressortissante d’un État membre de la Communauté économique européenne;

– soit, sous réserve des traités et accords internationaux, en séjour régulier au jour des faits ou de la demande.

[...]»

III – Les circonstances de fait et la procédure au principal

6. James Wood est un ressortissant britannique qui vit en France depuis plus de 20 ans. Avec sa concubine, qui est ressortissante française, il a trois enfants communs qui possèdent aussi la nationalité française.

7. L’un des enfants, leur fille Helena Wood, est décédé en 2004 dans un accident de la circulation en Australie où elle résidait pendant un stage.

8. La famille Wood s’est alors adressée à la commission nantaise d’indemnisation des victimes d’infractions (ci-après la «commission d’indemnisation») et a demandé l’indemnisation des préjudices matériels et moraux subis en raison du décès de Helena Wood.

9. La mère et les frères et sœurs se sont vu reconnaître le droit d’être indemnisés et ils sont parvenus à un accord sur son montant avec le Fonds de garantie compétent.

10. En revanche, le Fonds de garantie a refusé d’accorder une indemnisation au père de la défunte au motif qu’il ne remplissait pas les conditions de l’article 706-3 du code de procédure pénale. Cette disposition prévoit que, lorsque le fait ayant provoqué le préjudice s’est produit à l’étranger, le droit d’être indemnisé revient uniquement aux ressortissants français. M. Wood n’ayant pas la nationalité française, contrairement aux autres membres de la famille, ce droit ne lui est pas ouvert. Tel ne serait le cas que si l’accident de sa fille s’était produit en France.

11. Par mémoire du 11 janvier 2005, M. Wood a alors déposé un recours contre le Fonds de garantie devant la commission d’indemnisation du tribunal de grande instance de Nantes. Il fonde son recours sur l’article 7 du traité CE (devenu article 12 CE) qui interdit toute discrimination en raison de la nationalité.

12. Il y a selon lui discrimination pour le simple fait que, ne possédant pas la nationalité française, il n’a pas obtenu l’indemnisation en faveur des victimes au même titre que sa concubine et ses enfants qui sont ressortissants français, bien qu’il réside en France depuis plus de 20 ans, qu’il y travaille et y acquitte ses impôts.

IV – Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour

13. Par décision du 16 mars 2006, la commission d’indemnisation du tribunal de grande instance de Nantes a suspendu la procédure dont elle était saisie et a posé la question préjudicielle suivante à la Cour:

«Au regard du principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, énoncé à l’article 7 du traité de Rome, les dispositions de l’article 706-3 du code français de procédure pénale sont-elles compatibles ou non avec le droit communautaire en ce qu’un ressortissant de la Communauté européenne, résidant en France, père d’un enfant de nationalité française, décédé hors du territoire national, serait exclu du bénéfice de l’indemnisation servie par le Fonds de garantie, au seul motif de sa nationalité?»

14. Outre le requérant et la partie défenderesse dans la procédure au principal, le gouvernement français et la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations écrites et orales durant la procédure devant la Cour. De plus, les gouvernements italien et portugais ont déposé des observations écrites.

V – Appréciation

A – Recevabilité de la demande de décision préjudicielle

15. Avant d’aborder la question préjudicielle, nous devons avant tout nous pencher brièvement sur deux aspects relatifs à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.

1. Interprétation de la question préjudicielle

16. La question préjudicielle se réfère à l’article 7 du traité CE. L’interdiction de discrimination en raison de la nationalité se retrouve toutefois entre-temps à l’article 12, paragraphe 1, CE, qui est libellé de la même façon. L’article 12, paragraphe 1, CE est applicable rationae temporis au présent cas d’espèce. Nous nous référerons donc ci-dessous à l’article 12, paragraphe 1, CE.

17. Compte tenu de la formulation de la question préjudicielle, il faut par ailleurs préciser que, d’après une jurisprudence constante, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer en application de l’article 234 CE sur la compatibilité d’une mesure nationale avec le droit communautaire. Elle peut cependant fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier la question de la compatibilité pour statuer dans la procédure dont elle est saisie (4).

18. Il faut donc interpréter la question préjudicielle en ce sens qu’elle concerne l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, CE.

2. Habilitation de la commission d’indemnisation à opérer le renvoi

19. On pourrait par ailleurs se demander si la commission d’indemnisation, qui a déféré la présente demande de décision préjudicielle à la Cour, est une juridiction habilitée à poser une question préjudicielle, au sens de l’article 234 CE. Nous pouvons cependant renvoyer à cet égard aux conclusions présentées dans l’affaire Cowan, dans lesquelles l’avocat général Lenz a constaté à juste titre au terme d’une motivation détaillée qu’une commission de ce type doit être considérée comme une juridiction au sens de l’article 234 CE (5). Dans son arrêt Cowan (précité à la note 2), la Cour est tacitement partie de l’idée de la recevabilité du renvoi opéré par une telle commission. Il a fait valoir qu’une commission de ce type est une institution dotée du caractère autonome et appelée à statuer sur les litiges relatifs aux demandes d’indemnisation des victimes; elle est fondée en...

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