Christopher Seagon v Deko Marty Belgium NV.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:575
Docket NumberC-339/07
Celex Number62007CC0339
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date16 October 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Dámaso Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 16 octobre 2008 (1)

Affaire C‑339/07

Rechtsanwalt Christopher Seagon als Insolvenzverwalter über das Vermögen der Frick Teppichboden Supermärkte GmbH

contre

Deko Marty Belgium NV

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Règlement (CE) n° 44/2001 – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 1346/2000 – Procédures d’insolvabilité – Actions révocatoires au titre de l’insolvabilité – Juridiction compétente – Pouvoirs du syndic – Principe de l’absence de lacunes»





I – Introduction

1. Tous les débiteurs n’ont pas la chance d’être apparentés au père Goriot. La générosité et les âmes nobles ne sont pas monnaie courante sous le règne du marché, car les commerçants ne possèdent pas les qualités qui permettaient à Delphine et à Anastasie, filles malheureuses et vaniteuses, de vivre et de s’endetter excessivement aux frais de leur dévoué géniteur, qui est mort dans la ruine la plus complète en bénissant sa progéniture (2).

2. L’insolvabilité d’une entreprise n’est pas une comédie humaine, mais les comportements désespérés de ceux qui ne peuvent faire face à leurs dettes remontent aux origines de l’humanité. Le droit essaye de combattre les ruses des débiteurs dans la gêne, même si, parfois, l’application de ses normes se heurte à des difficultés telles que celles identifiées par le Bundesgerichtshof (Cour suprême fédérale) (Allemagne) dans l’examen de la présente affaire.

3. Dans ce contexte, le Bundesgerichtshof a, conformément à l’article 234 CE, saisi la Cour de deux questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 (3) et de l’article 2, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 44/2001 (4).

4. La juridiction de renvoi souhaite déterminer si l’action révocatoire au titre de l’insolvabilité relève des dispositions du règlement n° 1346/2000 ou de celles du règlement n° 44/2001 en vue de déterminer la juridiction compétente pour connaître d’un litige transfrontalier.

5. Les actions révocatoires au titre de l’insolvabilité trouvent leurs racines dans l’action paulienne, un mécanisme de protection de droit civil qui protège les créanciers contre les actes de disposition sur le patrimoine réalisés par leurs débiteurs dans une intention de fraude. Il convient donc d’étudier en détail l’évolution et l’état actuel des deux domaines, en réalisant une interprétation des règlements précités qui conduise à la juridiction correcte.

II – Les faits

6. Le 14 mars 2002, Frick Teppichboden Supermärkte GmbH (ci‑après la «débitrice») a payé 50 000 euros à Deko Marty Belgium NV (ci-après la «défenderesse»). Bien que la défenderesse soit une société belge ayant son siège en Belgique, le paiement a été effectué sur un compte bancaire à son nom auprès de la KBC Bank à Düsseldorf (Allemagne).

7. Le lendemain, la débitrice a demandé l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité devant l’Amtsgericht Marburg, demande qui a été accueillie le 1er juin 2002. M. Christopher Saegon (ci-après le «requérant») a été désigné syndic par l’ordonnance d’ouverture de la procédure.

8. Dans le cadre d’une action révocatoire, le requérant a demandé, devant le Landgericht Marburg, la restitution des 50 000 euros perçus par la défenderesse.

9. Le Landgericht a examiné préalablement la demande du requérant et l’a rejetée comme étant irrecevable, au motif que les organes juridictionnels allemands ne pouvaient pas statuer sur le recours, car la défenderesse a son siège dans un autre État (en Belgique) et le règlement n° 1436/2000 n’est pas applicable aux actions révocatoires au titre de l’insolvabilité. Cette décision a été contestée, en dernier lieu, devant le Bundesgerichtshof.

III – Le cadre juridique

A – Le cadre juridique communautaire

1. Le règlement n° 1346/2000

10. Le litige porte sur l’interprétation des règles de compétence judiciaire internationale dans le domaine du droit communautaire de l’insolvabilité. Toutefois, il convient d’examiner le contexte juridique global concernant les conflits de lois dans cette matière, en étudiant également les règles relatives à la loi applicable et à la reconnaissance des décisions de justice.

11. L’article 3, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1346/2000, intitulé «Compétence internationale», fixe les règles de compétence judiciaire pour les procédures d’insolvabilité ayant une portée communautaire.

«1. Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.

[…]»

12. Les dispositions du règlement n° 1346/2000 relatives à la loi applicable sont étroitement liées à l’article 3 dudit règlement. Ainsi, l’article 4, intitulé «Loi applicable», dispose à ses paragraphes 1 et 2, sous m):

«1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé ‘État d’ouverture’.

2. La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment:

[…]

m) les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers.»

13. En ce qui concerne les actes de disposition au préjudice des créanciers, l’article 13, intitulé «Actes préjudiciables», nuance les dispositions citées au point précédent:

«L’article 4, paragraphe 2, point m), n’est pas applicable lorsque celui qui a bénéficié d’un acte préjudiciable à l’ensemble des créanciers apporte la preuve que:

– cet acte est soumis à la loi d’un autre État membre que l’État d’ouverture, et que

– cette loi ne permet en l’espèce, par aucun moyen, d’attaquer cet acte.»

14. Dans son chapitre II, le règlement n° 1346/2000 aborde la question de la reconnaissance et de l’exécution des décisions. À cet égard, les articles 16, paragraphe 1, et 25, paragraphes 1 et 2, présentent une importance particulière.

«Article 16

Principe

1. Toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3 est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture.

[…]

Article 25

Reconnaissance et caractère exécutoire d’autres décisions

1. Les décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendues par une juridiction dont la décision d’ouverture est reconnue conformément à l’article 16 ainsi qu’un concordat approuvé par une telle juridiction sont reconnus également sans aucune autre formalité. Ces décisions sont exécutées conformément aux articles 31 à 51 (à l’exception de l’article 34, paragraphe 2) de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, modifiée par les conventions relatives à l’adhésion à cette convention.

Le premier alinéa s’applique également aux décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement, même si elles sont rendues par une autre juridiction.

Le premier alinéa s’applique également aux décisions relatives aux mesures conservatoires prises après la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

2. La reconnaissance et l’exécution des décisions autres que celles visées au paragraphe 1 sont régies par la convention visée au paragraphe 1, pour autant que cette convention soit applicable.»

2. Le règlement n° 44/2001

15. Les règles générales concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions figurent dans le règlement n° 44/2001, dont les dispositions constituent la traduction communautaire de la convention de Bruxelles de 1968, qui n’est plus en vigueur. L’article 1er du règlement, qui détermine le champ d’application du règlement, dispose:

«Article premier

1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2. Sont exclus de son application:

[…]

b) les faillites, concordats et autres procédures analogues;

[…]»

B – Le cadre juridique national

16. En droit allemand des faillites, les mesures de protection de la masse figurent dans les articles 129 et suivants de l’Insolvenzverordnung (règlement sur l’insolvabilité) du 5 octobre 1994.

17. Cependant, l’ordre juridique allemand est dépourvu de règles spécifiques concernant la compétence judiciaire internationale pour les actions révocatoires au titre de l’insolvabilité. À l’instar du règlement n° 1346/2000, les articles 3 et 102 de l’Insolvenzverordnung ne comprennent, s’agissant de la compétence judiciaire internationale, aucune règle s’appliquant expressément aux actions pauliennes.

18. Malgré ce silence législatif, le Bundesgerichtshof, dans un arrêt du 11 janvier 1990, a confirmé que ces actions découlent de la procédure d’insolvabilité et sont intimement liées à son déroulement (5). Cet arrêt a été rendu dans un litige relatif à la compétence judiciaire des tribunaux de la République fédérale d’Allemagne dans le cadre d’une...

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