Wienand Meilicke v ADV/ORGA F. A. Meyer AG.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1992:178
Date08 April 1992
Celex Number61991CC0083
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeCuestión prejudicial - sobreseimiento
Docket NumberC-83/91
EUR-Lex - 61991C0083 - FR 61991C0083

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 8 avril 1992. - Wienand Meilicke contre ADV/ORGA F. A. Meyer AG. - Demande de décision préjudicielle: Landgericht Hannover - Allemagne. - Droit des sociétés - Directive 77/91/CEE. - Affaire C-83/91.

Recueil de jurisprudence 1992 page I-04871
édition spéciale suédoise page I-00105
édition spéciale finnoise page I-00107


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans la présente procédure, la Cour est invitée à interpréter certaines dispositions figurant dans la directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l' article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (1) (ci-après "deuxième directive").

Les nombreuses questions préjudicielles soumises à la Cour par le Landgericht Hannover portent plus spécifiquement sur l' interprétation des articles 7, 10, 11 et 27, paragraphe 2, relatifs aux "apports autres qu' en numéraire", aux fins de vérifier si ces dispositions font obstacle à l' application de la théorie sur les apports en nature dissimulés, telle qu' elle a été élaborée par la jurisprudence allemande.

2. Nous estimons nécessaire de rendre tout d' abord compte de cette théorie, réaffirmée récemment et développée de manière analytique par le Bundesgerichtshof dans son arrêt du 15 janvier 1990 (2). La jurisprudence allemande qualifie en substance d' apport en nature dissimulé tout apport en numéraire qui, tout en étant conforme aux dispositions formelles du droit des sociétés, présente un rapport de concomitance et un lien matériel avec une opération par le biais de laquelle les liquidités obtenues par la société du fait de l' apport en numéraire sont restituées au souscripteur. Une telle opération reviendrait, en effet, selon la jurisprudence et la doctrine dominantes, à tourner les dispositions relatives aux apports en nature, dispositions qui imposent la publicité et le contrôle de la valeur des apports. La violation de ces dispositions peut être sanctionnée par l' obligation de répéter l' apport déjà effectué.

Il faut préciser ici que la catégorie juridique "apport en nature dissimulé" n' est traitée ni par la deuxième directive ni par l' Aktiengesetz (loi sur les sociétés anonymes, ci-après "AktG"), tel qu' il a été modifié par la loi du 13 décembre 1978 (3), qui a mis en oeuvre la directive.

La deuxième directive se borne en fait à distinguer entre les apports en numéraires et les apports autres qu' en numéraire (ci-après "apports en nature"). S' agissant de ces derniers, l' article 10 prévoit qu' ils doivent être assortis d' un rapport établi par un ou plusieurs experts indépendants de la société. Ce rapport, qui doit être établi préalablement à la constitution de la société ou en toute hypothèse à l' obtention par la société de l' autorisation de débuter ses activités, doit comporter des indications précises, telles que la description des biens, les critères d' évaluation et la correspondance entre la valeur des apports et la valeur des actions émises; il doit par ailleurs faire l' objet d' une publicité. L' article 27, paragraphe 2, impose une réglementation analogue en ce qui concerne les apports en nature effectués à la suite d' une augmentation de capital.

Est soumise en vertu de l' article 11, paragraphe 1, au même régime, pour ce qui est du contrôle et de la publicité ainsi qu' à l' autorisation de l' assemblée générale, l' acquisition d' éléments patrimoniaux appartenant aux associés fondateurs, lorsqu' ils sont évalués à au moins 1/10 du capital souscrit et si l' acquisition a lieu dans les deux années qui suivent la constitution de la société (ou dans le délai plus long prévu par la législation nationale). Cette réglementation - qui ne s' applique pas aux acquisitions faites dans le cadre des opérations courantes de la société, ni aux acquisitions faites à l' initiative ou sous le contrôle d' une autorité administrative ou judiciaire, ni aux acquisitions faites en bourse (article 11, paragraphe 2) - peut être étendue par les États membres également aux acquisitions de biens appartenant à d' autres actionnaires ou à des tiers.

Enfin, il faut rappeler l' article 7, qui dispose que le capital souscrit ne peut être constitué que par des éléments d' actif susceptibles d' évaluation économique.

3. Venons-en à la description des faits en cause dans l' affaire au principal, faits qui présentent des particularités de nature à faire considérer comme peu ordinaire - et à plusieurs titres - l' affaire qui nous occupe ici. La société ADV/ORGA (ci-après "ADV/ORGA"), qui se trouvait en prise à des difficultés sérieuses depuis plusieurs années, a procédé en avril 1989 à une augmentation de capital: l' émission de nouvelles actions était garantie par la Commerzbank, qui en est devenue ainsi propriétaire. Il faut ajouter que dès décembre 1988 la Commerzbank avait acquis une participation majoritaire dans ADV/ORGA; la banque avait en outre accordé des prêts à cette société.

Au cours de l' assemblée générale du 16 février 1990, et en sa qualité d' actionnaire - il possède en effet une action avec droit de vote - M. Meilicke a fait poser à la direction différentes questions relatives à l' augmentation de capital et à l' utilisation de cet apport d' argent frais, aux fins de vérifier si cet argent avait servi à réduire les dettes de la société envers la Commerzbank. En d' autres termes, les réponses à ces questions lui auraient permis de savoir s' il fallait qualifier l' apport en numéraire effectué par la Commerzbank d' apport en nature dissimulé, sur la base de la jurisprudence du Bundesgerichtshof que nous avons rappelée.

Considérant que les réponses fournies par la direction n' étaient pas suffisantes, M. Meilicke a saisi le Landgericht Hannover, tribunal compétent ratione loci - conformément à l' article 132 de l' AktG - afin qu' il se prononce sur le point de savoir si la direction de la société était tenue ou non de communiquer les informations demandées. Il faut préciser ici que, en vertu de l' article 131, premier alinéa, première phrase, de l' AktG, la direction est tenue de fournir aux actionnaires des informations sur les opérations réalisées par la société, dans la mesure où elles peuvent être pertinentes pour leur permettre de se prononcer en connaissance de cause sur un point à l' ordre du jour.

Après l' ouverture de la procédure judiciaire, des informations complémentaires ont été fournies par écrit à M. Meilicke, de sorte que - comme le juge national l' a indiqué dans son ordonnance de renvoi - la procédure au principal doit être considérée comme partiellement réglée (4).

A cet égard, ADV/ORGA a soutenu à l' audience que les informations qu' elle avait fournies étaient suffisantes pour établir si les conditions nécessaires pour mettre en oeuvre la procédure prévue à l' article 131 de l' AktG étaient ou non réunies: ces informations permettraient en substance de se prononcer sur la nature de l' apport effectué par la Commerzbank et, par conséquent, sur l' existence même du droit à l' information, eu égard à la théorie sur les apports en nature dissimulés. ADV/ORGA a donc ajouté que, même si on devait considérer - contrairement à ce que prouvent les informations, et en tout état de cause contrairement à la thèse qu' elle a soutenue - que l' apport effectué par la Commerzbank devait être qualifié d' apport en nature dissimulé, il n' en resterait pas moins qu' il n' est nul besoin de fournir d' autres informations.

4. C' est précisément ce point qui est encore controversé. Le Landgericht, contrairement à la société défenderesse, considère en effet que les informations fournies ne permettent pas de qualifier avec certitude l' apport en cause. Le Landgericht semble notamment considérer que les informations supplémentaires demandées par M. Meilicke sont de nature à influer sur les droits que ce dernier tire de sa qualité d' actionnaire, dans la mesure où elles pourraient précisément amener cette juridiction à invalider - à la lumière des principes élaborés par la jurisprudence allemande - le remboursement des dettes d' emprunts contractés par ADV/ORGA avant l' augmentation de son capital, au moyen d' apports en numéraire du prêteur lui-même, en l' espèce la Commerzbank.

Or, puisque la demande de renseignements complémentaires vise précisément à vérifier si la Commerzbank a été remboursée (au moins partiellement) au moyen de l' argent qu' elle a elle-même apporté à l' occasion de l' augmentation de capital, il convient, selon le Landgericht, de considérer que les conditions visées à l' article 131 de l' AktG sont réunies, en raison principalement des conséquences déjà rappelées que la théorie sur les apports en nature dissimulés élaborée par la jurisprudence allemande attache à ce type d' opérations. La juridiction nationale elle-même observe toutefois que le demandeur n' aurait aucun droit d' obtenir ces informations si la théorie sur les apports en nature dissimulés était incompatible avec le droit communautaire.

Le Landgericht a par conséquent saisi la Cour de justice d' une demande de décision à titre préjudiciel, afin de vérifier l' existence du droit aux informations, en l' invitant à se prononcer sur la conformité à la deuxième directive des principes qui sous-tendent la théorie en cause. La juridiction précitée a indiqué par ailleurs qu' elle entendait faire usage de la procédure prévue à l' article 177, en vue de garantir la sécurité juridique, après avoir rappelé l' arrêt précité du Bundesgerichtshof et montré que cet arrêt a fait l' objet de critiques même en Allemagne...

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