Finanzamt Köln-Altstadt v Roland Schumacker.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1994:391
Docket NumberC-279/93
Celex Number61993CC0279
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date22 November 1994
EUR-Lex - 61993C0279 - FR 61993C0279

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 22 novembre 1994. - Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Article 48 du traité CEE - Obligation d'égalité de traitement - Imposition sur le revenu des non-résidents. - Affaire C-279/93.

Recueil de jurisprudence 1995 page I-00225


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les quatre questions préjudicielles posées par le Bundesfinanzhof dans la présente affaire se situent dans la lignée des affaires Commission/France ("avoir fiscal") (1), Biehl (2), Bachmann (3), Commission/Belgique (4), Commerzbank (5), Halliburton Services (6) et surtout Werner (7) dont le cadre factuel et juridique est très proche. Elles concernent une question clé du droit communautaire: quel est l' impact sur les réglementations fiscales internes portant sur l' impôt sur le revenu du principe communautaire de libre circulation des personnes tel qu' il est mis en oeuvre à l' article 48 du traité CE?

2. La réglementation fiscale applicable est la suivante.

3. Par application de l' article 1er, paragraphe 4, de l' Einkommensteuergesetz (loi allemande relative à l' impôt sur le revenu, ci-après l' "EStG") (8), les personnes qui n' ont aucune résidence en République fédérale d' Allemagne et qui n' y séjournent pas habituellement sont "partiellement assujetties à l' impôt" (beschraenkt einkommensteuerpflichtig) pour la partie de leurs revenus qu' elles réalisent dans ce pays tandis que les résidents sont "intégralement assujettis à l' impôt" (9).

4. Ces deux catégories de contribuables sont soumises à des régimes fiscaux très différents.

5. Les seconds sont imposés par le fisc allemand sur l' universalité de leurs revenus tandis que les premiers ne sont assujettis que sur ceux perçus sur le territoire allemand.

6. Partant du principe que la situation personnelle et subjective du contribuable non-résident ° et donc partiellement assujetti ° sera prise en compte par son État de résidence, la réglementation fiscale allemande lui refuse un certain nombre d' avantages qu' elle accorde aux contribuables résidents: seuls ceux-ci peuvent bénéficier du barème préférentiel pour les couples mariés (le "Splittingtarif") (10). Certaines déductions (11) ou certains abattements liés, notamment, à leur situation familiale (12) sont réduits ou supprimés pour les non-résidents. De plus, ceux-ci voient leur impôt prélevé à la source sur leur salaire sans procédure de régularisation en fin d' année (13).

7. Le contribuable "partiellement assujetti" est donc imposé de manière objective, "comme en matière d' impôts indirects" (14).

8. La question de la compatibilité avec le droit communautaire de ces dispositions s' est posée dans le cadre d' un litige opposant un ressortissant belge, M. Schumacker, requérant au principal, au Finanzamt Koeln-Altstadt.

9. M. Schumacker a toujours résidé, avec sa famille, en Belgique. Employé dans un premier temps dans cet État, il exerce, du 15 mai 1988 au 31 décembre 1989, une activité salariée en République fédérale d' Allemagne tout en continuant à résider en Belgique (15).

10. Pour l' imposition sur le revenu relative à cette dernière période, le droit d' imposer les salaires de M. Schumacker revient à la République fédérale d' Allemagne, en tant qu' État où l' activité est exercée, en vertu de l' article 15, paragraphe 1, de la convention germano-belge en matière de double imposition (16).

11. Il est classé, par application des articles 1er, paragraphe 4, et 39d, de l' EStG de 1987, dans la catégorie des contribuables partiellement assujettis et son salaire fait l' objet d' une retenue calculée conformément à la classe d' imposition I (applicable aux nationaux célibataires et aux non-résidents quelle que soit leur situation familiale) (17).

12. A la suite d' une réclamation de l' intéressé, le Finanzamt, par décision du 22 juin 1989, refuse de calculer le montant de l' impôt "en équité" (18) par référence à la classe d' imposition III (applicable aux résidents mariés et fondée sur le tarif du splitting).

13. Le Finanzgericht accueille le recours de M. Schumacker et enjoint au Finanzamt de procéder à une nouvelle liquidation de l' impôt sur les salaires pour 1988 et d' arrêter l' impôt sur les salaires de 1989 par référence à la classe d' imposition III.

14. C' est dans le cadre du recours en "Revision" exercé par l' administration fiscale que le Bundesfinanzhof vous saisit des quatre questions préjudicielles suivantes:

"1) L' article 48 du traité CEE est-il susceptible de restreindre le droit pour la République fédérale d' Allemagne de percevoir un impôt sur le revenu d' un citoyen d' un autre État membre?

2) Dans les cas où une personne physique, de nationalité belge, ayant son unique lieu de résidence en Belgique, où elle séjourne habituellement et où elle a acquis sa qualification et son expérience professionnelles, prend un emploi salarié en République fédérale d' Allemagne sans y transférer son lieu de résidence, l' article 48 du traité CEE permet-il à la République fédérale d' Allemagne d' imposer les revenus de cette personne plus lourdement que ceux d' une personne par ailleurs comparable ayant sa résidence en République fédérale d' Allemagne?

3) En va-t-il différemment lorsque le ressortissant belge visé dans la deuxième question tire son revenu presque exclusivement (c' est-à-dire à plus de 90 %) de son travail en République fédérale d' Allemagne et que, par ailleurs, aux termes de la convention de double imposition entre ce dernier pays et le royaume de Belgique, ledit revenu n' est imposable qu' en République fédérale d' Allemagne?

4) La République fédérale d' Allemagne commet-elle une violation de l' article 48 du traité CEE en excluant les personnes physiques n' ayant ni résidence ni lieu de séjour habituel sur son territoire, mais qui y perçoivent des ressources d' origine salariale, à la fois de la régularisation annuelle des retenues à la source au titre de l' impôt sur les salaires et de l' imposition par voie de rôle des revenus d' origine salariale?"

Sur la première question

15. L' article 48 du traité CEE peut-il restreindre le droit pour un État membre de percevoir un impôt sur le revenu d' un citoyen d' un autre État membre?

16. Notant que la fiscalité directe relève de la seule compétence des États membres, le juge de renvoi exprime ses doutes quant à la possibilité d' appliquer le texte de l' article 48 à une réglementation nationale concernant ce domaine. Il fait notamment valoir que "... le traité CEE ne donne nulle part mandat d' harmoniser les impôts directs des États membres" (19). La jurisprudence serait, en tout état de cause, insuffisamment explicite sur l' existence d' un rapport entre ces normes (20).

17. Le traité CE ne contient pas, en matière de fiscalité directe, des dispositions similaires à l' article 95. Si l' on excepte l' article 220, son silence quasi absolu en ce domaine a souvent été souligné (21). Il n' est pas discuté qu' il revient aux États membres de poser les règles concernant l' impôt sur le revenu (22).

18. La matière échappe-t-elle pour autant au droit communautaire?

19. Relevons, en premier lieu, qu' en vertu de l' article 100 du traité CE, ces réglementations sont susceptibles d' harmonisation si elles ont une incidence directe sur l' établissement ou le fonctionnement du marché commun (23), moyennant l' unanimité des États membres. La fiscalité est exclue du champ d' application de l' article 100 A qui autoriserait des mesures d' harmonisation prises à la majorité qualifiée. A la différence de la TVA, l' harmonisation de la fiscalité directe n' est, à ce jour, qu' embryonnaire (24).

20. En second lieu, pour parvenir aux objectifs qu' elle s' est assignés à l' article 2 du traité CE, la Communauté met en oeuvre "un marché intérieur caractérisé par l' abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux" (25).

21. C' est ainsi que, même dans les domaines qui relèvent de leur seule compétence, les États membres ne peuvent adopter des mesures qui auraient pour effet d' entraver sans justification la libre circulation des travailleurs (article 48), des professions indépendantes (article 52) (26), des services (article 59) ou des capitaux (article 73).

22. L' application de ces principes n' est pas soumise à la condition préalable du rapprochement entre les législations nationales. Comme le fait remarquer l' avocat général M. Mancini dans ses conclusions sous l' arrêt Commission/France ("avoir fiscal"), "... les retards du législateur communautaire ne suspendent pas l' obligation faite aux États d' appliquer leurs régimes fiscaux de manière non discriminatoire" (27).

23. Vous avez, dans cet arrêt, affirmé le principe suivant:

"... l' absence d' une harmonisation des dispositions législatives des États membres en matière d' impôts sur les sociétés ne peut pas justifier la différence de traitement en question (fondée sur l' article 52 CEE)" (28).

24. La sécurité sociale, la fiscalité directe ou, par exemple, les conditions de délivrance des diplômes universitaires relèvent de la compétence des États membres. Ceux-ci n' en sont pas moins tenus d' adopter, en ces domaines, des réglementations respectueuses des grandes libertés définies par le droit communautaire.

25. Mais ce n' est que dans la mesure où ces réglementations ont un impact sur ces libertés qu' elles sont appréhendées par le droit communautaire.

26. Ainsi, toute réglementation fiscale qui introduirait une discrimination fondée sur la nationalité, que cette discrimination soit ostensible ou déguisée, devrait pouvoir être examinée à l' aune des articles 48, 52 ou 59.

27. Plus précisément, l' article 48, paragraphe 2, en prévoyant l'...

To continue reading

Request your trial
39 practice notes
  • Manfred Molenaar and Barbara Fath-Molenaar v Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 December 1997
    ...intellectual property (Joined Cases C-92/92 and C-326/92 Phil Collins and Others [1993] ECR I-5145, paragraph 22), or direct taxation (Case C-279/93 Schumacker [1995] ECR I-225, paragraph 21), etc. (32) - Romero cited in footnote 11. (33) - Case C-20/96 Snares [1997] ECR I-6057, paragraph 2......
  • European Commission v Republic of Hungary.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 December 2010
    ...por infundado. 2) Condene en costas a la Comisión Europea. 1 – Lengua original: inglés. 2 – Sentencia de 14 de febrero de 1995, Schumacker (C‑279/93, Rec. p. I‑225), apartado 34. 3 – Invocando, entre otras, la sentencia de 12 de julio de 2005, Schempp (C‑403/03, Rec. p. I‑6421), apartado 45......
  • Kingdom of the Netherlands v Commission of the European Communities.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 13 November 2001
    ...point 48), et du 6 mars 2001, Pays-Bas/Commission (C-278/98, Rec. p. I-1501, point 119). (38) - Arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 30); du 27 octobre 1998, Boyle e.a. (C-411/96, Rec. p. I-6401, point 39), et du 21 octobre 1999, Lewen (C-333/97, Rec. p. I-7......
  • Hans-Dieter Jundt and Hedwig Jundt v Finanzamt Offenburg.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 October 2007
    ...Walter Stauffer (C‑386/04, Rec. p. I‑8203), apartado 3 y la jurisprudencia citada. 16 – Sentencia de 14 de febrero de 1995, Schumacker (C‑279/93, Rec. p. I‑225); sentencia de 7 de septiembre de 2004, Manninen (C‑319/02, Rec. p. I‑7477); sentencia de 6 de marzo de 2007, Meilicke y otros (C‑2......
  • Request a trial to view additional results
149 cases
  • Commission of the European Communities v French Republic.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 September 1999
    ...las sentencias de 4 de octubre de 1991, Comisión/Reino Unido (C-246/89, Rec. p. I-4585), apartado 12; de 14 de febrero de 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225), apartado 21; de 11 de agosto de 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493), apartado 16; de 27 de junio de 1996, Asscher (C-107......
  • Presidente del Consiglio dei Ministri v Regione Sardegna.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 2 July 2009
    ...notamment, arrêt du 12 juin 2003, Gerritse (C‑234/01, Rec. p. I‑5933, point 28). Voir, également, arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, Rec. p. I‑225, points 28 et 29); du 23 janvier 1997, Pastoors et Trans-Cap (C‑29/95, Rec. p. I‑285, points 17 et 18); du 29 avril 1999, Ciola (C......
  • Fendt Italiana Srl v Agenzia Dogane - Ufficio Dogane di Trento.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 5 July 2007
    ...competencias en este ámbito respetando el Derecho comunitario (véanse, en este sentido, las sentencias de 14 de febrero de 1995, Schumacker, C‑279/93, Rec. p. I‑225, apartado 21, y de 29 de marzo de 2007, Rewe Zentralfinanz, C‑347/04, Rec. p. I‑0000, apartado 21 y la jurisprudencia citada).......
  • Manfred Molenaar and Barbara Fath-Molenaar v Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 December 1997
    ...intellectual property (Joined Cases C-92/92 and C-326/92 Phil Collins and Others [1993] ECR I-5145, paragraph 22), or direct taxation (Case C-279/93 Schumacker [1995] ECR I-225, paragraph 21), etc. (32) - Romero cited in footnote 11. (33) - Case C-20/96 Snares [1997] ECR I-6057, paragraph 2......
  • Request a trial to view additional results
1 books & journal articles
  • Las cláusulas anti-abuso en el contexto de la tensión entre interés fiscal y mercado común
    • European Union
    • Las cláusulas anti-abuso específicas tributarias frente a las libertades de circulación de la Unión Europea
    • 7 November 2010
    ...42, núm. 2, 2005, págs 340-341. [170] Conclusiones del Abogado General LÉGER, presentadas el 22 de noviembre de 1994, asunto Schumacker (C-279/93), ap. [171] POLANYI, K., The great transformation: the political and economic origins of our time. Boston, MA: Beacon Press, 2003, pág. 147. [172......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT