Deutsche Shell GmbH v Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:660
Docket NumberC-293/06
Celex Number62006CC0293
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date08 November 2007

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Eleanor Sharpston

présentées le 8 novembre 2007 (1)

Affaire C‑293/06

Deutsche Shell GmbH

contre

Finanzamt für Großunternehmen in Hamburg

[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Hamburg (Allemagne)]

«Liberté d’établissement – Impôt sur les sociétés – Perte de change subie par une société ayant son siège dans un État membre lors du rapatriement du capital de dotation accordé à un établissement stable établi dans un autre État membre»





1. En l’espèce, le Finanzgericht Hamburg (Allemagne) a demandé à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si la liberté d’établissement s’oppose à ce que l’État membre A traite une perte de change subie à l’occasion du rapatriement du capital de dotation octroyé par une société établie dans ledit État à un établissement stable de l’État membre B dont la devise est différente, comme s’il s’agissait d’une partie du bénéfice de ce dernier et exclue cette perte de change de la base d’imposition de la société dans l’État membre A, au titre d’une convention contre la double imposition, bien que cette perte de change ne puisse pas faire partie du bénéfice de l’établissement à calculer aux fins de l’imposition dans l’État membre B et ne puisse dès lors être prise en considération dans aucun des deux États membres.

Législation pertinente

2. Une société établie en République fédérale d’Allemagne est en principe soumise à l’impôt sur les sociétés en Allemagne au titre de son revenu mondial (2).

3. Conformément à la convention tendant à éviter la double imposition conclue en 1925 entre la République fédérale d’Allemagne et la République italienne, ce principe est tempéré en ce qui concerne les «revenus acquis grâce à l’activité» de l’établissement (3) italien d’une société allemande. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la convention de 1925, ce bénéfice n’est imposable qu’en Italie.

4. En droit allemand, une personne exonérée, au titre d’une convention contre la double imposition, de l’impôt sur les «revenus résultant de l’activité commerciale» d’une succursale étrangère peut déduire toute perte subie à l’occasion de l’acquisition de ces revenus dans la mesure où cette perte i) pourrait être déduite si les revenus n’étaient pas exonérés et ii) est supérieure aux revenus positifs ainsi exonérés (4).

5. Ce qu’il y a lieu de considérer comme revenu et comment celui‑ci doit être calculé est déterminé conformément à l’EStG (5). Cette législation prévoit que, «[l]orsque des dépenses présentent un lien économique direct avec des recettes exonérées, elles ne peuvent pas être déduites en tant que charges de l’entreprise pour déterminer la base imposable» (6).

Contexte de l’affaire au principal

6. Selon les faits décrits par la juridiction de renvoi, la partie requérante, Deutsche Shell GmbH (ci–après «Deutsche Shell»), est une société qui a son siège et son principal établissement en Allemagne. En 1974, Deutsche Shell a établi une succursale en Italie. Les résultats générés par cette succursale ont été intégrés, conformément à la loi italienne, dans un bilan commercial et fiscal dressé en devise italienne et, pour Deutsche Shell, dans un bilan commercial et fiscal allemand distinct.

7. Deutsche Shell a octroyé à sa succursale un capital de dotation qui a été porté en compte dans le bilan commercial et fiscal allemand distinct au cours du mark allemand applicable au moment des versements respectifs en lires italiennes. Pendant la durée d’existence de la succursale, le capital de dotation a été partiellement remboursé grâce au rapatriement de bénéfices qui ont été déduits du capital de dotation ajusté. Ces transactions ont été effectuées au cours historique de change entre la lire italienne et le mark allemand aux dates respectives de paiement des transactions.

8. Le 28 février 1992, après avoir transféré les actifs de sa succursale à une filiale détenue à 100 % (Sierra Gas Srl., ci-après «Sierra»), Deutsche Shell a fermé la succursale. Deutsche Shell a ensuite vendu les actions acquises grâce à ce transfert à une société italienne indépendante (Edison Gas S.p.A., ci-après «Edison»).

9. Cette transaction a été réalisée en lires italiennes. Le 17 juillet 1992, les avoirs réalisés sur la vente des actions à Edison ont été transférés à Deutsche Shell. Après conversion de lires italiennes en marks allemands, le montant total transféré s’élevait à 139 507 643 DEM (environ 71,3 millions d’euros). De ces fonds avant conversion, un montant de 83 658 896 927 ITL a été prélevé pour rembourser le capital de dotation restant dû. Après conversion au cours en vigueur le 17 juillet 1992 (1 000 ITL = 1,3372 DEM), ce montant s’est révélé se chiffrer à la somme de 111 868 677 DEM (environ 57 millions d’euros). Cette somme a été compensée avec les coûts d’acquisition historique du capital de dotation remboursé et il en est résulté une perte de change d’un montant de 122 698 502 DEM, (environ 62,7 millions d’euros).

10. Les bénéfices générés par le transfert de la succursale italienne à Sierra, et la vente des actions de celle-ci qui s’en est suivi, ont été taxés en Italie. Toutefois, comme ces transactions ont été réalisées en lires italiennes, la perte de change n’a pu être perçue et elle n’a donc pas été prise en considération pour déterminer la base imposable en Italie.

11. La partie requérante soutient que, sur le montant transféré de 139 507 643 DEM, la perte de change de 122 698 502 DEM devrait être prise en compte et déduite de ses bénéfices lors du calcul de l’impôt dû en Allemagne. Les autorités fiscales allemandes («Finanzamt») ont refusé cette déduction. Le litige a été porté devant le Finanzgericht Hamburg.

12. Le Finanzgericht a conclu que le Finanzamt avait correctement appliqué la convention de 1925, considéré du point de vue du droit national. Compte tenu des termes de cette convention et de son application habituelle en droit allemand, il a estimé qu’il n’était pas possible de tenir compte de la perte de change litigieuse de 122 698 502 DEM dans le calcul de l’impôt dû en Allemagne. En effet, la perte était née, bien qu’indirectement, «grâce à l’activité» de la succursale en Italie et était donc considérée comme faisant partie de ses «revenus». Par conséquent, elle ne pouvait être prise en considération à des fins fiscales que dans ce pays.

13. Le Finanzgericht nourrissait cependant quelques doutes quant à la compatibilité de son interprétation et de son application du droit avec le droit communautaire et, notamment, avec le principe de la liberté d’établissement consacré par l’article 43 CE. En conséquence, il a décidé de suspendre la procédure pendante devant lui et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1) Les dispositions combinées des articles 52 et 58 du traité CE (désormais articles 43 CE et 48 CE) s’opposent-elles à ce que la République fédérale d’Allemagne, en sa qualité d’État d’origine, traite une perte de change subie par la maison mère allemande à l’occasion du rapatriement du capital de dotation qu’elle avait accordé à un établissement stable italien comme s’il s’agissait d’une partie du bénéfice de celui-ci et exclue cette perte de change de la base d’imposition de l’impôt allemand en raison d’une exonération accordée sur le pied de l’article 3, paragraphes 1 et 3, et de l’article 11, point 1, sous c), de la convention contre la double imposition conclue avec l’Italie en 1925 bien que cette perte de change ne puisse pas rentrer dans le bénéfice de l’établissement stable à calculer aux fins de l’imposition italienne et ne soit dès lors prise en considération ni dans le pays d’origine ni dans l’État de l’établissement stable?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, c’est-à-dire si la perte de change susvisée doit effectivement être incluse dans la base d’imposition de l’impôt allemand, est-il incompatible avec les dispositions combinées des articles 52 et 58 du traité CE (désormais articles 43 CE et 48 CE) que cette perte de change ne puisse être déduite en tant que charge de l’entreprise que dans la mesure où aucun bénéfice n’est réalisé en franchise d’impôt dans l’établissement stable italien?»

Note sur les faits de l’espèce

14. Dans leurs observations, tant le Finanzamt que la République fédérale d’Allemagne ont contesté les faits décrits dans la décision de renvoi. Les circonstances de fait inhabituelles de l’espèce ont incité la Cour à demander à Deutsche Shell et au Finanzamt des détails supplémentaires concernant le rapatriement des bénéfices.

15. Le Finanzamt soutient que les faits, tels que décrits par Deutsche Shell, sont en grande partie fictifs, comme l’est d’ailleurs la perte de change elle-même. Les bénéfices rapatriés (taxés en Italie) représentaient un flux interne de paiements, effectués dans un souci de transparence. Le capital de dotation a simplement été absorbé dans le capital opérationnel de la succursale italienne. Comme il existait un compte de compensation interne, les sommes payées à la société mère n’étaient pas les mêmes que celles reçues en tant que capital de dotation.

16. La dévaluation de la lire italienne n’a pas entraîné de diminution de la valeur réelle des actifs et, par conséquent, la valeur interne du capital de dotation est restée constante lorsqu’elle était exprimée en marks allemands et fluctuait lorsqu’elle était exprimée en lires italiennes, et non l’inverse.

17. La République fédérale d’Allemagne fait valoir que Deutsche Shell cherche à compenser l’imposition de ses bénéfices de vente en Italie (soit un montant de 95 551 905 DEM de taxes) en opérant une déduction d’un montant correspondant de «pertes» soigneusement sélectionnées et entièrement fictives, subies en Allemagne (à concurrence de 122 698 502 DEM). Elle fait valoir que la requérante cherche à diviser, artificiellement, les bénéfices retirés de la vente de l’établissement italien en en affectant une partie au...

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