Opinion of Advocate General Hogan delivered on 1 October 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:802
Celex Number62014CC0274
CourtCourt of Justice (European Union)
Date01 October 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 1er octobre 2019 (1)

Affaire C274/14

Banco de Santander SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal-Económico Administrativo Central (tribunal administratif économique central, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Aide d’État – Régime fiscal – Impôt sur les sociétés – Déduction – Amortissement de la survaleur résultant de prises de participations d’au moins 5 % par des entreprises fiscalement domiciliées en Espagne dans des entreprises fiscalement domiciliées en dehors de cet État membre – Article 267 TFUE – Recevabilité du renvoi préjudiciel – Notion de “juridiction nationale” – Indépendance – Incompétence de la Cour »






I. Introduction

1. Dans ses conclusions présentées le 7 octobre 1999 dans les affaires jointes Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:1999:489), l’avocat général Saggio a conclu qu’une juridiction espagnole, le Tribunal Económico-Administrativo Regional de Cataluña (tribunal économique administratif régional de Catalogne, Espagne) n’était pas une juridiction aux fins de l’article 177 du traité CE (devenu article 267 TFUE) (2). Il est parvenu à cette conclusion parce qu’il n’était pas convaincu que le tribunal économique administratif régional de Catalogne puisse être considéré comme suffisamment indépendant pour satisfaire aux exigences posées par la Cour, il a conclu qu’il ne pouvait être considéré comme une juridiction au sens de l’actuel article 267 TFUE.

2. À cette fin, l’avocat général Saggio a souligné les liens structurels étroits qui unissaient le tribunal administratif régional de Catalogne au ministère espagnol de l’Économie et des Finances (3) ainsi que le fait que le président et les membres dudit Tribunal étaient des « fonctionnaires de l’administration, nommés par le ministre » (4). Il a également fait remarquer que le ministre avait le pouvoir de révoquer les membres du Tribunal, pouvoir « qui ne semble par ailleurs pas lié à des hypothèses prévues de manière claire et limitative par la loi » (5).

3. Or, dans son arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:2000:145), la Cour a marqué son désaccord avec les conclusions de l’avocat général Saggio. Elle a conclu qu’il existait une « séparation fonctionnelle entre, d’une part, les services de l’administration fiscale chargés de la gestion, du recouvrement et de la liquidation » des impôts et, d’autre part, le tribunal économique administratif régional de Catalogne, qui statuait « sur les réclamations introduites contre les décisions prises par lesdits services sans recevoir aucune instruction de l’administration fiscale » (6).

4. Le droit de l’Union n’est pas resté figé depuis le prononcé de l’arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:2000:145). L’article 2 TUE prévoit désormais que l’Union est fondée sur la valeur du respect de l’État de droit. L’article 19, paragraphe 2, TUE dispose que les juges et les avocats généraux de la Cour de justice « sont choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance ». L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») garantit un recours effectif et le droit d’être entendu devant « un tribunal indépendant et impartial ».

5. Dans la lignée de ces évolutions des traités et de la Charte, la Cour a par la suite élaboré une impressionnante jurisprudence relative aux exigences de l’indépendance des juges. Cette jurisprudence contemporaine est en grande partie résumée par la Cour dans son arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117).

6. Dans cet arrêt, la Cour souligne que l’indépendance des juridictions nationales est essentielle « au bon fonctionnement du système de coopération judiciaire qu’incarne le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE » (7). La Cour résume ensuite admirablement la substance de ces exigences d’indépendance des juges en ces termes :

« L’indépendance des juridictions nationales est, en particulier, essentielle au bon fonctionnement du système de coopération judiciaire qu’incarne le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE, en ce que […] ce mécanisme ne peut être activé que par une instance, chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui répond, notamment, à ce critère d’indépendance.

La notion d’“indépendance” suppose, notamment, que l’instance concernée exerce ses fonctions juridictionnelles en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, et qu’elle soit ainsi protégée d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions […].

Or, tout comme l’inamovibilité des membres de l’instance concernée (voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, EU:C:2006:587, point 51), la perception par ceux‑ci d’un niveau de rémunération en adéquation avec l’importance des fonctions qu’ils exercent constitue une garantie inhérente à l’indépendance des juges. » (8)

II. Contexte du renvoi préjudiciel

7. La présente demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Económico‑Administrativo Central (tribunal administratif économique central, ci‑après le « TEAC ») de Madrid par décision du 2 avril 2014 et parvenue au greffe de la Cour le 5 juin 2014, met tout cela en exergue. Bien que le présent renvoi concerne le TEAC, des organes similaires siègent également dans les différentes communautés autonomes d’Espagne. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:2000:145), il se trouvait que le renvoi préjudiciel venait du tribunal économique administratif régional de Catalogne, mais il est en l’occurrence indifférent que le tribunal économique administratif siège au niveau national à Madrid (comme en l’espèce) ou dans une communauté autonome [comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:2000:145)].

8. Le renvoi préjudiciel dans la présente affaire concerne principalement l’interprétation de la décision 2011/5/CE de la Commission du 28 octobre 2009 (qui traite des aspects relevant des aides d’État d’un régime fiscal espagnol spécial prévoyant l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères) telle qu’appliquée par le Royaume d’Espagne (9). Le renvoi soulève également la validité de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE concernant l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN, ex 12/CP) – amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères (10) et de la décision (UE) 2015/314 de la Commission du 15 octobre 2014 relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne – Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères [notifiée sous le numéro C(2014) 7280] (11).

9. Le renvoi préjudiciel trouve son origine dans un recours formé par Banco de Santander devant le TEAC contre un avis d’imposition établi par l’inspection fiscale espagnole. Cet avis est intervenu à la suite de l’acquisition par Banco de Santander, en mai 2002, de 100 % des actions d’une société allemande, AKB, pour un montant de 1 099 999 999 euros. Quelque six mois plus tard, Banco de Santander a cédé les actions d’AKB à deux sociétés liées. Banco de Santander a finalement fait valoir que la survaleur financière liée à cette opération pouvait être amortie en vertu des avantages fiscaux prévus par la législation fiscale espagnole.

10. Il n’est pas nécessaire, pour ce qui nous occupe, d’examiner en détail le fond du renvoi préjudiciel ni, au demeurant, l’historique plutôt enchevêtrée de la présente procédure de renvoi, puisqu’elle est restée suspendue depuis la saisine initiale en 2014 en raison de l’existence d’une multitude d’autres procédures dans lesquelles la légalité de la décision 2011/5 a été contestée devant le Tribunal et la Cour, notamment dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981) (12). Je relève par ailleurs que la légalité de la décision 2015/314 est elle aussi actuellement contestée devant le Tribunal (13).

III. Compétence de la Cour

11. La raison pour laquelle je n’ai que légèrement esquissé le fond du renvoi préjudiciel et l’historique de la procédure jusqu’à présent est qu’une seule question se pose en l’espèce devant la Cour, celle de savoir si le TEAC est une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.

12. Dans sa demande de décision préjudicielle, le TEAC indique que les tribunaux économiques administratifs sont des juridictions aux fins de l’article 267 TFUE, car elles satisfont aux conditions énoncées dans la jurisprudence de la Cour. Le TEAC affirme que cette thèse est confirmée par l’arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:2000:145). Il convient de relever que, au point 38 de son arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), la Cour note que, au nombre des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation de la qualité de « juridiction », figurent l’origine légale de l’organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organe, des règles de droit ainsi que son indépendance. Dans ses observations, la Commission a émis des doutes quant à l’indépendance du TEAC. Par décision du 30 avril 2019, la Cour a décidé que la question de sa compétence pour répondre aux questions posées par le TEAC devrait être examinée dans...

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