Graham J. Wilson v Ordre des avocats du barreau de Luxembourg.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:587
Docket NumberC-506/04
Celex Number62004CJ0506
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date19 September 2006

Affaire C-506/04

Graham J. Wilson

contre

Ordre des avocats du barreau de Luxembourg

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour administrative)

«Liberté d'établissement — Directive 98/5/CE — Exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise — Conditions d'inscription auprès de l'autorité compétente de l'État membre d'accueil — Contrôle préalable de la connaissance des langues de l'État membre d'accueil — Recours juridictionnel de droit interne»

Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 11 mai 2006

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 19 septembre 2006

Sommaire de l'arrêt

1. Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Avocats — Exercice permanent de la profession dans un État membre autre que celui d'acquisition de la qualification — Directive 98/5

(Directive du Parlement européen et du Conseil 98/5, art. 9, al. 2)

2. Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Avocats — Exercice permanent de la profession dans un État membre autre que celui d'acquisition de la qualification — Directive 98/5

(Directive du Parlement européen et du Conseil 98/5, art. 3, 4 et 5, § 3)

1. L'article 9 de la directive 98/5, visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise, qui dispose que les décisions de l'autorité compétente de l'État membre d'accueil refusant l'inscription d'un avocat qui souhaite y exercer ses activités sous son titre professionnel d'origine doivent être susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, s'oppose à une procédure de recours dans le cadre de laquelle une telle décision doit être contestée, en premier degré, devant un organe composé exclusivement d'avocats exerçant sous le titre professionnel de l'État membre d'accueil et, en appel, devant un organe composé majoritairement de tels avocats, alors que le pourvoi en cassation devant la juridiction suprême de cet État membre ne permet un contrôle juridictionnel qu'en droit et non en fait.

En effet, afin que soit garantie une protection juridictionnelle effective des droits prévus par la directive 98/5, l'instance appelée à connaître de tels recours doit correspondre à la notion de juridiction au sens défini par le droit communautaire et remplir un certain nombre de critères, tels que l'origine légale, la permanence, le caractère obligatoire de la saisine, la nature contradictoire de la procédure et l'application des règles de droit, ainsi que l'indépendance et l'impartialité.

À cet égard, la notion d'indépendance, qui est inhérente à la mission de juger, implique avant tout que l'instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l'autorité qui a adopté la décision frappée d'un recours. Par ailleurs, la notion d'indépendance suppose, d'une part, que l'instance soit protégée d'interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril l'indépendance de jugement de ses membres quant aux litiges qui leur sont soumis. D'autre part, elle rejoint la notion d'impartialité et vise l'égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l'objet de celui-ci. Ces garanties d'indépendance et d'impartialité postulent l'existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l'instance, qui permettent d'écarter tout doute légitime, dans l'esprit des justiciables, quant à l'imperméabilité de ladite instance à l'égard d'éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s'affrontent.

Enfin, l'article 9 de la directive 98/5, s'il n'exclut pas l'exercice préalable d'un recours devant un organe de nature non juridictionnelle, ne prévoit pas non plus que la voie juridictionnelle puisse n'être ouverte à l'intéressé qu'après l'épuisement éventuel de voies de recours d'une autre nature. En tout état de cause, dans l'hypothèse où un recours devant un organe non juridictionnel est prévu par la législation nationale, ledit article 9 exige l'accès effectif et dans un délai raisonnable à une juridiction au sens du droit communautaire, compétente pour statuer tant en fait qu'en droit.

(cf. points 44, 47-53, 60-62, disp. 1)

2. L'article 3 de la directive 98/5, visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise, s'oppose à ce qu'un État membre subordonne à un contrôle préalable de connaissances linguistiques l'inscription auprès de l'autorité nationale compétente des avocats qui ont acquis leur qualification dans un autre État membre et qui veulent exercer sous leur titre professionnel d'origine.

En effet, le législateur communautaire a procédé, à cet article, à une harmonisation complète des conditions préalables requises pour l'usage du droit conféré par la directive 98/5, en prévoyant la présentation à l'autorité compétente de l'État membre d'accueil d'une attestation d'inscription auprès de l'autorité compétente de l'État membre d'origine comme l'unique condition à laquelle doit être subordonnée l'inscription de l'intéressé dans l'État membre d'accueil lui permettant d'y exercer sous son titre professionnel d'origine.

Le législateur communautaire, en vue de faciliter l'exercice de la liberté fondamentale d'établissement d'une catégorie déterminée d'avocats migrants, s'est ainsi abstenu d'opter pour un système de contrôle a priori des connaissances des intéressés.

Toutefois, cette renonciation à un système de contrôle préalable des connaissances, notamment linguistiques, de l'avocat européen est assortie, dans la directive 98/5, d'une série de règles visant à assurer, à un niveau acceptable dans la Communauté, la protection des justiciables et une bonne administration de la justice.

(cf. points 65-67, 69, 71, 77, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

19 septembre 2006 (*)

«Liberté d’établissement – Directive 98/5/CE – Exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise – Conditions d’inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’accueil – Contrôle préalable de la connaissance des langues de l’État membre d’accueil – Recours juridictionnel de droit interne»

Dans l’affaire C-506/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour administrative (Luxembourg), par décision du 7 décembre 2004, parvenue à la Cour le 9 décembre 2004, dans la procédure

Graham J. Wilson

contre

Ordre des avocats du barreau de Luxembourg,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans et A. Rosas, présidents de chambre, MM. J.‑P. Puissochet, R. Schintgen, K. Lenaerts (rapporteur), E. Juhász, E. Levits, A. Ó Caoimh et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mars 2006,

considérant les observations présentées:

– pour M. Wilson, par Me L. Lorang, avocat, M. C. Vajda, QC, et Mme V. Sloane, barrister,

– pour l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg, par Mes C. Ossola et C. Kaufhold, avocats,

– pour le gouvernement luxembourgeois, par M. S. Schreiner, en qualité d’agent, assisté de Me L. Dupong, avocat,

– pour le gouvernement français, par Mme C. Bergeot-Nunes et M. G. de Bergues, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. A. Cingolo, avvocato dello Stato,

– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme R. Caudwell, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Demetriou, barrister,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. A. Bordes et H. StØvlbæk, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 mai 2006,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO L 77, p. 36).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige né du refus du conseil de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg (ci-après le «conseil de l’ordre») d’inscrire M. Wilson, ressortissant du Royaume-Uni, au tableau des avocats de l’ordre de Luxembourg.

Le cadre juridique

La directive 98/5

3 Aux termes de l’article 2, premier alinéa, de la directive 98/5:

«Tout avocat a le droit d’exercer à titre permanent, dans tout autre État membre, sous son titre professionnel d’origine, les activités d’avocat telles que précisées à l’article 5.»

4 L’article 3 de la directive 98/5, intitulé «Inscription auprès de l’autorité compétente», dispose:

«1. L’avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle est tenu de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de cet État membre.

2. L’autorité compétente de l’État membre d’accueil procède à l’inscription de l’avocat au vu de l’attestation de son inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine. Elle peut exiger que cette attestation délivrée par l’autorité compétente de l’État membre d’origine n’ait pas, lors de sa production, plus de trois mois de date. Elle informe l’autorité compétente de l’État membre d’origine de cette inscription.

[…]»

5 L’article 5 de la directive 98/5, intitulé «Domaine d’activité», énonce:

«1. Sous réserve des paragraphes 2 et 3, l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine pratique les mêmes activités professionnelles que l’avocat exerçant sous le titre professionnel approprié de l’État membre d’accueil et peut notamment donner des consultations juridiques dans le droit de son État membre d’origine, en...

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