S. Z. Sevince v Staatssecretaris van Justitie.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1990:205
Date15 May 1990
Celex Number61989CC0192
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-192/89
EUR-Lex - 61989C0192 - FR 61989C0192

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 15 mai 1990. - S. Z. Sevince contre Staatssecretaris van Justitie. - Demande de décision préjudicielle: Raad van State - Pays-Bas. - Accord d'association CEE-Turquie - Décision du Conseil d'association - Effet direct. - Affaire C-192/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-03461
édition spéciale suédoise page 00507
édition spéciale finnoise page 00529


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Par arrêt du 1er juin 1989, le Raad van State vous a posé trois questions préjudicielles concernant des dispositions contenues dans des décisions du conseil d' association CEE-Turquie, instance mise en place par l' accord d' association CEE-Turquie ( 1 ). Ces questions se rapportent à un litige opposant M . Sevince, ressortissant turc, au Staatssecretaris van Justitie des Pays-Bas .

2 . M . Sevince, qui avait obtenu, le 22 février 1979, un permis de séjour aux Pays-Bas en raison de son mariage avec une compatriote qui y résidait, s' est vu refuser le 11 septembre 1980, par le Staatssecretaris van Justitie, une demande de prorogation de la validité de son permis . Ce refus était motivé par la séparation intervenue entre les époux Sevince . La demande de révision formée par M . Sevince ainsi que son recours contre la décision implicite de rejet de cette demande, porté devant le Raad van State, ont entraîné la suspension des effets du refus de prorogation du permis de séjour . Dans la législation néerlandaise, un tel effet suspensif existe de plein droit en cas de recours ( 2 ). Après le rejet, suivant un arrêt rendu le 12 juin 1986 par le Raad van State, de son recours, M . Sevince a demandé, le 13 avril 1987, un permis de séjour au Staatssecretaris van Justitie en indiquant comme motif l' exercice d' une activité salariée et en se fondant sur une disposition des décisions n°s 2/76 et 1/80 du conseil d' association CEE-Turquie aux termes de laquelle le travailleur turc appartenant au marché régulier de l' emploi d' un État membre y bénéficie, après une certaine durée d' emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix . Il importe de noter que, selon M . Sevince, les périodes de travail salarié accomplies en vertu de l' autorisation délivrée par le ministre des Affaires sociales pendant que l' effet de la non-prorogation de son permis de séjour était suspendu jusqu' au jugement définitif de son recours sont à prendre en compte dans la durée d' emploi régulier au sens des décisions précitées .

3 . Saisi par M . Sevince d' un recours contre la décision de refus opposée par le Staatssecretaris van Justitie à sa demande du 13 avril 1987, le Raad van State est amené à vous interroger sur la portée et le sens de dispositions des décisions n°s 2/76 et 1/80 . En substance, cette haute juridiction vous demande d' abord si les dispositions en cause desdites décisions sont des normes dont l' interprétation relève de votre compétence par application de l' article 177 du traité CEE, dans l' affirmative si elles sont directement applicables dans les États membres de la CEE, en pareil cas si la notion d' emploi régulier qu' elles visent se réfère exclusivement à une situation régulière au regard de la législation sur l' emploi des étrangers, ou bien également à la possession d' un titre de séjour .

I - Sur la première question préjudicielle

4 . La première question, nous semble-t-il, ne soulève pas de réelle difficulté . Ainsi que l' ont relevé, à l' audience, le gouvernement néerlandais et la Commission, votre arrêt Grèce/Commission du 14 novembre 1989 ( 3 ) paraît avoir dissipé les doutes qui pouvaient encore éventuellement subsister quant à la compétence de la Cour pour interpréter, au titre de l' article 177, les décisions en cause du conseil d' association CEE-Turquie .

5 . Quels sont les enseignements de votre arrêt? Vous avez d' abord rappelé que, selon une jurisprudence constante, illustrée en dernier lieu par l' arrêt Demirel du 30 septembre 1987 ( 4 ), précisément relatif à l' accord d' association CEE-Turquie,

"les dispositions d' un accord conclu par le Conseil, conformément aux articles 228 et 238 du traité, forment partie intégrante, à partir de l' entrée en vigueur de l' accord, de l' ordre juridique communautaire" ( 5 ).

Vous avez ensuite indiqué que,

"pour la réalisation des objectifs fixés par l' accord d' association CEE-Turquie et dans les cas prévus par celui-ci, l' article 22 de cet accord confère un pouvoir de décision au conseil d' association ".

S' agissant, alors, de la décision n° 2/80 du conseil d' association, déterminant les conditions pour la mise en oeuvre de l' aide à la Turquie, vous avez considéré qu' elle avait été placée, par ledit conseil, dans le cadre institutionnel de l' association et que,

"du fait de son rattachement direct à l' accord d' association",

la décision n° 2/80 faisait

"partie intégrante, à partir de son entrée en vigueur, de l' ordre juridique communautaire" ( 6 ).

6 . Nous estimons que les actes du conseil d' association visés dans la présente affaire, à savoir les décisions n°s 2/76 et 1/80, sont justiciables de la même analyse et prennent place dans l' ordre juridique communautaire . En effet, les dispositions en cause de ces décisions, qui concernent la situation des travailleurs turcs appartenant au marché régulier de l' emploi d' un État membre, sont liées aux objectifs fixés par l' article 12 de l' accord d' association, selon lequel les parties contractantes sont convenues de s' inspirer des articles 48, 49 et 50 du traité CEE pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles, et par l' article 36 du protocole additionnel ( 7 ), qui prévoit que la libre circulation sera réalisée graduellement entre la fin de la douzième année et la vingt-deuxième année après l' entrée en vigueur de l' accord d' association . Le deuxième considérant de la décision n° 2/76 précise que les dispositions précitées de l' accord et du protocole impliquent que les États membres de la Communauté et la Turquie s' accordent une priorité pour l' accès de leurs travailleurs à leurs marchés respectifs de l' emploi . Comme l' indique le troisième considérant de la même décision, les dispositions de celle-ci représentent la mise en oeuvre de ce principe dans le cadre d' une première étape . La deuxième étape a été concrétisée par les dispositions sociales de la décision n° 1/80 .

7 . On constate ainsi que les décisions n°s 2/76 et 1/80 se rattachent directement à l' accord d' association et à son protocole additionnel . Nous ne voyons pas ce qui conduirait à ne pas en tirer les mêmes conséquences que pour la décision n° 2/80, à savoir l' appartenance à l' ordre juridique communautaire . En particulier, on ne saurait objecter que, pour la matière de la libre circulation des travailleurs, les décisions n°s 2/76 et 1/80 resteraient en dehors de l' ordre juridique communautaire en raison de ce qu' il appartiendrait aux États membres d' édicter les règles d' exécution nécessaires . L' arrêt Demirel a, en effet, rappelé, en se référant à votre arrêt Kupferberg du 26 octobre 1982 ( 8 ), que,

"en assurant le respect des engagements découlant d' un accord conclu par les institutions communautaires, les États membres remplissent, dans l' ordre communautaire, une obligation envers la Communauté qui a assumé la responsabilité pour la bonne exécution de l' accord" ( 9 ),

et il en a tiré la conclusion que la Cour avait bien compétence pour interpréter les dispositions de l' accord d' association CEE-Turquie et du protocole relatives à la libre circulation des travailleurs . Aussi estimons-nous que la matière sur laquelle portent les dispositions en cause des décisions n°s 2/76 et 1/80 n' est nullement exclusive de leur appartenance à l' ordre juridique communautaire et, par voie de conséquence, de la compétence de votre Cour pour les interpréter .

8 . Votre jurisprudence établit clairement, en effet, que la compétence de la Cour pour interpréter les dispositions d' un accord conclu par le Conseil se déduit immédiatement de ce que ces dernières font partie de l' ordre juridique communautaire . L' arrêt Demirel s' est expressément référé sur ce point à votre arrêt du 30 avril 1974, Haegeman ( 10 ), pour conclure dans le sens précédemment indiqué . La compétence de la Cour pour interpréter les dispositions en cause des décisions n°s 2/76 et 1/80 se déduit pareillement de ce qu' elles font partie, à compter de leur entrée en vigueur, de l' ordre juridique communautaire . Nous vous suggérons, en conséquence, de répondre affirmativement à la première question du Raad van State .

II - Sur la deuxième question préjudicielle

9 . La deuxième question préjudicielle amène à déterminer si les dispositions en cause des décisions n°s 2/76 et 1/80 sont directement applicables sur le territoire des États membres . Elle a donné lieu aux développements les plus importants dans le cadre de la procédure écrite ainsi qu' à l' audience . Si la partie Sevince et la Commission estiment qu' il y a lieu d' y apporter une réponse positive, les gouvernements des Pays-Bas et de la République fédérale d' Allemagne sont d' un avis contraire .

10 . S' agissant, ici, de dispositions qui ne prennent place ni dans un traité communautaire ni dans un acte "classique" d' une institution communautaire, mais qui résultent de décisions émanant d' une instance mise en place suivant un accord conclu par la Communauté avec un pays tiers, il convient, tout d' abord, de préciser les principes auxquels se référer afin de savoir si elles sont, ou non, directement applicables .

11 . Dans votre arrêt Demirel, vous avez indiqué, selon une formulation de caractère général :

"Une disposition d' un accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant d' application...

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