Stefano Melloni v Ministerio Fiscal.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:600
Docket NumberC-399/11
Celex Number62011CC0399
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date02 October 2012
62011CC0399

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 2 octobre 2012 ( 1 )

Affaire C‑399/11

Procédure pénale

contre

Stefano Melloni

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Constitucional (Espagne)]

«Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Mandat d’arrêt européen — Procédures de remise entre États membres — Décisions rendues à l’issue d’un procès auquel l’intéressé n’a pas comparu en personne — Exécution d’une peine prononcée par défaut — Possibilité de révision du jugement — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 53»

1.

Le présent renvoi préjudiciel invite la Cour à interpréter et, le cas échéant, à apprécier la validité de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ( 2 ), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 ( 3 ), renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès. Il invite également la Cour à préciser, pour la première fois, la portée de l’article 53 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

2.

La présente affaire constitue une bonne illustration de la manière dont il convient d’envisager la coexistence des différents instruments de protection des droits fondamentaux. Elle trouve son origine dans une jurisprudence du Tribunal Constitucional (Espagne) en vertu de laquelle l’exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécuter un jugement par défaut doit toujours être subordonnée à la condition que la personne condamnée puisse bénéficier d’une nouvelle procédure de jugement dans l’État membre d’émission. Or, l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre prévoit, notamment, que, lorsqu’une telle personne a eu connaissance du procès prévu et qu’elle a donné mandat à un avocat de la représenter pour la défendre lors de ce procès, la remise ne peut pas être subordonnée à une condition de ce type.

3.

Par les trois questions qu’il a décidé de poser à la Cour, le Tribunal Constitucional invite celle-ci à évaluer les différentes voies susceptibles de lui permettre de maintenir sa jurisprudence, y compris dans le cadre de la mise en œuvre de la décision-cadre. Plusieurs pistes devront ainsi être explorées.

4.

Ainsi, l’application générale de la condition selon laquelle l’exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécuter un jugement par défaut requiert que la personne condamnée puisse bénéficier d’une nouvelle procédure de jugement dans l’État membre d’émission peut-elle découler d’une interprétation du libellé, de l’économie et des objectifs de l’article 4 bis de la décision-cadre?

5.

Si tel n’est pas le cas, cet article est-il compatible avec les articles 47, deuxième alinéa, et 48, paragraphe 2, de la Charte, qui garantissent à l’accusé, respectivement, le droit à un procès équitable et le respect des droits de la défense? En outre, le droit de l’Union doit-il accorder à ces droits fondamentaux une protection plus étendue en comparaison avec le niveau de protection qui leur est garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des garanties fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»)?

6.

Dans le cas où l’examen des deux premières questions révélerait que l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre, confronté aux articles 47, deuxième alinéa, et 48, paragraphe 2, de la Charte, s’oppose à ce que le Tribunal Constitucional maintienne sa jurisprudence dans le domaine relatif au mandat d’arrêt européen, l’article 53 de la Charte lui offre-t-il une telle possibilité?

I – Le cadre juridique

A – Le droit primaire de l’Union

7.

L’article 47, deuxième alinéa, de la Charte dispose:

«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.»

8.

Aux termes de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte:

«Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé.»

9.

Selon l’article 52, paragraphe 3, de la Charte:

«Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.»

10.

L’article 53 de la Charte énonce ce qui suit:

«Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, ou tous les États membres, et notamment la [CEDH], ainsi que par les constitutions des États membres.»

B – Le droit dérivé de l’Union

11.

L’article 1er de la décision-cadre dispose:

«[…]

2. Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3. La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne.»

12.

Aux termes de l’article 5 de la décision-cadre 2002/584:

«L’exécution du mandat d’arrêt européen par l’autorité judiciaire d’exécution peut être subordonnée par le droit de l’État membre d’exécution à l’une des conditions suivantes:

1)

lorsque le mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté prononcées par une décision rendue par défaut et si la personne concernée n’a pas été citée à personne ni autrement informée de la date et du lieu de l’audience qui a mené à la décision rendue par défaut, la remise peut être subordonnée à la condition que l’autorité judiciaire d’émission donne des assurances jugées suffisantes pour garantir à la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen qu’elle aura la possibilité de demander une nouvelle procédure de jugement dans l’État membre d’émission et d’être jugée en sa présence;

[…]»

13.

Aux termes de l’article 2, point 2, de la décision-cadre 2009/299:

«À l’article 5 [de la décision-cadre 2002/584], le paragraphe 1 est supprimé.»

14.

En remplacement de cette disposition supprimée, l’article 2, point 1, de la décision-cadre 2009/299 introduit un article 4 bis dans la décision-cadre 2002/584.

15.

Comme l’indique l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2009/299, celle-ci a pour objectifs «de renforcer les droits procéduraux des personnes faisant l’objet d’une procédure pénale, tout en facilitant la coopération judiciaire en matière pénale et en particulier en améliorant la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires entre les États membres».

16.

L’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2009/299 dispose, en outre, que «[l]a présente décision-cadre n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité, y compris le droit de la défense des personnes faisant l’objet d’une procédure pénale, ni celle de les faire respecter par les autorités judiciaires des États membres».

17.

L’article 4 bis de la décision-cadre est rédigé comme suit:

«1. L’autorité judiciaire d’exécution peut également refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, si l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sauf si le mandat d’arrêt européen indique que l’intéressé, conformément aux autres exigences procédurales définies dans la législation nationale de l’État membre d’émission:

a)

en temps utile,

i)

soit a été cité à personne et a ainsi été informé de la date et du lieu fixés pour le procès qui a mené à la décision, soit a été informé officiellement et effectivement par d’autres moyens de la date et du lieu fixés pour ce procès, de telle sorte qu’il a été établi de manière non équivoque qu’il a eu connaissance du procès prévu;

et

ii)

a été informé qu’une décision pouvait être rendue en cas de non-comparution;

ou

b)

ayant eu connaissance du procès prévu, a donné mandat à un conseil juridique, qui a été désigné soit par l’intéressé soit par l’État, pour le défendre au procès, et a été effectivement défendu par ce conseil pendant le procès;

ou

c)

après s’être vu signifier la décision et avoir été expressément informé de son droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale:

i)

a indiqué expressément qu’il ne contestait pas la décision;

ou

ii)

n’a pas demandé une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel dans le...

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