Rewe Zentralfinanz eG v Finanzamt Köln-Mitte.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:350
Docket NumberC-347/04
Celex Number62004CC0347
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date31 May 2006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 31 mai 2006 (1)

Affaire C‑347/04

Rewe Zentralfinanz eG, ayant droit à titre universel d’ITS Reisen GmbH

contre

Finanzamt Köln‑Mitte

[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Köln (Allemagne)]

«Législation fiscale – Impôt sur les sociétés – Compensation des pertes par les sociétés mères – Pertes dues à la dépréciation de la valeur des parts détenues dans des sociétés filiales établies dans d’autres États membres»





1. Les affaires relatives aux systèmes nationaux de traitement fiscal des pertes et dépenses des sociétés appartenant à un groupe transnational soulèvent, dans le cadre communautaire, des questions nouvelles et délicates (2). Ces questions tournent autour du point de savoir si ces systèmes sont compatibles avec les principes du traité CE destinés à assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Chacune de ces affaires soulève des problèmes spécifiques et doit faire, par conséquent, l’objet d’un examen particulier. En même temps, il importe de fixer sur ce point une jurisprudence claire et constante.

2. La Cour a eu récemment l’occasion de juger, dans l’affaire Marks & Spencer (3), de la compatibilité avec le droit communautaire du système britannique dit de «dégrèvement de groupe» autorisant, sous certaines conditions, une société mère à déduire de son bénéfice imposable les pertes subies par ses filiales. Il s’agit à présent de se prononcer, au regard des libertés d’établissement et de mouvements de capitaux, sur une disposition de la législation allemande relative à l’impôt sur le revenu qui restreint, dans le chef d’une société mère résidente en Allemagne, les possibilités de déduction fiscale des pertes résultant de l’amortissement sur la valeur des participations dans les filiales de cette société établies dans d’autres États membres.

I – Contexte juridique et factuel

3. L’affaire trouve son origine dans les faits suivants. Par un contrat conclu le 6 mars 1995, le groupe Kaufhof a cédé ITS Reisen GmbH (ci‑après «ITS»), une société du groupe dont l’objet social concerne des activités de tourisme, à la société Rewe Zentralfinanz eG (ci‑après «Rewe»). Rewe ayant acquis, par l’effet d’un contrat de fusion, le patrimoine d’ITS, elle est devenue l’ayant droit à titre universel de cette dernière.

4. Or, en 1989, ITS avait créé aux Pays‑Bas une filiale, Kaufhof‑ Tourism Holdings BV (ci‑après «KTH»), dont elle détenait l’intégralité des parts sociales. Dans ce même État membre, celle‑ci a créé une société de participation, International Tourism Investment Holding BV (ci‑après «ITIH»), dont elle détenait 100 % des parts. En outre, ITIH a acquis des participations dans deux sociétés en Belgique ainsi que dans une société au Royaume‑Uni et dans une société en Espagne.

5. La matière de l’imposition des sociétés est régie, en Allemagne, par la loi sur l’impôt des sociétés (Körperschaftsteuergesetz, ci‑après le «KStG»), laquelle renvoie aux dispositions pertinentes de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, ci‑après l’«EStG»). Aux termes de l’article 1er du KStG, les sociétés résidentes en Allemagne sont imposées sur l’ensemble de leurs bénéfices mondiaux. Le bénéfice imposable résulte, en principe, de la différence entre le capital d’exploitation de l’entreprise à la fin de l’année d'exploitation et le capital d’exploitation à la fin de l’année d’exploitation précédente. En cas de pertes excédentaires, celles‑ci sont susceptibles de faire l’objet d’une anticipation ou d’un report sur d’autres exercices fiscaux, conformément à l’article 10 d de l’EStG. En outre, l’article 6 de l’EStG permet de tenir compte notamment, au titre de dépenses d’exploitation déductibles du bénéfice imposable, des amortissements sur la valeur partielle inférieure de participations. Ces dépenses correspondent, en fait, à une évaluation de la baisse du prix d’acquisition de la participation dans une société en raison des pertes persistantes subies par celle‑ci.

6. Au cours des exercices fiscaux des années 1993 et 1994, ITS a procédé à des amortissements partiels sur la valeur comptable de sa participation dans KTH et à des ajustements de valeur sur des créances concernant les filiales britannique et espagnole d’ITIH. Ces opérations représentent, pour l’année 1993, des charges d’un montant de 14 342 499 DEM et, pour l’année 1994, des charges d’un montant de 32 332 144 DEM, soit un total de plus de 46 millions DEM.

7. Cependant, le Finanzamt Köln‑Mitte (bureau des contributions de Cologne‑Centre) a refusé de prendre en compte ces charges au titre de recettes négatives dans la détermination du bénéfice imposable de Rewe au cours des deux années litigieuses au motif que l’article 2 a, paragraphes 1 et 2, de l’EStG s’y opposait.

8. En effet, cette disposition, intitulée «Recettes négatives ayant un lien avec l’étranger», prévoit:

«1) Les recettes négatives

[…]

2. provenant d’un établissement industriel ou commercial situé dans un État étranger,

3. a) provenant de la prise en compte de la valeur partielle inférieure d’une participation, faisant partie des actifs d’exploitation, dans une personne n’ayant ni sa direction ni son siège à l’intérieur du pays (personne morale étrangère), […]

[…]

ne peuvent être compensées qu’avec des recettes positives de même nature provenant du même État […]; elles ne peuvent donc pas non plus être déduites au titre de l’article 10 d. Les diminutions du bénéfice sont assimilées aux recettes. Dans la mesure où les recettes négatives ne peuvent être compensées en application de la première phrase, elles viennent en déduction des recettes positives de même nature que le redevable réalise au cours des années d’imposition dans le même État. […]

2) Le paragraphe 1, première phrase, point 2, n’est pas applicable si le redevable établit que les recettes négatives émanent d’un établissement industriel ou commercial à l’étranger ayant pour objet exclusif ou quasi exclusif la fabrication ou la livraison de marchandises, à l’exception des armes, l’extraction de richesses du sous‑sol ainsi que la réalisation de prestations de nature commerciale dans la mesure où celles‑ci ne consistent pas en la création ou l’exploitation d’installations servant au tourisme ou en la location de biens économiques, y compris la concession de droits, de plans, d’échantillons, de procédés, de savoir‑faire et de connaissances; la détention directe d’une participation d’au moins un quart du capital nominal d’une société de capitaux ayant pour objet exclusif ou quasi exclusif les activités susmentionnées, ainsi que le financement lié à la détention d’une telle participation, est considérée comme la réalisation de prestations de nature commerciale lorsque la société de capitaux n’a ni sa direction ni son siège à l’intérieur du pays. […]»

9. Il est constant que, durant les deux années litigieuses, ITS ne disposait pas de recettes positives provenant de sa filiale néerlandaise KTH. Par ailleurs, les conditions de la dérogation prévue au l’article 2 a, paragraphe 2, de l’EStG n’étaient pas remplies: KTH n’exerce pas l’une des activités privilégiées, qualifiées d’«activités actives», mentionnées à l’article 2 a, paragraphe 2, première phrase, de l’EStG et elle ne détient pas de participations directes dans une société de capitaux ayant pour objet l’une desdites activités privilégiées.

10. Sur la base de ces constatations, le Finanzamt Köln‑Mitte a émis des avis modificatifs concernant l’impôt sur les sociétés dû par Rewe. Celle‑ci a présenté une réclamation auprès de l’administration fiscale. Cette réclamation ayant été rejetée, elle a introduit un recours devant le Finanzgericht Köln tendant à obtenir la prise en compte de l’ensemble des charges d’exploitation liées à ses participations dans les sociétés établies aux Pays‑Bas, au Royaume‑Uni et en Espagne. À l’appui de ce recours, Rewe fait valoir que l’application de l’article 2 a de l’EStG constitue une discrimination contraire au droit communautaire.

11. Tel est également l’avis de la juridiction de renvoi. Elle relève qu’il résulte du droit applicable que, tandis que des amortissements sur la valeur de participations dans une société allemande pourraient, en principe, être fiscalement pris en compte sans restriction aux fins de déterminer le bénéfice imposable de la société détenant ces participations, les amortissements sur la valeur de participations dans une société établie dans un autre État membre ne peuvent être pris en compte que dans des cas limités, soit que ces dépenses sont compensées par des recettes positives provenant de cet autre État membre, soit que les conditions du régime dérogatoire prévu à l’article 2 a, paragraphe 2, de l’EStG sont remplies. Il semble dès lors clair à la juridiction de renvoi que pareille restriction sur la déductibilité des pertes liées à des investissements à l’étranger constitue une entrave au libre établissement dans un autre État membre ainsi qu’à la libre circulation des capitaux protégés par le droit communautaire.

12. Forte de cette conviction, elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les dispositions combinées des articles [43 CE] et [48 CE] et [56 CE et suivants] doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation qui – comme la réglementation de l’article 2 a, paragraphe 1, point 3 a, et paragraphe 2, de l’EStG, en cause dans la procédure au principal – restreint la déduction fiscale immédiate de pertes résultant de l’amortissement sur la valeur des participations dans des filiales situées dans d’autres pays de la Communauté lorsque ces filiales exercent des activités passives au sens de la disposition nationale et/ou lorsqu’elles ne réalisent pas des activités actives au sens de la disposition nationale que par l’intermédiaire de sous‑filiales propres, alors que les...

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