Opinion of Advocate General Hogan delivered on 28 May 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:396
Date28 May 2020
Celex Number62019CC0134
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 28 mai 2020 (1)

Affaire C134/19 P

Bank Refah Kargaran

contre

Conseil de l’Union européenne

« Pourvoi ‐ Action en indemnité ‐ Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran – Article 29 TUEArticle 215 TFUE – Compétence de la Cour pour connaître d’une action en réparation ‐ Réparation du préjudice que la requérante aurait subi en raison de l’inscription de son nom sur différentes listes prévoyant des mesures restrictives ‐ Possibilité d’obtenir réparation d’une violation de l’obligation de motivation »






1. Introduction

1. La prolifération des armes nucléaires est l’une des plus grandes menaces auxquelles est confrontée l’humanité. Dans le contexte du Moyen-Orient, au cours des dernières années, cette menace est devenue particulièrement élevée. Pour cette raison, les États membres de l’Union européenne et l’Union elle‑même ont tenté, au moyen de certaines mesures restrictives (ou sanctions) de dissuader la République islamique d’Iran de mettre en œuvre des actions qui pourraient permettre à cet État de développer des systèmes d’armement nucléaire. Tel est le cadre général de la présente affaire.

2. Par son pourvoi, la Bank Refah Kargaran demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2018, Bank Refah Kargaran/Conseil (T‑552/15, EU:T:2018:897, non publié, ci‑après l’« arrêt attaqué »), par lequel le Tribunal a rejeté la demande de réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison de l’inscription de son nom sur différentes listes prévoyant des mesures restrictives. Ce pourvoi soulève des questions difficiles d’interprétation des traités concernant la compétence de la Cour pour contrôler des décisions adoptées en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et, en particulier, la question de savoir si une réparation peut être accordée lorsqu’une décision prévoyant des mesures restrictives contre une personne physique ou morale, qui a été adoptée par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, du traité UE, a été annulée par la Cour en vertu de l’article 275 TFUE.

2. Les antécédents du litige

3. Les antécédents du litige, tels qu’ils sont exposés aux points 1 à 13 de l’arrêt attaqué, peuvent se résumer comme suit.

4. Ainsi que je viens de le préciser, le litige s’inscrit dans le cadre de mesures restrictives adoptées par l’Union européenne contre la République islamique d’Iran. Ces mesures étaient et sont destinées à exercer une pression sur la République islamique d’Iran afin que celle‑ci mette un terme à certaines activités qui pourraient constituer un risque de prolifération nucléaire et à arrêter le développement par cet État de vecteurs d’armes nucléaires.

5. Le 26 juillet 2010, le nom de la requérante, une banque iranienne, a été inscrit sur la liste d’entités concourant à la prolifération nucléaire qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (2). Le motif avancé pour justifier l’adoption de ces mesures était que cette banque aurait relayé des opérations d’une autre grande institution financière iranienne, la Bank Melli Iran, à la suite de l’adoption de mesures restrictives visant cette dernière.

6. Pour le même motif, le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe V du règlement (CE) nº 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2007, L 103, p. 1). Ces mesures restrictives contre la Bank Refah ont été maintenues par le règlement d’exécution (CE) nº 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2010, L 195, p. 25).

7. Le règlement nº 423/2007 ayant été abrogé par le règlement (UE) nº 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (3), le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe VIII de ce dernier règlement.

8. Par la décision 2010/644/PESC (4), le Conseil a maintenu le nom de la requérante sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413 (5).

9. Le règlement d’exécution (UE) nº 1245/2011 du Conseil, du 1er décembre 2011, mettant en œuvre le règlement nº 961/2010 (JO 2011, L 319, p. 11) a également maintenu le nom de la requérante sur la liste figurant à l’annexe VIII du règlement nº 961/2010.

10. Le règlement nº 961/2010 ayant été abrogé par le règlement (UE) n°°267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2012, L 88, p. 1), le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe IX de ce dernier règlement. La motivation de l’inscription de la requérante est la même que celle qui est exposée dans la décision 2010/413.

11. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 janvier 2011, la requérante a introduit un recours tendant, notamment, à l’annulation de la décision 2010/644 et du règlement nº 961/2010, pour autant qu’ils la concernaient. Par la suite, la requérante a adapté ses conclusions afin de demander l’annulation de la décision 2011/783, du règlement d’exécution nº 1245/2011 et du règlement nº 267/2012, pour autant que ces actes la concernent.

12. Au point 83 de l’arrêt du Tribunal du 6 septembre 2013, Bank Refah Kargaran/Conseil, (T‑24/11, EU:T:2013:403, ci‑après l’« arrêt d’annulation »), le Tribunal a fait droit au deuxième moyen soulevé par la requérante, en ce qu’il était tiré d’une violation de l’obligation de motivation. En conséquence, le Tribunal a annulé l’inscription du nom de la requérante, premièrement, sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, puis par la décision 2011/783, deuxièmement, à l’annexe VIII du règlement nº 961/2010 (telle que modifiée, notamment, par le règlement d’exécution nº 1245/2011 et, troisièmement, à l’annexe IX du règlement nº 267/2012. Pour parvenir à cette décision, le Tribunal n’a pas jugé nécessaire d’examiner les autres arguments et moyens soulevés par la requérante.

13. Aux termes de l’article 60 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai visé à l’article 56, premier alinéa, de ce statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui‑ci. En conséquence, pour que l’annulation de chacune des inscriptions de la partie requérante produise ses effets à la même date, le tribunal a décidé que les effets de l’annexe II de la décision 2010/413, telle qu’elle a été modifiée par la décision 2010/644 puis par la décision 2011/783, devaient être maintenus à l’égard de la requérante jusqu’à la prise d’effet de l’annulation de l’inscription de la requérante dans la liste figurant à l’annexe IX du règlement nº 267/2012.

14. Ultérieurement, le nom de la requérante a été réinscrit sur la liste prévoyant des mesures restrictives figurant à l’annexe II de la décision 2010/413 par la décision 2013/661/PESC du Conseil, du 15 novembre 2013 (6). L’article 2 de cette décision précisait que celle‑ci entrerait en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, qui a eu lieu le 16 novembre 2013.

15. Le nom de la requérante a ensuite été inscrit sur la liste figurant à l’annexe IX du règlement d’exécution nº 267/2012 par le règlement d’exécution (UE) nº 1154/2013, du 15 novembre 2013 (7). Ce règlement d’exécution est entré en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel, qui a également eu lieu le 16 novembre 2013. Aux termes de cette annexe IX, la motivation suivante a été retenue en ce qui concerne la requérante :

« Entité apportant un soutien financier au gouvernement iranien. Elle est détenue à 94 % par l’Iranian Social Security Organisation [l’organisation de sécurité sociale iranienne], qui elle‑même est contrôlée par le gouvernement iranien, et elle fournit des services bancaires aux ministères du gouvernement. »

16. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 janvier 2014, la requérante a introduit un recours tendant, entre autres, à l’annulation de la décision 2013/661 et du règlement d’exécution nº 1154/2013, en ce que ces actes la concernaient. Ce recours a été rejeté par l’arrêt du Tribunal du 30 novembre 2016, Bank Refah Kargaran/Conseil (T‑65/14, non publié, EU:T:2016:692), qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2015, la requérante a introduit une action en indemnité. Elle a demandé au Tribunal de condamner l’Union européenne à l’indemniser du préjudice résultant de l’adoption et du maintien des mesures restrictives la concernant qui avaient été annulées par l’arrêt d’annulation, en lui versant la somme de 68 651 318 euros, augmentée des intérêts légaux, au titre du préjudice matériel, et la somme de 52 547 415 euros, augmentée des intérêts légaux, au titre du préjudice moral. À titre subsidiaire, la requérante a demandé au Tribunal de considérer que tout ou partie des sommes réclamées au titre du préjudice moral soient considérées comme relevant du préjudice matériel.

18. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 janvier 2016, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par décision du 3 février 2016, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention. La Commission a déposé son mémoire en intervention et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui‑ci dans les délais impartis (8)

19. Par mesure d’organisation de la procédure du 19 septembre 2018, la requérante a été invitée à présenter ses observations sur l’argument du...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT