Asma Bougnaoui and Association de défense des droits de l’homme (ADDH) v Micropole SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:204
Docket NumberC-188/15
Celex Number62015CJ0188
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date14 March 2017
62015CJ0188

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 mars 2017 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Politique sociale — Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement — Discrimination fondée sur la religion ou les convictions — Exigence professionnelle essentielle et déterminante — Notion — Souhait d’un client de ne pas voir les prestations assurées par une travailleuse portant un foulard islamique»

Dans l’affaire C‑188/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 9 avril 2015, parvenue à la Cour le 24 avril 2015, dans la procédure

Asma Bougnaoui,

Association de défense des droits de l’homme (ADDH)

contre

Micropole SA, anciennement Micropole Univers SA,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, Mme M. Berger, MM. M. Vilaras et E. Regan, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Borg Barthet, J. Malenovský, E. Levits, F. Biltgen (rapporteur), Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mars 2016,

considérant les observations présentées :

pour Mme Bougnaoui et l’Association de défense des droits de l’homme (ADDH), par Me C. Waquet, avocate,

pour Micropole SA, par Me D. Célice, avocat,

pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues, D. Colas et R. Coesme, en qualité d’agents,

pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer‑Seitz, U. Persson et N. Otte Widgren ainsi que par MM. E. Karlsson et L. Swedenborg, en qualité d’agents,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Simmons, en qualité d’agent, assistée de M. A. Bates, barrister,

pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et M. Van Hoof, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2016,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Asma Bougnaoui et l’Association de défense des droits de l’homme (ADDH), d’une part, à Micropole SA, anciennement Micropole Univers SA (ci-après « Micropole »), d’autre part, au sujet du licenciement par cette dernière de Mme Bougnaoui au motif que celle-ci refusait de retirer son foulard islamique lorsqu’elle était en mission auprès des clients de cette entreprise.

Le cadre juridique

La directive 2000/78

3

Les considérants 1, 4 et 23 de la directive 2000/78 prévoient :

« (1)

Conformément à l’article 6 du traité sur l’Union européenne, l’Union européenne est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs à tous les États membres et elle respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.

[...]

(4)

Le droit de toute personne à l’égalité devant la loi et la protection contre la discrimination constitue un droit universel reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme, par la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, par les pactes des Nations unies relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signés par tous les États membres. La Convention no 111 de l’Organisation internationale du travail interdit la discrimination en matière d’emploi et de travail.

[...]

(23)

Dans des circonstances très limitées, une différence de traitement peut être justifiée lorsqu’une caractéristique liée à la religion ou aux convictions, à un handicap, à l’âge ou à l’orientation sexuelle constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. Ces circonstances doivent être mentionnées dans les informations fournies par les États membres à la Commission. »

4

L’article 1er de la directive 2000/78 dispose :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

5

L’article 2, paragraphes 1 et 2, de ladite directive prévoit :

« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

i)

cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, [...]

[...] »

6

L’article 3, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[...]

c)

les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ;

[...] »

7

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 prévoit :

« Nonobstant l’article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. »

Le droit français

8

Les dispositions de la directive 2000/78 ont fait l’objet d’une transposition en droit français, notamment, aux articles L. 1132-1 et L. 1133-1 du code du travail tels qu’issus de la loi no 2008-496, du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (JORF du 28 mai 2008, p. 8801).

9

L’article L. 1121-1 du code du travail dispose :

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

10

L’article L. 1132-1 dudit code, dans sa version en vigueur à la date des faits en cause au principal, prévoyait :

« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, [...], de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »

11

L’article L. 1133-1 du même code est libellé comme suit :

« L’article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. »

12

L’article L. 1321-3 du code du travail, dans sa version en vigueur à la date des faits en cause au principal, disposait :

« Le règlement intérieur ne peut contenir :

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