Aziz Melki (C-188/10) and Sélim Abdeli (C-189/10).

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date22 June 2010

PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MAZÁK

présentée le 7 juin 2010 ( 1 )

I — Introduction

1.

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 67 TFUE et 267 TFUE. La première question posée par la Cour de cassation (France) est relative à la conformité, avec l’article 267 TFUE, de la loi organique française no 2009-1523, du 10 décembre 2009, relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution de la République française, qui institue la «question prioritaire de constitutionnalité» en application dudit article 61-1. Ce nouveau mécanisme est le fruit d’une réforme constitutionnelle, entrée en vigueur le 1er mars 2010, qui instaure un contrôle de constitutionalité des dispositions législatives a posteriori. La Cour de cassation demande à la Cour de préciser si l’article 267 TFUE s’oppose aux articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance no 58-1067, du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi organique française no 2009-1523 (ci-après l’«ordonnance no 58-1067»), qui imposent aux juridictions nationales de se prononcer en priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution de la République française d’un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l’Union.

2.

La seconde question posée est relative à la conformité de l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale français, qui autorise le contrôle d’identité de toute personne par les autorités de police indiquées notamment dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 (ci-après la «convention signée à Schengen le 19 juin 1990»); et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà de cette frontière, avec l’article 67 TFUE qui prévoit l’absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures.

II — Le cadre juridique

A — Le droit de l’Union

3.

Aux termes de l’article 20 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 105, p. 1):

«Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité.»

4.

L’article 21 de ce règlement, intitulé «Vérifications à l’intérieur du territoire», prévoit:

«La suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte:

a)

à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières; cela s’applique également dans les zones frontalières. Au sens de la première phrase, l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police:

i)

n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières;

ii)

sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière;

iii)

sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures;

iv)

sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste;

b)

à l’exercice des contrôles de sûreté dans les ports ou aéroports, effectués sur les personnes par les autorités compétentes en vertu du droit de chaque État membre, par les responsables portuaires ou aéroportuaires ou par les transporteurs pour autant que ces contrôles soient également effectués sur les personnes voyageant à l’intérieur d’un État membre;

c)

à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents;

d)

à l’obligation des ressortissants de pays tiers de signaler leur présence sur le territoire d’un État membre conformément aux dispositions de l’article 22 de la convention d’application de l’accord de Schengen.»

5.

L’article 37 de ce règlement, intitulé «Communication d’informations par les États membres», prévoit:

«Le 26 octobre 2006 au plus tard, les États membres communiquent à la Commission leurs dispositions nationales relatives à l’article 21, points c) et d), […].

Ces informations communiquées par les États membres sont publiées au Journal officiel de l’Union européenne, série C.»

6.

En application de l’article 37 du règlement no 562/2006, la République française a notifié le texte suivant relatif à l’obligation de détention et de port de titres et de documents en vertu de l’article 21, point c), de ce règlement:

«La législation française prévoit cette obligation à l’article L.611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), lequel énonce qu’en dehors de tout contrôle d’identité, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquelles elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition des officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints» ( 2 ).

B — Le droit national

7.

L’article 61-1 de la Constitution de la République française dispose:

«Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article.»

8.

L’article 62 de la Constitution de la République française dispose:

«Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61 ne peut être promulguée ni mise en application.

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.»

9.

L’article 88-1 de la Constitution de la République française énonce:

«La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.»

10.

L’article 1er de la loi organique no 2009-1523 prévoit:

«Après le chapitre II du titre II de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé:

Chapitre II bis

De la question prioritaire de constitutionnalité

Section 1

Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation

Article 23-1. — Devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office. […]

Art. 23-2. — La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies:

1o

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites;

2o

Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances;

3o

La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d’État ou à la Cour de...

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