Volker und Markus Schecke GbR (C-92/09) and Hartmut Eifert (C-93/09) v Land Hessen.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:662
Docket NumberC-93/09,C-92/09
Celex Number62009CJ0092
CourtCourt of Justice (European Union)
Date09 November 2010

Affaires jointes C-92/09 et C-93/09

Volker und Markus Schecke GbR

et

Hartmut Eifert

contre

Land Hessen

(demandes de décision préjudicielle, introduites par

le Verwaltungsgericht Wiesbaden)

«Protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel — Publication des informations relatives aux bénéficiaires d’aides agricoles — Validité des dispositions du droit de l’Union prévoyant cette publication et fixant les modalités de celle-ci — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Articles 7 et 8 — Directive 95/46/CE — Interprétation des articles 18 et 20»

Sommaire de l'arrêt

1. Droits fondamentaux — Respect de la vie privée — Protection des données à caractère personnel — Articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne — Champ d'application

(Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 7 et 8)

2. Droits fondamentaux — Respect de la vie privée — Protection des données à caractère personnel — Limitations — Conditions

(Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 7, 8 et 52, § 1)

3. Agriculture — Politique agricole commune — Financement par le FEAGA et par le Feader — Règlements nº 1290/2005 et 259/2008 — Publication obligatoire de données à caractère personnel relatives aux personnes physiques bénéficiaires d'aides du FEAGA et du Feader

(Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 7 et 8; règlement du Conseil nº 1290/2005, art. 42, point 8 ter, et 44 bis; règlement de la Commission nº 259/2008)

4. Questions préjudicielles — Appréciation de validité — Déclaration d'invalidité de règlements imposant la publication de données à caractère personnel relatives aux bénéficiaires d'aides du FEAGA et du Feader — Effets — Limitation dans le temps

(Art. 264, al. 2, TFUE et 267 TFUE)

5. Rapprochement des législations — Protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel — Directive 95/46 — Obligation de notification à l'autorité de contrôle — Dérogation

(Directive du Parlement européen et du Conseil 95/46, art. 18, § 2, second tiret)

6. Rapprochement des législations — Protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel — Directive 95/46 — Contrôles préalables

(Directive du Parlement européen et du Conseil 95/46, art. 20)

1. Le respect du droit à la vie privée à l’égard du traitement des données à caractère personnel, reconnu par les articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, se rapporte à toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable. Ainsi, les personnes morales ne peuvent se prévaloir de la protection des articles 7 et 8 de la charte que dans la mesure où le nom légal de la personne morale identifie une ou plusieurs personnes physiques. Tel est le cas lorsque le nom légal d'une société identifie directement des personnes physiques qui sont des associés de celle-ci.

(cf. points 52-54)

2. L'article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne admet que des limitations peuvent être apportées à l’exercice de droits tels que ceux consacrés aux articles 7 et 8 de la charte, pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. Ces limitations susceptibles d’être légitimement apportées au droit à la protection des données à caractère personnel correspondent à celles tolérées dans le cadre de l’article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.

(cf. points 52, 65)

3. Les articles 42, point 8 ter, et 44 bis du règlement nº 1290/2005, relatif au financement de la politique agricole commune, tel que modifié par le règlement nº 1437/2007, ainsi que le règlement nº 259/2008, portant modalités d’application du règlement nº 1290/2005 en ce qui concerne la publication des informations relatives aux bénéficiaires de fonds en provenance du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), sont invalides dans la mesure où, s’agissant des personnes physiques bénéficiaires d’aides du FEAGA et du Feader, ces dispositions imposent la publication de données à caractère personnel relatives à tout bénéficiaire, sans opérer de distinction selon des critères pertinents, tels que les périodes pendant lesquelles elles ont perçu de telles aides, la fréquence ou encore le type et l’importance de celles-ci.

En effet, les montants que les bénéficiaires perçoivent du FEAGA et du Feader représentent une partie, souvent considérable, de leurs recettes et la publication sur un site Internet des données nominatives relatives auxdits bénéficiaires et aux montants précis perçus par ceux-ci constitue, en raison du fait que ces données deviennent accessibles aux tiers, une ingérence dans leur vie privée au sens de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. À cet égard, demeure sans incidence le fait que les données publiées ont trait à des activités professionnelles. Par ailleurs, la publication imposée par l’article 44 bis du règlement nº 1290/2005 et par le règlement nº 259/2008 constitue un traitement de données à caractère personnel relevant de l’article 8, paragraphe 2, de ladite charte. En outre, le fait que les bénéficiaires ont été informés de la publication obligatoire des données les concernant ne met pas en cause l'existence même d'une ingérence dans leur vie privée, dès lors que l'article 42, point 8 ter, du règlement nº 1290/2005 et l'article 4, paragraphe 1, du règlement nº 259/2008, qui se bornent à prévoir que les bénéficiaires d’aides seront informés au préalable de la publication des données les concernant, ne cherchent pas à fonder le traitement de données à caractère personnel qu’ils instaurent sur le consentement desdits bénéficiaires.

Une telle atteinte n'est pas justifiée au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En effet, si, certes, dans une société démocratique, les contribuables ont le droit d’être tenus informés de l’utilisation des fonds publics, il n’en demeure pas moins qu’une pondération équilibrée des différents intérêts en cause nécessitait, avant l’adoption des dispositions visées, la vérification, par les institutions concernées, du point de savoir si la publication au moyen d’un site Internet unique par État membre et librement consultable des données nominatives relatives à tous les bénéficiaires concernés et aux montants précis provenant du FEAGA et du Feader perçus par chacun de ceux-ci - et cela sans opérer de distinction en fonction de la durée, de la fréquence ou du type et de l’importance des aides perçues - n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis, eu égard notamment à l’atteinte générée par une telle publication aux droits reconnus par les articles 7 et 8 de la charte. À cet égard, aucune prééminence automatique ne saurait être reconnue à l'objectif de transparence sur le droit à la protection des données à caractère personnel, même si des intérêts économiques importants sont en jeu. Dès lors qu’il n’apparaît pas que les institutions ont effectué une telle pondération équilibrée entre, d’une part, les objectifs de l’article 44 bis du règlement nº 1290/2005 ainsi que du règlement nº 259/2008 et, d’autre part, les droits reconnus aux personnes physiques par les articles 7 et 8 de la charte, eu égard au fait que les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celle-ci doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire et que des mesures portant des atteintes moins importantes pour les personnes physiques audit droit fondamental sont concevables tout en contribuant de manière efficace aux objectifs de la réglementation de l’Union en cause, le Conseil et la Commission, en imposant la publication des noms de toutes les personnes physiques bénéficiaires d’aides du FEAGA et du Feader ainsi que des montants précis perçus par ceux-ci, ont excédé les limites qu’impose le respect du principe de proportionnalité.

En revanche, s’agissant des personnes morales bénéficiaires d’aides du FEAGA et du Feader, et dans la mesure où elles peuvent se prévaloir des droits reconnus aux articles 7 et 8 de la charte, il doit être considéré que l’obligation de publication résultant des articles 42, point 8 ter, et 44 bis du règlement nº 1290/2005, ainsi que du règlement nº 259/2008, n’excède pas les limites qu’impose le respect du principe de proportionnalité. En effet, la gravité de l’atteinte au droit à la protection des données à caractère personnel se présente différemment pour les personnes morales et pour les personnes physiques. À cet égard, les personnes morales sont déjà soumises à une obligation accrue de publication de données les concernant. Par ailleurs, l’obligation pour les autorités nationales compétentes d’examiner avant la publication des données en cause, pour chaque personne morale bénéficiaire d’aides du FEAGA ou du Feader, si le nom de celle-ci identifie des personnes physiques imposerait à ces autorités une charge administrative démesurée.

(cf. points 58-61, 63, 65, 79, 85-87, 89, 92, disp. 1)

4. Lorsque des considérations impérieuses de sécurité juridique le justifient, la Cour de justice bénéficie, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, applicable, par analogie, également dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité des actes de l’Union, au titre de l’article 267 TFUE, d’un pouvoir d’appréciation pour indiquer, dans chaque cas particulier, ceux des effets de l’acte concerné qui doivent être considérés comme...

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