European Commission v Hungary.
Jurisdiction | European Union |
Date | 18 June 2020 |
Court | Court of Justice (European Union) |
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
18 juin 2020 (*)
« Manquement d’État – Recevabilité – Article 63 TFUE – Liberté de circulation des capitaux – Existence d’une restriction – Charge de la preuve – Discrimination indirecte liée à la provenance des capitaux – Article 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à la liberté d’association – Réglementation nationale imposant des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité, assorties de sanctions, aux associations recevant des aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers – Article 7 de la charte des droits fondamentaux – Droit au respect de la vie privée – Article 8, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux – Droit à la protection des données à caractère personnel – Réglementation nationale imposant la divulgation d’informations relatives aux personnes apportant une aide financière à des associations et au montant de cette aide – Justification – Raison impérieuse d’intérêt général – Transparence du financement associatif – Article 65 TFUE – Ordre public – Sécurité publique – Lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le crime organisé – Article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux »
Dans l’affaire C‑78/18,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 6 février 2018,
Commission européenne, représentée initialement par MM. V. Di Bucci, L. Havas et L. Malferrari ainsi que par Mme K. Talabér-Ritz, puis par MM. V. Di Bucci, L. Havas et L. Malferrari, en qualité d’agents,
partie requérante,
soutenue par :
Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz et H. Shev, en qualité d’agents,
partie intervenante,
contre
Hongrie, représentée par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, E. Regan, S. Rodin, Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, présidents de chambre, MM. E. Juhász, M. Ilešič, J. Malenovský (rapporteur), D. Šváby et N. Piçarra, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : Mme R. Şereş, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 octobre 2019,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 janvier 2020,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant les dispositions de l’a külföldről támogatott szervezetek átláthatóságáról szóló 2017. évi LXXVI. törvény (loi n° LXXVI de 2017, sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger, ci-après la « loi sur la transparence ») qui imposent des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité à certaines catégories d’organisations de la société civile bénéficiant directement ou indirectement d’une aide étrangère dépassant un certain seuil, et qui prévoient la possibilité d’appliquer des sanctions aux organisations ne respectant pas ces obligations, la Hongrie a introduit des restrictions discriminatoires, injustifiées et non nécessaires à l’égard des dons étrangers accordés aux organisations de la société civile, en violation des obligations qui lui incombent au titre de l’article 63 TFUE ainsi que des articles 7, 8 et 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
I. La législation hongroise
A. La loi sur la transparence
2 Le préambule de la loi sur la transparence indique notamment que les organisations de la société civile « contribue[nt] au contrôle démocratique et au débat public sur les affaires publiques », qu’elles « jouent un rôle déterminant dans la formation de l’opinion publique » et que « leur transparence présente un intérêt public majeur ».
3 Ce préambule énonce également que « le soutien fourni par des sources étrangères inconnues [aux organisations de la société civile] est susceptible d’être utilisé par des groupes d’intérêts étrangers pour promouvoir, par le biais de l’influence sociale de ces organisations, leurs propres intérêts au lieu des objectifs communautaires dans la vie sociale et politique de la Hongrie » et que ce soutien « peut mettre en péril les intérêts politiques et économiques du pays ainsi que le fonctionnement sans ingérence des institutions légales ».
4 Aux termes de l’article 1er de cette loi :
« 1. Aux fins de l’application de la présente loi, est réputée être une organisation recevant de l’aide de l’étranger toute association ou fondation qui bénéficie d’un apport financier tel que défini au paragraphe 2 (ci-après dénommées conjointement : “organisation recevant de l’aide de l’étranger”).
2. Au sens de la présente loi, tout apport d’argent ou d’autres actifs provenant directement ou indirectement de l’étranger, indépendamment du titre juridique, est réputé être une aide dès lors qu’il atteint, seul ou cumulativement, en un exercice fiscal donné, le double du montant fixé à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du pénzmosás és a terrorizmus finanszírozása megelőzéséről és megakadályozásáról szóló 2017. évi LIII. törvény [(loi n° LIII de 2017, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme)].
[...]
4. Ne relèvent pas de la présente loi :
a) les associations et fondations qui ne sont pas réputées être des organisations de la société civile ;
b) les associations couvertes par le sportról szóló 2004. évi I. törvény [(loi n° I de 2004, relative au sport)] ;
c) les organisations exerçant une activité religieuse ;
d) les organisations et associations de minorités nationales couvertes par le nemzetiségek jogairól szóló 2011. évi CLXXIX. törvény [(loi n° CLXXIX de 2011, sur les droits des minorités nationales)] ainsi que les fondations exerçant, conformément à leur acte constitutif, une activité directement liée à l’autonomie culturelle d’une minorité nationale ou représentant et défendant les intérêts d’une minorité nationale donnée. »
5 L’article 2 de la loi sur la transparence dispose :
« 1. Toute association ou fondation, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, est tenue de signaler, dans les 15 jours, sa transformation en organisation recevant de l’aide de l’étranger, dès que le montant d’aides qu’elle a reçues durant l’année concernée atteint le double du montant fixé à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la loi n° LIII de 2017, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
2. L’organisation recevant de l’aide de l’étranger envoie la déclaration visée au paragraphe 1 au tribunal compétent pour son siège social (ci-après la “juridiction d’enregistrement”) et fournit les données spécifiées à l’annexe I. La juridiction d’enregistrement joint la déclaration aux renseignements relatifs à l’association ou à la fondation figurant dans le registre des organisations civiles et autres organisations réputées non commerciales (ci-après le “registre”) et enregistre l’association ou la fondation en tant qu’organisation recevant de l’aide de l’étranger.
3. En appliquant par analogie les règles énoncées au paragraphe 1, l’organisation recevant de l’aide de l’étranger transmet à la juridiction d’enregistrement, en même temps que son décompte, une déclaration comportant les données spécifiées à l’annexe I, concernant les aides reçues durant l’année écoulée. Dans la déclaration doivent figurer, pour l’année concernée :
a) pour une aide ne dépassant pas 500 000 forints [hongrois (HUF) (environ 1 500 euros)] par donateur, les informations visées à la partie II, point A), de l’annexe I,
b) pour une aide atteignant ou dépassant 500 000 [HUF] par donateur, les informations visées à la partie II, point B), de l’annexe I.
4. Avant le 15 de chaque mois, la juridiction d’enregistrement envoie au ministère chargé de la gestion du portail des informations civiles le nom, le siège et l’identifiant fiscal des associations et fondations qu’elle a inscrites au registre en tant qu’organisations recevant de l’aide de l’étranger durant le mois écoulé. Le ministère chargé de la gestion du portail des informations civiles diffuse sans délai les informations ainsi transmises afin de les rendre publiquement et gratuitement accessibles sur la plateforme électronique établie à cette fin.
5. Après avoir fait sa déclaration, au sens du paragraphe 1, l’organisation recevant de l’aide de l’étranger fait savoir sans délai sur sa page d’accueil et dans ses publications et autres produits de presse, au sens de la loi sur la liberté de la presse et les règles fondamentales applicables aux contenus diffusés par les médias, qu’elle est considérée comme une organisation recevant de l’aide de l’étranger, au sens de la présente loi.
6. L’organisation recevant de l’aide de l’étranger reste tenue par l’obligation visée au paragraphe 5 aussi longtemps qu’elle est considérée comme une organisation recevant de l’aide de l’étranger, au sens de la présente loi. »
6 L’article 3 de la loi sur la transparence énonce :
« 1. Si l’association ou la fondation ne respecte pas les obligations que lui impose la présente loi, le procureur doit, dès qu’il en a connaissance et en application des règles qui lui sont applicables, enjoindre à l’association ou la fondation de se conformer auxdites obligations dans les 30 jours suivant ladite injonction.
2. Si l’organisation recevant de l’aide de l’étranger ne satisfait pas à l’obligation indiquée dans l’injonction du procureur, le procureur l’enjoint à nouveau de se conformer aux obligations que lui impose la présente loi dans un délai de 15 jours. Dans les 15 jours suivant l’expiration sans résultat de ce délai, le procureur requiert devant la juridiction d’enregistrement l’infliction d’une amende, conformément à l’article 37, paragraphe 2, du civil szervezetek bírósági nyilvántartásáról és az ezzel összefüggő eljárási szabályokról...
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