Marks & Spencer plc v David Halsey (Her Majesty's Inspector of Taxes).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:201
Date07 April 2005
Celex Number62003CC0446
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-446/03

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. POIARES MADURO

présentées le 7 avril 2005 (1)

Affaire C-446/03

Marks & Spencer plc

contre

David Halsey (HM Inspector of Taxes)

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni)]

«Liberté d'établissement – Fiscalité – Impôt sur les sociétés – Dégrèvement de groupe – Cohérence du système fiscal»





1. Dans la présente affaire, la Cour est appelée à préciser l’effet des dispositions du traité CE relatives à la liberté d’établissement sur le régime fiscal des groupes de sociétés d’un État membre. Il s’agit de savoir si le droit communautaire s’oppose à une législation telle que la législation britannique sur le «dégrèvement de groupe» qui subordonne le transfert de pertes au sein d’un groupe de sociétés à la condition que ces sociétés soient résidentes ou exercent une activité économique au Royaume-Uni.

2. Pour répondre à cette question, la Cour devra se fonder sur les dispositions du traité et sur les solutions dégagées par sa jurisprudence en matière fiscale, laquelle est déjà fort développée. En ce domaine, le droit dérivé du traité n’offre que peu de moyen de s’orienter. Il existe, certes, une directive du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (2). Ce texte manifeste clairement la volonté de la Communauté d’éliminer la pénalisation résultant du fait que les dispositions fiscales régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre (3). Mais il ne règle pas la question spécifique du traitement des pertes transfrontalières au sein des groupes de sociétés (4).

3. Néanmoins, cette question n’est pas inconnue des institutions communautaires. Le 6 décembre 1990, la Commission présentait une proposition de directive du Conseil relative à un régime de prise en compte par les entreprises des pertes subies par leurs établissements stables et filiales situés dans d’autres États membres (5). Cette proposition n’ayant pas abouti, la Commission décida de la retirer et d’engager de nouvelles négociations avec les États membres. Elle considère, à présent, que l’absence de disposition communautaire relative à la compensation transfrontalière des pertes de groupes de sociétés dans la Communauté constitue l’un des obstacles majeurs au bon fonctionnement du marché intérieur (6).

4. Le Conseil a probablement de fortes raisons pour ne point s’être engagé dans la voie préconisée par la Commission. Dans ces conditions, il n’appartient pas à la Cour de se substituer au législateur communautaire. Cependant, cette absence d’harmonisation des législations des États membres ne saurait l’empêcher de remplir sa fonction, qui est de veiller à la sauvegarde et à l’application des principes et des objectifs fondamentaux du traité.

5. Ainsi contre l’idée, défendue notamment par le gouvernement néerlandais intervenant dans cette affaire, que le seul cadre approprié pour traiter cette question serait celui du rapprochement des législations, il convient de rappeler vigoureusement les deux points suivants. D’une part, il peut être aisément déduit de la jurisprudence de la Cour que l’harmonisation des législations fiscales des États membres ne saurait être érigée en condition préalable de l’application de la liberté d’établissement consacrée à l’article 43 CE (7). D’autre part, la mise en œuvre effective des libertés fondamentales concourant à l’établissement du marché intérieur n’est pas de nature à priver de fondement et de pertinence un rapprochement des législations nationales. L’harmonisation législative peut en effet avoir pour but de faciliter l’exercice des libertés de circulation, mais elle peut aussi servir à corriger les distorsions résultant de l’exercice de ces mêmes libertés.

6. Au demeurant, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des cas voisins à celui de l’espèce, qu’elle ait eu à connaître du traitement des pertes étrangères d’entreprises communautaires (8) ou qu’elle ait été conduite à préciser le régime fiscal des entreprises communautaires disposant d’établissements secondaires dans d’autres États membres (9). Il est vrai que la présente affaire présente d’indéniables particularismes. Elle partage, cependant, avec les affaires qui la précèdent la même difficulté fondamentale, en ce qu’elle voit s’opposer le pouvoir, reconnu aux États membres, de prélever des impôts sur les revenus localisables sur leur territoire et la liberté, conférée aux ressortissants communautaires, de s’établir dans la Communauté. Il en résulte un conflit entre deux logiques opposées et la nécessité de définir un équilibre dans la répartition des compétences entre les États membres et la Communauté.

I – L’affaire au principal et les questions préjudicielles

7. Avant d’aborder ces difficiles questions de droit, rappelons les faits, qui sont simples.

8. La société Marks & Spencer plc (ci-après «M&S»), résidente au Royaume-Uni, est la principale société d’un groupe spécialisé dans la grande distribution d’articles de confection, d’alimentation, d’électroménager et de services financiers. Elle possède notamment, par l’intermédiaire d’une société holding établie aux Pays-Bas, des filiales établies en Allemagne, en Belgique et en France. À partir du milieu des années 90 et de manière continue depuis lors, ces filiales se sont mises à enregistrer des pertes. Le 29 mars 2001, M&S annonça la cessation de ses activités sur le continent européen. Le 31 décembre de la même année, la filiale française avait été cédée à un tiers, tandis que les filiales allemande et belge avaient cessé toute activité commerciale.

9. En 2000 et en 2001, M&S a introduit, auprès de M. Halsey (HM Inspector of Taxes) (inspecteur des impôts), des demandes de dégrèvement de groupe portant sur les pertes subies par ses filiales allemande, belge et française pour les exercices clos en 1998, en 1999, en 2000 et en 2001. La législation fiscale britannique permet, en effet, à la société mère d’un groupe d’opérer, sous certaines conditions, une compensation entre ses bénéfices et les pertes subies par ses filiales. Cependant, ces demandes furent rejetées par décisions des 13 août 2001 et 2 novembre 2001, au motif que le régime légal de dégrèvement de groupe ne s’applique pas aux filiales qui n’ont ni résidence ni activité économique au Royaume-Uni.

10. Ce rejet a été immédiatement contesté par M&S devant les Special Commissioners of Income Tax (juridiction fiscale de première instance). La requérante entendait ainsi faire constater l’incompatibilité des règles fiscales britanniques applicables avec le droit communautaire et, notamment, les articles 43 CE et 48 CE. Ce recours a été rejeté par décision du 17 décembre 2002. Dans cette décision, les Special Commissioners of Income Tax exposent, d’une part, que les principes découlant de la jurisprudence de la Cour étant clairs en la matière, il n’est pas nécessaire d’interroger celle-ci à titre préjudiciel et, d’autre part, que le régime fiscal britannique n’étant pas contraire au droit communautaire, la position de l’inspecteur des impôts doit être confirmée.

11. C’est de cette décision que la requérante a relevé appel devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division. Celle-ci a estimé nécessaire de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:

«1) Dans un cas où:

– la législation d’un État membre, telle que celle du Royaume-Uni sur le dégrèvement de groupe, interdit à une société mère, résidente fiscale dans cet État membre, de réduire son bénéfice imposable dans cet État par imputation de pertes subies par des filiales établies fiscalement dans d’autres États membres alors qu’une telle imputation serait possible si elles étaient fiscalement établies dans le même État membre que la société mère;

– l’État membre de la société mère:

– assujettit à un impôt sur les sociétés fondé sur l’ensemble de leurs bénéfices les sociétés établies sur son territoire, y compris les bénéfices des succursales établies dans d’autres États membres, étant précisé que des dispositions spéciales permettent d’éviter la double imposition en tenant compte de l’impôt payé dans un autre État membre et que les pertes des succursales sont prises en compte dans la détermination des bénéfices imposables de ces sociétés;

– n’assujettit pas à l’impôt sur les sociétés les bénéfices non distribués des filiales établies dans d’autres États membres;

– assujettit la société mère à l’impôt sur les sociétés pour tous les bénéfices qui lui sont distribués sous forme de dividende par les filiales établies dans d’autres États membres, alors qu’elle ne serait pas assujettie à cet impôt pour les bénéfices distribués sous forme de dividende par ses filiales établies dans ce même État membre;

– accorde un dégrèvement fiscal à la société mère sous la forme d’un crédit d’impôt pour les retenues à la source frappant les dividendes et les impôts étrangers sur les bénéfices à partir desquels sont versés les dividendes par des filiales établies dans d’autres États membres;

y a-t-il une restriction au sens de l’article 43 CE lu en combinaison avec l’article 48 CE? Dans l’affirmative, se justifie-t-elle en droit communautaire?

2) a) Le fait que la législation de l’État membre où la filiale est établie permet, sous certaines conditions, d’obtenir un dégrèvement pour tout ou partie des pertes imputées par elle sur des bénéfices imposables dans ce même État a-t-il une incidence pour la réponse à la première question?

b) Dans l’affirmative, quelle importance faut-il attacher aux faits suivants:

– une filiale établie dans un autre État membre a cessé toute activité commerciale et, bien que la législation de cet État permette sous certaines...

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