Jobcenter Berlin Neukölln v Nazifa Alimanovic and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:210
Docket NumberC-67/14
Celex Number62014CC0067
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date26 March 2015
62014CC0067

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 26 mars 2015 ( 1 )

Affaire C‑67/14

Jobcenter Berlin Neukölln

contre

Nazifa Alimanovic,

Sonita Alimanovic,

Valentina Alimanovic,

Valentino Alimanovic

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundessozialgericht (Allemagne)]

«Règlement (CE) no 883/2004 — Directive 2004/38/CE — Citoyenneté de l’Union — Égalité de traitement — Citoyens de l’Union qui séjournent sur le territoire d’un autre État membre et qui n’ont plus la qualité de travailleurs — Réglementation d’un État membre prévoyant l’exclusion de ces personnes des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle pose, en substance, la question de savoir si un État membre peut exclure du bénéfice de prestations de subsistance à caractère non contributif, au sens du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ( 2 ), tel que modifié par le règlement (UE) no 1244/2010 de la Commission, du 9 décembre 2010 ( 3 ) (ci-après le «règlement no 883/2004»), des ressortissants d’autres États membres qui ne sont pas, ou ne sont plus, économiquement actifs et sont dans une situation d’indigence.

2.

Le problème est délicat, humainement et juridiquement. Il conduira nécessairement la Cour à se prononcer à la fois sur la protection qu’offre le droit de l’Union à ces citoyens, tant en ce qui concerne leur situation financière que leur dignité, et sur la portée actuelle du droit fondamental à la libre circulation, élément fondateur de la construction européenne.

3.

Pour ce faire, la Cour devra de nouveau se pencher sur la relation entre le règlement no 883/2004 et la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE ( 4 ).

4.

La Cour vient d’apporter un premier élément de réponse à ces questions à l’occasion de l’affaire Dano ( 5 ). Le retentissement inhabituel qu’a connu l’arrêt de la Cour dans les médias européens ainsi que toutes les interprétations politiques qui l’ont accompagné confirment l’importance et la sensibilité du sujet.

5.

À la suite de cet arrêt, il est acquis que les États membres peuvent – sans y être obligés – refuser le bénéfice de prestations d’assistance sociale à des citoyens de l’Union qui arrivent sur leur territoire sans volonté d’y trouver un travail et sans être capables de subvenir à leur existence par leurs propres moyens.

6.

Toutefois, si le principe est clair, la question de son application peut se poser dans des situations factuelles très variées, la présente demande de décision préjudicielle donnant à la Cour l’occasion d’apporter une précision pour l’une d’entre elles.

7.

Il s’agit de l’hypothèse où, après avoir travaillé moins d’un an sur le territoire d’un État membre dont il n’est pas le ressortissant, un citoyen de l’Union demande à pouvoir bénéficier des prestations de subsistance de l’État d’accueil.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

8.

Selon l’article 18, premier alinéa, TFUE, «[d]ans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité».

9.

L’article 20 TFUE précise qu’une citoyenneté de l’Union est instituée et que toute personne qui a la nationalité d’un État membre en bénéficie. En vertu du paragraphe 2 de cet article, les citoyens de l’Union ont, notamment, «le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres». Conformément à l’article 20, paragraphe 2, second alinéa, TFUE, ce droit s’exerce «dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci».

10.

L’article 45 TFUE garantit plus spécifiquement la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne. Selon le paragraphe 2 de cet article, cette liberté de circulation «implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail».

2. Le règlement no 883/2004

11.

Le champ d’application matériel du règlement no 883/2004 est décrit à son article 3 comme suit:

«1. Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:

[...]

h)

les prestations de chômage;

[...]

2. Sauf disposition contraire prévue à l’annexe XI, le présent règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, soumis ou non à cotisations, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de l’employeur ou de l’armateur.

3. Le présent règlement s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70.

[...]

5. Le présent règlement ne s’applique pas:

a)

à l’assistance sociale et médicale;

[...]»

12.

Selon l’article 4 de ce règlement, intitulé «Égalité de traitement»:

«À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci.»

13.

Le chapitre 9 du titre III du règlement no 883/2004 est consacré aux «[p]restations spéciales en espèces à caractère non contributif». Il est constitué du seul article 70, lequel est intitulé «Dispositions générales» et prévoit:

«1. Le présent article s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d’une législation qui, de par son champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, et d’une assistance sociale.

2. Aux fins du présent chapitre, on entend par ‘prestations spéciales en espèces à caractère non contributif’ les prestations:

a)

qui sont destinées:

i)

soit à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondant aux branches de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu minimal de subsistance eu égard à l’environnement économique et social dans l’État membre concerné;

ii)

soit uniquement à assurer la protection spécifique des personnes handicapées, étroitement liées à l’environnement social de ces personnes dans l’État membre concerné,

et

b)

qui sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et dont les conditions d’attribution et modalités de calcul ne sont pas fonction d’une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires. Les prestations versées à titre de complément d’une prestation contributive ne sont toutefois pas considérées, pour ce seul motif, comme des prestations contributives,

et

c)

qui sont énumérées à l’annexe X.

3. L’article 7 et les autres chapitres du présent titre ne s’appliquent pas aux prestations visées au paragraphe 2 du présent article.

4. Les prestations visées au paragraphe 2 sont octroyées exclusivement dans l’État membre dans lequel l’intéressé réside et conformément à sa législation. Ces prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge.»

14.

L’annexe X du règlement no 883/2004, régissant les «[p]restations spéciales en espèces à caractère non contributif», contient, sous la rubrique «Allemagne», la précision suivante:

«[...]

b)

Les prestations visant à garantir des moyens d’existence au titre de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, sauf si, en ce qui concerne ces prestations, les conditions d’obtention d’un complément temporaire à la suite de la perception d’une prestation de chômage (article 24, paragraphe 1, du livre II du code social) sont remplies.»

3. La directive 2004/38

15.

Les considérants 10, 16 et 21 de la directive 2004/38 prévoient ce qui suit:

«(10)

Il convient cependant d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions.

[...]

(16)

Les bénéficiaires du droit de séjour ne devraient pas faire l’objet de mesures d’éloignement aussi longtemps qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. En conséquence, une mesure d’éloignement ne peut pas être la conséquence automatique du recours à l’assistance sociale. L’État membre d’accueil devrait examiner si, dans ce cas, il s’agit de difficultés d’ordre temporaire et prendre en compte la durée du séjour, la situation personnelle et le montant de l’aide...

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