L'imposition d'obligations de service public

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La première spécificité du régime de l'activité de service public est d'être soumise à des sujétions de droit public, en ce sens qu'elles sont définies et imposées par l'autorité publique à l'origine de la création de cette activité. On utilisera le terme générique d'obligations de service public pour qualifier ces sujétions, même si les appellations peuvent varier d'un État à un autre. À cet égard, l'analyse comparée des droits nationaux des États membres montre qu'il existe un corpus minimum commun d'obligations de service public (Section I) que le droit communautaire non seulement reconnaît mais cherche aussi à enrichir et à faire évoluer (Section II). Page 326

Section I Un « noyau dur » d'obligations de service public d'origine nationale

C'est principalement en France qu'une théorie autonome des obligations de service public s'est progressivement formée à partir de la jurisprudence administrative, dans le cadre de la construction prétorienne puis doctrinale d'une théorie générale du service public. Ces obligations sont généralement présentées au nombre de trois : la continuité, l'égalité et l'adaptabilité (ou mutabilité) du service public 1. L'expression « principes » ou « lois » 2 du service public est souvent utilisée par la doctrine, ces principes étant considérés comme inhérents à la formation du concept de service public dans son ensemble, quel que soit le mode de gestion par ailleurs mis en oeuvre 3. On retrouve ici le critère de différenciation établi précédemment entre les pays qui ont formalisé ou non une doctrine du service public. Si l'on ajoute à ce critère, celui de la source juridique sur laquelle se fondent ces obligations, il est permis de distinguer deux approches juridiques des obligations de service public :

- d'un côté, l'approche abstraite ou théorique qui fait de la jurisprudence et de la doctrine, les principales sources des principes du service public avant qu'ils ne soient éventuellement explicités et déclinés par le législateur sous la Page 327 forme d'obligations générales ou sectorielles ; tel semble être le cas des droits français et espagnol ;

- de l'autre côté, l'approche pragmatique qui conduit le législateur a imposé un certain nombre d'obligations ou de servitudes de service public dans les secteurs concernés, obligations dont la jurisprudence assure le respect et qu'elle peut éventuellement, dans un second temps, théoriser sous forme de principes généraux ; telle semble être l'approche privilégiée par les droits allemand et britannique.

Il n'en reste pas moins que le droit positif français en la matière sait aussi faire preuve de pragmatisme. L'évolution et l'adaptation que connaissent les principes traditionnels du service public « à la française » depuis ces dernières années l'illustrent (Paragraphe I) et trouvent écho dans les législations plus sectorielles des autres États (Paragraphe II).

§ I - La nécessaire évolution des principes français du service public

Les principes du service public occupent une place essentielle dans la définition du régime juridique des services publics (A), malgré ou grâce à leur caractère évolutif et relatif (B).

A - La place des principes traditionnels du service public dans le droit français

Alors que certains croient voir dans l'intervention croissante du droit communautaire dans la définition et le régime du service public un risque de remise en cause des « lois » françaises service public, on assiste bien au contraire à une réaffirmation de ces principes au niveau national, tant de la part du législateur (1º) que du juge (2º).

1. - Le renouveau législatif

Le renouveau législatif des principes du service public s'est notamment illustré avec la loi précitée du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications qui énonce en son article 8 que « le service public des télécommunications est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité » 4. Ces principes sont déclinés au regard des deux principales composantes 5 que comprend le « nouveau » service public des télécommunications : le service universel, qui doit fournir « à tous un service téléphonique de qualité à un prix abor- Page 328 dable » (6) et les services obligatoires qui doivent comprendre « une offre, sur l'ensemble du territoire » 7.

Le cas des télécommunications est néanmoins encore un des rares cas où le législateur s'est montré aussi précis. Pour l'organisation d'autres activités de réseaux, il est plus elliptique. C'est ainsi que la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs confie à la SNCF la double mission « d'exploiter, selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire sur le réseau ferré national » et « d'assurer, selon les mêmes principes, les missions de gestion de l'infrastructure » 8. Il est même parfois totalement silencieux sur l'application de ces principes, comme c'est le cas pour la production, la distribution et le transport de l'électricité et du gaz, telles que la loi du 6 avril 1946 les réglemen- tent, laissant le soin au cahier des charges-type s'appliquant aux secteurs de les expliciter 9.

Toutefois, la loi de réglementation des télécommunications pourrait créer un précédent dans le sens d'une plus grande rigueur dans la définition des principes du service public, et par là même du périmètre du service public lui-même, sous la pression (ou à l'invitation) du droit communautaire. Le secteur de l'énergie en fournit un exemple, avec la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Le service public de l'électricité n'est pas mort ; mieux, il naît dans un texte de loi et acquiert une définition officielle : « Le service public de l'électricité a pour objet de garantir l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt général » 10. À ce titre, si sa mission principale est d'assurer « le développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, le développement et l'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, ainsi Page 329 que la fourniture d'électricité-26; » 11, il est surtout précisé que « matérialisant le droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité, le service public de l'électricité est géré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique » 12.

Quoi qu'il en soit, l'origine des principes du service public est avant tout jurisprudentielle. Leur application acquiert ainsi un caractère général et non sectoriel.

2. - Le renouveau jurisprudentiel

Le renouveau jurisprudentiel des principes du service public, ou du moins de certains d'entre eux, s'exprime avant tout par l'affirmation de leur caractère constitutionnel.

La loi précitée de 1996 de réglementation des télécommunications a donné l'occasion au Conseil constitutionnel de rappeler dans sa décision du 23 juillet 1996 13 que France Télécom est tenu au « respect des prescriptions à valeur constitutionnelle s'attachant à l'accomplissement des missions de service public qui lui incombent », et tel qu'elles sont précisées dans le cahier des charges qui lui est applicable concernant « les conditions dans lesquelles sont assurées la desserte de l'ensemble du territoire national, l'égalité de traitement des usagers, la neutralité et la confidentialité des services ». L'affirmation de la valeur constitutionnelle des principes de continuité 14 et d'égalité 15 n'est pas une nouveauté. Le Page 330 Conseil en souligne ici le caractère permanent attaché à toute...

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